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Gunnm, t. 7 : La mariée était en acier, et t. 8 : Chroniques du Barjack (édition originale), de Yukito Kishiro

Publié le par Nébal

Gunnm, t. 7 : La mariée était en acier, et t. 8 : Chroniques du Barjack (édition originale), de Yukito Kishiro

KISHIRO Yukito, Gunnm, t. 7 : La mariée était en acier (édition originale), [銃夢, Gannmu], traduction depuis le japonais [par] David Deleule, Grenoble, Glénat, coll. Manga Seinen, [1990-1995, 2013] 2017, 222 p.

Gunnm, t. 7 : La mariée était en acier, et t. 8 : Chroniques du Barjack (édition originale), de Yukito Kishiro

KISHIRO Yukito, Gunnm, t. 8 : Chroniques du Barjack (édition originale), [銃夢, Gannmu], traduction depuis le japonais [par] David Deleule, Grenoble, Glénat, coll. Manga Seinen, [1990-1995, 2013] 2017, 214 p.

OH WHAT A DAY

 

Retour à Gunnm, le manga culte de Kishiro Yukito, avec ses tomes 7 et 8 dans l’édition dite « originale ». On se rapproche de la fin, donc : le neuvième tome sera le dernier. Enfin… de la série Gunnm à proprement parler, car, depuis, l’auteur a commis deux séries liées, tout d’abord Gunnm : Last Order, dont je n’ai entendu dire que du mal, et Gunnm : Mars Chronicle, dont je n’ai rien entendu du tout. Bon, ça, on verra peut-être, en son temps. Pour l’heure, Gunnm tout court.

 

Après l’arc du motorball qui avait failli avoir raison de mon enthousiasme pour cette BD, les tomes 5 et 6 avaient miraculeusement relevé le niveau – le premier dans un délire mégalomane de destruction, le suivant en jouant la carte Mad Max à fond les ballons. Sans surprise, le tome 7, au titre improbable (mais pas moins que sa couverture, du coup) de La mariée était en acier, reprend et poursuit ce dernier aspect, que j’avais trouvé plutôt jubilatoire ; le tome 8 de même, ainsi que son titre de Chroniques du Barjack le montre bien, mais en resserrant tout de même l’intrigue sur une trame globale en peu en retrait dans les autres volumes consacrés à ces badlands archétypaux. Mais c’était peut-être pas plus mal ?

 

K.A.O.S. A.D.

 

Le tome 7 introduit de nouveaux personnages aux côtés de notre héroïne, comme Lou Collins, une Zalémite candide et nerveuse chargée d’assister la « Tuned » qu’est devenue Gally dans le volume précédent (les deux femmes n’ont donc qu’une relation à distance, ce qui ne la rend pas moins chargée d’émotion en définitive), ou Koyomi, en fait déjà vue dans la BD, mais des années plus tôt : c’était le bébé que Gally avait sauvé des griffes (ou de la langue) de Makaku dans le tome inaugural ; depuis, Koyomi, avec son compagnon canin cybernétique Fury, est devenue une adolescente rebelle et débrouillarde, avec une compulsion pour le pari qui peut la mettre dans les pires des situations.

 

C’est Koyomi qui met Gally sur la piste d’un mystérieux individu du nom de Kaos – et, je ne crois pas SPOILER, on nous le dit très vite, le bonhomme n’est autre que le fils de Desty Nova. Or l’emploi de Gally en tant que Tuned était directement lié à la traque du savant fou exilé de Zalem… même si notre combattante cyborg avait ses raisons bien à elle de retrouver l’amateur de flans : Ido serait avec lui, ou bien le scientifique pourrait lui permettre, d’une manière ou d’une autre, de retrouver celui qui l’avait ramenée à la vie – car Desty Nova serait en mesure de le ramener lui aussi parmi les vivants…

 

Mais Kaos est un personnage à part entière – un curieux individu aux facultés hors-normes. Incapable de parler « normalement », il use pour ce faire des ondes radios – et, oui, il a sa propre radio, Radio K.A.O.S., qui, en dépit de cet intitulé intimidant, diffuse musique et réconfort de par ce monde dévasté ; à tort ou à raison, il m’a pas mal rappelé le personnage de Walt Dangerfield, dans le roman de Philip K. Dick Dr. Bloodmoney, coincé en orbite et qui fait le DJ pour les survivants de la Terre… Les facultés étranges de Kaos ne s’arrêtent cependant pas là, car il bénéficie (?) aussi d’un don de psychométrie, qui lui fournit des informations autrement inaccessibles sur des humains ou des objets par le seul contact physique – pour Gally, qu’il appelle d’emblée Yoko, souvenir d’une vie précédente (entraperçue tout au bout de la piste de motorball), c’est particulièrement troublant…

 

Walt Dangerfield tournait autour du monde, mais le monde tourne autour de Kaos – un monde en proie à la violence la plus terrible, dans ces terres dévastées où règne le Barjack, sous les ordres du titanesque et redoutable Den (qui en sait long sur Gally lui aussi – je ne vais pas vous faire un dessin, Kishiro Yukito est assurément plus compétent que moi dans ce domaine). Le Barjack, jusqu’à présent, avait surtout été présenté comme une bande de brigands, juste plus organisés et efficaces que les autres ; il semblait protester de ce que son action était toute politique, mais on avait du mal à le croire – le double discours de Zalem à son égard n’arrangeait rien à l’affaire. Mais, cette fois, à l’approcher véritablement, et à approcher son chef Den, l’idée d’un Barjack composé de résistants/terroristes devient soudain plus crédible – constat qui appelle à faire des choix, notamment en reposant toujours cette même question lancinante depuis le début de la BD : pourquoi se bat-on, et plus précisément pourquoi Gally se bat-elle ? Dans la décennie précédente, c’est comme si elle avait laissé cette question de côté… Par lâcheté, peut-être ? Mais elle ne peut pas éternellement la contourner – surtout quand son entourage choisit de rejoindre tel camp contre tel autre.

 

REQUIN (PRESQUE) OFFICIELLEMENT SAUTÉ – MAIS C’EST COOL

 

On connait l’expression – si elle est généralement associée avant tout aux séries télé. En référence à un « fameux » épisode de Happy Days, on dit d’une série qu’elle « saute par-dessus le requin » (jump the shark) quand, à force de s’étirer en longueur, elle se retrouve amenée à user d’expédients grossiers pour tenter de préserver l’intérêt du spectateur/lecteur, en introduisant des rebondissements idiots qui ne font que souligner la vacuité de l’ensemble, au point même, parfois, d’avoir un effet rétroactif sur la perception de la qualité des épisodes antérieurs. On a tous vu des séries TV confirmant ce fâcheux phénomène (l’an dernier, je me suis fait Penny Dreadful, et surtout Vikings, dont la saison 3 « saute par-dessus le requin » avec une telle frénésie et un tel mauvais goût qu’on dirait un 110 mètres haies – avec autant de requins à la place des haies), mais d’autres séries sur d’autres supports ne sont pas épargnées (sans même parler des campagnes rôlistiques qui s’éternisent, je sais hélas de quoi je parle...) ; puisque nous causons manga, ici, je citerais bien 20th Century Boys d’Urasawa Naoki, par exemple, série dont c’était d’une certaine manière ou en partie le propos, mais qui, a force d’abus, m’a littéralement écœuré.

 

D’une certaine manière, on pourrait dire que Gunnm, depuis l’arc du motorball (inclus), a sauté par-dessus le requin à plusieurs reprises ; le scénario n’est peut-être (…) pas le point fort de Kishiro Yukito, au fond, et les rebondissements grotesques n’ont cessé de s’accumuler. Mais, bizarrement, j’ai l’impression que, une fois la facilité du motorball heureusement remisée de côté, cette outrance dans les rebondissements a bénéficié à la BD, en fait : le délire apocalyptique du tome 5, et les rigolotes madmaxeries qui affichent la couleur dans les tomes 6 et 7 (je traiterai du tome 8 juste après), ont rehaussé l’intérêt de la BD, quitte à verser dans la caricature. Cela s’est d’ailleurs accompagné d’un changement de ton assez marqué : l’humour, discret dans les deux premiers tomes, plus encore dans l’arc du motorball, a clairement pris davantage d’importance depuis – le tome 6, tout spécialement, étant à vrai dire très drôle (même si pas que) ; tendance qui se poursuit sur le tome 7, et tant mieux en ce qui me concerne (même si avec un gros fail, sur lequel je reviendrai un peu plus loin).

 

Vous me direz, et à bon droit : si ça marche, c’est que le requin n’a pas été sauté. Tout à fait ! Pourquoi alors employer cette expression ? Eh bien, parce que, dans ces épisodes jubilatoires, la trame de fond, comme l’univers décrit dans les premiers volumes (et centré sur Kuzutetsu), ont été envoyés aux orties, au profit d’une approche plus spontanée, décomplexée… mais qui, ne nous leurrons pas, a probablement aussi un peu de l’expédient destiné à rallonger la sauce. En fait, il y a là quelque chose de plus global, je crois : le sentiment que depuis le début, Kishiro Yukito ne sait absolument pas où il va – le motorball en témoigne, comme l’abandon de Kuzutetsu (là encore, dans les mangas évoqués sur ce blog, ça n’est pas forcément un cas à part – je citerais bien Yamazaki Mari, pour Thermæ Romæ clairement, probablement aussi pour Pline, avec Miki Tori, série que j’apprécie mais qui navigue un peu dans le flou, parfois). La différence, ici, c’est que j’ai l’impression qu’il a unilatéralement décrété qu’il n’en avait rien à foutre – d’où ces épisodes totalement décomplexés, donc… et, eh bien, fun, oui.

 

Non, Gunnm n’a pas sauté par-dessus le requin à proprement parler. Mais, me concernant, à ce stade, c’est un peu comme si la BD me braillait dans les oreilles qu’en fait ça peut-être vach’ment marrant, de sauter par-dessus le requin ! Plus marrant que de raconter une histoire qui se tienne, en tout cas – ou qui essaye de se tenir…

 

RÉVÉLATION RETARDÉE

 

Or, dans le tome 8, Kishiro Yukito se montre plus « raisonnable »… et du coup c’est à mon sens un peu moins bon. Le cadre hors Kuzutetsu demeure, mais la dimension madmaxienne est un peu mise en sourdine, et, surtout, le ton (re)devient globalement beaucoup plus grave, à mesure que la trame de fond se manifeste plus bruyamment… quitte à recourir à de nouveaux expédients bien moins enthousiasmants que les délires comiques autant que bastonneux des tomes 6 et 7.

 

Ainsi, bien sûr, des retrouvailles avec Ido – qui ne se passent pas comme prévu, nous dit-on… sauf que si, en fait : on se doutait depuis un bail que, si retrouvailles il devait y avoir (forte probabilité), ça serait exactement de cette manière…

 

Mais Kishiro Yukito en rajoute, dans la mesure où la séquence laisse entendre, ô surprise, qu’il y aurait un « secret » derrière Zalem, un truc forcément horrible… et bien trop pour qu’on nous le dise là comme ça. La grande révélation est ainsi retardée, comme les retrouvailles l’avaient été. Mais sur un mode mollasson, guère convaincant, tant, pour le coup, il pue l’artifice.

 

Effet redoublé, d’une certaine manière, par le rôle de Desty Nova dans cette affaire. Le savant fou n’a guère plus que ses flans pour se singulariser un chouia…

 

LE PETIT GRAND SOIR – ET LE DOPPELGÄNGER LE MOINS INATTENDU DU MONDE

 

Bien sûr, ce surcroît de gravité se traduit par un autre aspect essentiel de ce volume : la guerre ouverte entre Zalem et le Barjack. C’est parfois intéressant – notamment via la focale de Koyomi, mais aussi avec tous les questionnements que les moyens et les fins de la lutte suscitent, sinon au sein du Barjack et chez Den lui-même, du moins chez ceux qui assistent aux événements en spectateurs, en sachant toutefois qu’à ce stade ils ne peuvent plus se placer à une « distance de sécurité ». Toujours moins brigands, toujours plus résistants/terroristes, les membres du Barjack prennent vie dans cet épisode – y compris un bonhomme, euh, fort étrange et un tantinet tout de même déconcertant ? Mais nous savons, au-delà, que les dés sont pipés – nous le savions depuis le départ. Cela n’exclut pas quelques scènes finalement réussies, fortes, émouvantes, révoltantes.

 

Mais nous pouvions aussi supposer (…) que ces salauds de Zalémites avaient une idée derrière la tête, concernant Gally (ou plutôt G-1, et hop ! tout est dit). La combattante cyborg se retrouve opposée… à elle-même, un puis des doppelgängers, les moins inattendus du monde. Ici, le « scénario » me paraît bien fainéant, usant de recettes convenues, exactement comme ce qu’il avait fait dans l’arc du motorball – et c’est tout de même regrettable.

 

Ce développement guère enthousiasmant suscite tout de même un aspect plus intéressant – mais typique de ce que j’aime dans Gunnm depuis le départ : la violence des combats, dans ce monde passablement transhumaniste où l’on dispose de pièces de rechange pour les membres et les organes perdus au combat (ou de tout autre manière), affecte de nouveau Gally, comme elle l’a fait à vrai dire à plusieurs reprises – la différence étant qu’en fin de volume, elle est toujours totalement déglinguée, sans que l’on voie bien comment elle pourrait y remédier avant de se lancer dans le Grand Combat Final ; espérons seulement que Kishiro Yukito, là encore, n’usera pas d’un expédient malvenu…

 

(Oui, je sais, il en est parmi vous pour avoir déjà lu l’intégralité de la série dans ses précédentes éditions, et qui savent, mais chut ! chut !)

 

(SVP.)

MACHO MACHO WOMAN (ET AUTRES TRUCS QUAND MÊME UN PEU PÉNIBLES)

 

Maintenant, dans les bons moments comme dans les moins bons, il y a toujours quelques éléments un peu pénibles, de manière générale, dans ces deux volumes… La plupart sont récurrents depuis le début de la BD, encore que peut-être plus particulièrement sensibles dans les tomes (que j’ai par ailleurs appréciés) qui précèdent immédiatement : ainsi du catalogue d’armes et d’équipement, techno-délire abscons, chiant et creux comme du Shirow Masamune – et son corollaire, les techniques de combat non moins absconses, en allemand PARCE QUE. Pire encore, mais toujours associée à ce qui précède, souvent : la mysticaillerie à deux boules à base de Grandes Leçons Sur La Vie Et Tout Ça Qui Se Trouvent Forcément Dans Le Combat Parce Que Le Combat C’Est La Vie Hein Comme Nous Le Savons Et Le Disons Avec Emphase Pour Souligner L’Incroyable Profondeur De Nos Sages Propos. Pitié…

 

Mais un point – une fois de plus ? – appelle peut-être davantage de développements, et c’est le côté décidément… eh bien, machiste de cette BD, confirmation qu’une « femme forte » ultra badass en premier rôle ne prémunit en rien contre les beauferies sexistes (ce que nous savons depuis fort longtemps, certes). Là encore, il se trouve des personnages pour reprocher, d’une certaine manière, à Gally, de « n’être qu’une femme », et pas du tout sur le ton de la blague ou d’une manière appelant à la critique (sans même parler d’une réponse, verbale ou martiale, de Gally elle-même). On peut faire avec les épisodes au cœur du tome 7 où Gally endosse une robe de mariée – qui lui est en fait imposée par Kaos : il s’agit d’un délire graphique ultra-référentiel qui fonctionne plutôt bien. Mais d’autres choses, sous cet angle, sont plus ennuyeuses – et notamment, au tout début du tome 7, l’introduction du personnage de Lou Collins, littéralement la femme « Barbara Gourde » des Nuls, mais en vraiment pas drôle du tout – c’est très lourd… tout particulièrement quand la naïve Zalémite, gag improbable, croit que l’homme qu’elle suit pour se rendre à son nouveau boulot ne l’attire dans un endroit isolé pour la violer (p. 9). Oh oh oh. D’autres personnages féminins, heureusement, s’en tirent mieux – enfin, surtout Koyomi, mais, chez elle, c’est la dimension gamine irresponsable qui l’emporte de toute façon. Jasmine, la compagne de Kaos, aurait pu constituer un personnage plus « digne » et mature, mais sa jalousie très cliché la dessert et pas qu’un peu (je passe pour l'heure sur la nouvelle compagne d'Ido dans le tome 8).

 

Non, ô encartés du Ministère de l’Homme (tant qu’on y est), je ne fais pas mon SJW-snowflake-castrateur-féminazagûl-truc, là (mes camarades authentiquement SJW-snowflakes-castrateurs-féminazgûls-truc, ça les ferait bien ricaner, j’imagine ; je crois d'ailleurs que « féminazgûl » est copyrighté). Je constate juste quelque chose qu’il me paraîtrait difficile de simplement balayer sous le tapis, tout particulièrement dans le contexte actuel. Ce n’est pas un appel au révisionnisme-machin – comme ça ne l’était pas concernant Albator, qui pour le coup m’avait mis bien plus mal à l’aise encore à cet égard. Simplement… Les temps changent ? Et des trucs qui passaient inaperçus, car « admis » d’une certaine manière, ne peuvent plus toujours le faire, tandis que des trucs qui se voulaient drôles ne le sont plus vraiment, voire plus du tout.

 

DESSIN AU TOP

 

On va quand même finir sur une note plus positive, hein ? Le dessin est au top dans ces deux volumes – encore que, un peu moins à mon sens dans le tome 8 que dans le tome 7. Reste encore le 9, mais, pour l’heure, il m’apparaît très clair que la série atteint son plus haut niveau en matière de graphisme dans les volumes 5, 6 et 7. Contraste marqué avec les épisodes du motorball dans les tomes 3 et 4, très fainéants au plan du scénario, mais aussi, je crois, au plan du dessin. Les tomes 1 et 2 étaient très bons sous cet angle, et le 8 l’est encore, mais les trois volumes que j’ai isolés me paraissent franchement bien meilleurs.

 

Et ce à tous les niveaux : les scènes d’action très dynamiques mais toujours très lisibles, les personnages aux traits appuyés qui sont autant de merveilles de character-design, la violence surréaliste des combats où le gore est traité d’une manière aussi particulière que pertinente, et également une dimension pas absente mais tout de même moins sensible dans les tomes précédents, à savoir l’humour – ceci en dépit de Lou Collins, une fois de plus ; même si la voir s’entretenir avec sa poupée kawaï de Gally ne laisse probablement pas indifférent.

 

À ce stade, cela fait quelque temps sans doute que Gunnm convainc avant toute chose pour son dessin, mais, là, on atteint vraiment des sommets en la matière. Dans la majeure partie des cas, cela ne suffirait pas à emporter mon adhésion si le scénario ne suivait pas, mais, ici, les délires madmaxiens avec une louche de cyberpunk, même un peu futiles, s’accommodent très bien de ce traitement graphique, et la synthèse cohérente des deux emporte mon adhésion.

 

RÉSOUDRE ?

 

Ne reste donc plus qu’un dernier tome… J’avoue être aussi curieux qu’anxieux quant à la manière qu’aura Kishiro Yukito de « résoudre » tout cela. Cette anxiété me paraît fondée objectivement, car la série a eu des hauts et des bas, et j’ai donc bien le sentiment que l’auteur ne savait pas forcément où il allait à mesure que sa série phare rencontrait le succès auprès d’une horde de fans à satisfaire sur la durée. Mais il va de soi que je lirai la chose le moment venu – pas seulement « pour conclure », car mon intérêt va bien au-delà.

 

(Mais chut ! hein ?)

 

En l’état, le tome 7 m’a amplement convaincu, dans la lignée du sixième, qu’il prolonge habilement. Le tome 8 m’a paru un cran inférieur, sans doute parce que la trame de fond ne me parle qu’assez peu, mais reste de qualité, et donne toujours envie de lire la suite.

 

La suite… et la fin, donc. À un de ces jours pour le tome 9.

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La Bibliothèque de Mount Char, de Scott Hawkins

Publié le par Nébal

Illustration de couverture par Aurélien Police

Illustration de couverture par Aurélien Police

HAWKINS (Scott), La Bibliothèque de Mount Char, [The Library at Mount Char], roman traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Daniel Brèque, illustration [de couverture par Aurélien Police, Paris, Denoël, coll. Lunes d'Encre, [2015] 2017, 475 p.

ME LE FALLAIT

 

Avec mon double programme de lecture (et même triple, si l’on compte le jeu de rôle), programme panachant imaginaire et choses nippones, il m’est plus difficile encore qu’auparavant de suivre véritablement « l’actualité » (et, disons-le, hors imaginaire et hors nippon, c’est encore pire – l'année dernière, il m'a bien fallu un Larry McMurtry pour que je m’octroie une pause d’un autre ordre). C’est très con, je sais. Mais du coup, en imaginaire, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, je passe généralement à côté de ce qui fait le buzz (hors « Une Heure-Lumière », hein ! Mais en ajoutant, tendance dont je ne suis pas tout à fait inconscient, que ces derniers temps, même dans le cadre de Bifrost, j’ai lu essentiellement des choses, eh bien, pas toutes jeunes…).

 

Quelques titres, cependant, apparaissent malgré tout sur mon radar – et, l’an dernier, ce fut surtout le cas de cette Bibliothèque de Mount Char, premier roman de Scott Hawkins, paru en Lunes d’Encre sous une couverture de l’excellent Aurélien Police, et dans une traduction de l’indispensable Jean-Daniel Brèque. Les camarades de la blogosphère étaient en effet formels : c’était génial, fou, innovant, unique, drôle, terrible, et à même de susciter le malaise – autant dire, tout ce que j’aime ! Cependant, je n’ai pu trouver le temps de lire ce roman que tout récemment – et donc après tout le monde...

 

Ce qui biaise sans doute mon rapport à ce livre. Que j’ai trouvé vraiment très bon, et que je recommanderai sans l’ombre d’un doute, en gardant par ailleurs un œil sur la production à venir du bonhomme... Cependant, j’en attendais probablement un peu trop, après ce concert de louanges – aussi la satisfaction d’avoir lu ce livre pouvait-elle être un peu mêlée d’une vague déception, en même temps… Mais le bilan demeure très positif. Bon, je vais tâcher de m’expliquer sur tout ça...

 

NE PAS TROP EN DIRE

 

La tâche n’est pas aisée, mine de rien. Notamment parce qu’il ne faut pas trop en dire… Sur ce blog, je n’ai pas de politique déterminée sur les Odieux et Scandaleux Spoilers – si ce n’est celle de signaler quand je révèle comme un porc. Mais La Bibliothèque de Mount Char me paraît clairement devoir intégrer la catégorie des livres dont je dois préserver le secret, dans la mesure du possible – et, dès lors, cette chronique, exceptionnellement peut-être, est conçue pour être lisible en préalable de l’acquisition du roman de Scott Hawkins, et pas seulement après lecture. Bizarrement, cette lecture après tout le monde m'incite aussi à revenir sur certains échos de la blogosphère... Mais c'est autre chose, ça.

 

C’est que le roman, à sa manière éventuellement particulière, du fait de sa construction un peu alambiquée notamment, est riche de mystères, et que l’auteur fait preuve d’un certain savoir-faire pour ce qui est de l’intrigue. Je suppose que, pour que La Bibliothèque de Mount Char fonctionne, et c’est souhaitable, il ne faut donc pas trop en savoir au préalable.

 

Mais il faut bien en dire quelque chose... Le roman s’ouvre sur Carolyn, la trentaine, qui sera plus ou moins notre héroïne, et qui erre en piteux état le long d’une autoroute, plus ou moins dans notre monde (aux États-Unis), plus ou moins de nos jours. Un teaser qui fera bientôt sens, mais a pour objectif à très court terme de nous plonger aussitôt dans le bain – avec réussite en ce qui me concerne.

 

Cependant, nous avons bientôt droit à un flashback en forme de zoom arrière, et conséquent, qui nous permet d’envisager les choses sous un autre angle, en contextualisant un peu – toujours avec Carolyn pour point de référence, à ce stade. Les parents de cette dernière sont morts alors qu’elle était toute petite, et a elle a aussitôt été « adoptée » par un vieux bonhomme, qu’elle appelle Père. Elle n’est pas la seule : elle a onze frères et sœurs « adoptés » exactement dans les mêmes conditions.

 

Et ils vivent ensemble dans une bibliothèque qu’on sait d’ores et déjà Majuscule, sise à Garrison Oaks si elle doit se trouver quelque part. Là, Père a dispensé son enseignement à sa « progéniture », en confiant à chacun de ses enfants/disciples un « catalogue » qu’ils doivent maîtriser à la perfection, et ne surtout pas communiquer aux autres. Carolyn, ainsi, est la spécialiste des langues ; David, le plus qu’inquiétant David, de la guerre ; Michael, des animaux ; Margaret, de la mort, etc.

 

Mais les méthodes d’enseignement de Père sont pour le moins rugueuses – parfaitement horribles, en fait. Son antique « barbecue » d’aspect taurin, en est la meilleure illustration (de couverture – merci Aurélien Police).

 

Or cette petite famille, qui est donc aussi un petit groupe de bibliothécaires ultra-spécialisés, semble disposer de pouvoirs bien singuliers – la mort n’est à vrai dire pas un problème en tant que telle, les concernant. Ce qui rend l’usage du « barbecue » plus terrible encore, car jamais fatal au sens fort… C’est que ces gens-là ne sont pas des « Américains » : les Américains, ce sont les autres – la banalité faite hommes et femmes. Les bibliothécaires sont avant tout des étudiants (des Pelapi). Mais Père ? Père avec sa majuscule, sa sévérité, sa cruauté, son goût de l’ordre ? On est plus que tenté d’y voir Dieu, comme de juste – mais pas forcément le créateur… et probablement pas l’unique.

 

Quoi qu’il en soit, quand débute le roman, c’est le drame – enfin, un de plus : Père a disparu. Et les douze bibliothécaires ne savent absolument pas quoi faire. Se prémunir contre les ennemis de Père, nombreux, et éventuellement responsables de sa disparition ? Mais celle-ci est de toute façon tellement inconcevable… Le départ de Père suscite l’anarchie – laquelle est le vivier des hérauts de l’ordre, de la force brute, de la « supériorité naturelle » : ceux qui se débrouillent très bien avec la loi de la jungle. Le redoutable et ultra-violent David semble tout disposé à prendre le pouvoir…

 

Mais Carolyn, la discrète Carolyn, pourrait bien avoir un plan.

 

Impliquant des Américains – un, surtout, du nom de Steve...

 

PAS SI ORIGINAL, ET PAS SI FOU

 

Je m’arrête là pour la présentation de l’histoire. Je suppose que cela fournit les bases nécessaires pour discuter de tout ça sans trop déflorer le reste.

 

Autant passer de suite à la question cruciale : le caractère original et même fou de l’univers créé par Scott Hawkins. C’est que je n’en suis pas vraiment convaincu pour ma part… Déjà parce que nous pouvons sans peine participer au (vilain) petit jeu des « références » (qui ne sont pas nécessairement des « influences »).

 

L’originalité supposée du roman est d’emblée battue en brèche, car quelques titres sautent littéralement à la gueule du lecteur – voire quelques auteurs, et au premier chef, clairement, Neil Gaiman : si la famille dysfonctionnelle de plus ou moins dieux ne fait pas penser à Sandman Et les développements de l'intrigue, dans leur caractère saugrenu et étrangement poétique, justifient tout autant cette citation. Pour moi, c’est le titre clef – et à un double niveau, car, plus généralement, nombreux sont ceux, sur la blogosphère et ailleurs, qui ont très justement relevé que La Bibliothèque de Mount Char avait un côté comics assez prononcé (nouvelle tentation, du coup, de citer d’autres grands noms de ce médium bien particulier – et notamment Alan Moore). Mais si vous voulez du Gaiman littéraire, American Gods vous tend les bras – avec cette même idée de figures plus ou moins divines s’inscrivant dans une Amérique contemporaine du quotidien. Dans une matière proche, on a pu mentionner aussi Roger Zelazny, sans doute à bon droit.

 

Dans la dimension parfois horrifique et éventuellement un peu gore (mais j’y reviendrai) de La Bibliothèque de Mount Char, la tentation pourrait être grande de mentionner également Clive Barker, mais en bien plus soft cela dit. Ceci étant, Gaiman et Barker, hein…

 

Pour ma part, je m’en tiendrais là. Cela me paraît déjà suffisant. Le fait est que, à la lecture de La Bibliothèque de Mount Char, je n’ai jamais eu la sensation de me retrouver dans un monde véritablement singulier, unique… Et dans le déroulement de la trame, même chose : ce n’est pas si fou que ça, loin de là en fait – parfois un tantinet surréaliste sur un mode rigolard, mais ce registre n’est certainement pas sans précédents (qu’on les cherche, au-delà de Gaiman, du côté de Douglas Adams, Terry Pratchett ou Jasper Fforde, et ce ne sont que des exemples parmi tant d'autres) ; ceci dit, cet aspect est parfaitement géré, et compte pour beaucoup dans la réussite du roman.

 

Pourtant, même chez les partisans de l’originalité intrinsèque de La Bibliothèque de Mount Char, d’autres noms encore ont pu être avancés – deux surtout : celui de Charles Stross, notamment pour le « cycle de la Laverie », mais ça ne m’a pas sauté aux yeux pour ce que j’en ai lu ; et, corrélé, primordial, celui de Lovecraft – et là je ne suis vraiment pas convaincu : même à vouloir ériger comme un pseudo-panthéon autour de Père et de ses ennemis, avec les Pelapi comme séides, idée plutôt saugrenue à mes yeux, tout cela est à mon sens bien trop « humain » (mais c’est à débattre, et justement parce que c’est sans doute le thème de fond sous-jacent au roman de Scott Hawkins, quelle que soit la lecture qu’on en tire ; j'y reviendrai, forcément) ; tardivement, le roman acquiert une perspective que l’on pourrait qualifier de « cosmique », certes, mais, là encore, ça ne me paraît pas coller au niveau des principes – Scott Hawkins s’intéresse à des personnages, lui.

 

Mais peu importe. Si j’ai laborieusement livré ce genre de développements, c’était pour tenter d’expliquer en quoi ce roman m’avait été un peu « survendu », même avec les meilleures intentions du monde et une sincérité dont je ne doute pas un seul instant ; or je n’ai pas ressenti lors de ma lecture cette originalité fondamentale. Sur cette base, j’en attendais donc trop – et « reconnaître », ici tel truc, là tel autre, ne pouvait que me décevoir un peu a priori, parce que je souhaitais être bien plus violemment dépaysé. Cela ne m’a pas empêché de beaucoup aimer le roman, heureusement.

 

DES FOIS JE ME DIS QUE JE SUIS QUAND MÊME UN PEU PSYCHOPATHE

 

Un dernier point, toutefois, concernant ce ressenti personnel un tantinet différent de ma part, à en juger par les nombreuses critiques mises en ligne depuis la publication du roman – un point qui me fait me demander si je ne serais pas un peu psychopathe, tout compte fait…

 

J’ai en effet lu plusieurs articles mettant en avant quelques passages un peu gores et/ou sadiques dans La Bibliothèque de Mount Char – et, oui, il y en a bien quelques-uns, j’imagine… Le supplice incroyablement atroce du « barbecue », ou disons plutôt, ça sonne plus sérieux, du « taureau d’airain » (ou « taureau de Phalaris » – la symbolique n’est probablement pas neutre), produit bien quelques scènes passablement horribles ; la violence de David, cette cruelle ordure qui torture, viole et tue comme elle respire, de même – alors le lien entre les deux, forcément…

 

Reste que je suis perplexe – ayant lu çà et là que le roman était proprement horrifique, que ces scènes étaient terribles, insoutenables même… Je n’ai certainement pas eu ce sentiment. Pas le moins du monde, en fait. Est-ce donc que je ne ressens rien ? Trop blindé à force de mauvaises lectures et de mauvais films ?

 

(« Mauvais », pas pour moi, hein.)

 

En fait, les quelques scènes mentionnées mises un peu à part s’il le faut, les usages conjoints de la violence, de la cruauté et de l’horreur dans La Bibliothèque de Mount Char… ont bien plus souvent suscité mon rire que mon effroi ou mon dégoût. C’est vraiment dans ce registre rigolard que je suis porté à inscrire le roman de Scott Hawkins, de manière générale. Comme certains films gores – mais sur un mode incomparablement plus atténué, par ailleurs, il dérive, si l’on y tient, du Grand-Guignol, où l’outrance est essentiellement drôle.

 

D’autres ont par ailleurs trouvé ce roman très sombre – et cela n’a pas du tout été mon cas. Le passé des personnages (Carolyn, David, Steve, Erwin) contient certes des moments tragiques, mais je n’ai pas le sentiment que le roman en acquière pour autant une tonalité noire prononcée, à un niveau global disons. Cependant, ces personnages sont autant de pistes pour explorer un autre ressenti eu égard à la cruauté – non pas physique, cette fois, mais clairement psychologique. Et c’est ici que ladite cruauté produit son effet, me concernant – en s’associant en dernier recours à une douloureuse mélancolie : c’est dans la dernière partie du roman que j’y trouve effectivement des aspects sombres et désagréables, mais toujours rapportés à l’échelle des personnages, et à leur ressenti psychologique, de manière pertinente et efficace tout à la fois.

 

Le reste… mais je dois être un peu psychopathe.

CONSTRUCTION CERTES ZARBI – MAIS SENS DE L’INTRIGUE

 

Sans aller donc jusqu’à y déceler une originalité fondamentale (ou une « folie » du même ordre), le roman de Scott Hawkins peut effectivement surprendre à maints égards, mais cela concerne surtout à mon sens la construction de l’intrigue, relativement alambiquée. La linéarité n’est guère de mise, et les séquences, même s’il y a bien un fil rouge, s’enchaînent souvent dans le désordre – au point en fait où parler de flashbacks ne fait plus vraiment sens.

 

Cette dimension est encore accrue par le jeu sur les points de vue, peut-être plus complexe qu’il n’y paraît. Deux personnages, essentiellement, nous servent de focales : Carolyn, et Steve – sa marionnette dans son plan inhumain ? Il faut y ajouter, un peu plus secondaire, Erwin, « bigger than life » mais néanmoins « américain ». Enfin, à l’occasion, Scott Hawkins produit quelques saynètes faisant intervenir d’autres personnages points de vue, éventuellement très éphémères (un exemple : la star du rap qui drague une jeune femme, notre point de vue pour le coup, en lui montrant ses lions, subtilement appelés Dresde et Nagasaki, lesquels jouent un rôle non négligeable dans la suite du roman).

 

L’alternance des points de vue a un effet pratique, qui se conjugue avec le caractère globalement non linéaire de la structure du roman, à savoir que les deux participent du sens de l’intrigue de l’auteur, qui sait ménager son suspense, quitte à « tricher » un peu – au sens où, au moment où ce sont les intentions de Carolyn qui sont primordiales, nous suivons alors plutôt Steve, ce genre de choses, et à plusieurs reprises. Globalement, c’est très efficace – et c’est pour partie ce qui explique pourquoi j’ai préféré faire une chronique spoiler-proof : si l’univers n’est pas si original, si le développement de la trame n’est pas si fou (mais un peu quand même), reste que Scott Hawkins balade bien son lecteur, et sait ménager quelques jolies surprises, et quelques jolie révélations. C’est assez roublard, en fait – même si pas sans aspects critiquables, tenant peut-être à ce qu’il s’agit d’un premier roman, après tout. Néanmoins une belle réussite, d'autant plus dans ces conditions.

 

Car la structure du roman interloque sous un autre angle – disons celui de la densité du récit, et par ricochet de ses connotations. Je suppose en effet que l’on peut grosso merdo le diviser en trois temps.

 

Dans un premier temps, Scott Hawkins, petit à petit, brique après brique et le cas échéant avec un certain nombre de détours qui ne sont pas aussi gratuits qu’ils en ont tout d’abord l’air, pose son univers et ses personnages – comme de juste, mais de manière parfois un peu inattendue, formellement, disons. Carolyn errant en sang le long de l’autoroute, les douze Pelapi qui se retrouvent après la disparition constatée de Père, Steve qui croit draguer Carolyn, ce genre de choses… C’est très efficace, réellement intriguant, et cela a constitué à mes yeux une très bonne « accroche prolongée », disons – mais tout le monde n’est visiblement pas de cet avis. Opinion très personnelle, donc.

 

Après quoi nous en arrivons au cœur – et au plus gros – du roman. Le plan de Carolyn entre en action, ce qui passe tout d’abord par les galères de son instrument, Steve, abondamment détaillées – mais il faut aussi y inclure les à-côtés d’Erwin, qui est d’une certaine manière un antagoniste, et que, pourtant, on n’est pas du tout porté à envisager de la sorte. C’est ici que le roman devient « fou », si l’on y tient. L’action est très dense, et part du niveau du trottoir pour dériver vers le délire cosmique, sur un rythme proprement frénétique. La dimension comics est ici plus particulièrement appuyée, il se passe plein de choses, et les personnages y acquièrent un caractère « bigger than life » essentiel, qui transcende toutes leurs actions. On a pu dire qu’il fallait avoir une certaine capacité à la « suspension d’incrédulité » pour gober tout ça, mais à titre personnel, et sans doute parce que « l’accroche prolongée » avait bien fonctionné sur moi, me mettant bien comme il faut dans le bain, je n’ai ressenti aucune difficulté à cet égard, me régalant avec jubilation des excès d’une trame qui ose des choses incongrues, pour notre plus grand plaisir.

 

Ça monte, ça monte, ça monte… Jusqu’à l’explosion totale… Et pourtant, il reste encore une troisième partie du roman, qui fait une bonne centaine de pages, et qui prend à nouveau le lecteur par surprise, pas tant pour les « révélations » (en fait assez convenues) qui y son exposées, que par son caractère « calme après la tempête », où tout est plus lent, plus mou, plus morne. S’il y a eu « accroche prolongée », il y a donc aussi « épilogue prolongé », encore que cette expression ne soit pas très juste car nous sommes alors encore dans le récit, sans ambiguïté. Or c’est ici, surtout, que la souffrance psychologique s’exprime, dans une atmosphère où la fascination cosmique, qui aurait dû l’emporter, ne parvient pourtant pas à se dégager d’une gangue très humaine de mélancolie. L’effet, pour le coup, est passablement déstabilisant. À en juger par certaines critiques, d’aucuns y ont vu une faiblesse du roman – qui se traînait un peu trop en définitive. Je ne le crois pas pour ma part : même si je n’exclus pas que cette approche déconcertante tienne pour partie au statut de premier roman de La Bibliothèque de Mount Char, j’ai apprécié ce finale étrange, un peu cotonneux, après l’hystérie du cœur du livre. Et, là, oui, j’ai ressenti quelque chose – au-delà de la seule jubilation hilare qui m’avait accompagné sur la majeure partie du roman. C’est peut-être un peu maladroit, parfois, mais cela a fait sens, pour moi.

 

Reste donc que cette construction alambiquée pourra surprendre – mais, globalement, de manière convaincante, et c’est donc à mettre au crédit de Scott Hawkins.

 

DES PERSONNAGES BRILLANTS (ET HUMAINS – S’IL LE FAUT ?)

 

Mais j’en arrive à ce qui, à mon sens, constitue les deux principaux points forts de La Bibliothèque de Mount Char : ses personnages, et sa plume – notamment en ce qui concerne les dialogues.

 

Mais commençons par les personnages – qui sont à peu près tous brillants. Et brillamment employés, aussi, au regard d’une problématique sous-jacente des plus complexe, renvoyant à leur humanité ou à l'absence (supposée) d’icelle.

 

Mais la question se pose différemment selon que l’on envisage les « Américains » et les Pelapi. Au début du roman, cela participe d’un procédé où le décalage systématique des disciples de Père, Carolyn et David en tête (parce qu’ils ne comprennent absolument rien au monde des « Américains », ce qui se traduit notamment par leur accoutrement fantasque), les relègue au rang de l’étrangeté absolue, ne facilitant pas l’identification. Ça ne durera pas éternellement.

 

Mais notre première véritable accroche est Steve – un personnage d’une richesse exceptionnelle, un peu loser, un peu naïf, humain au sens le plus chaleureux et appréciable, et qu'importe son passé délinquant, au-delà du bien et du mal. Dans sa relation ambiguë avec Carolyn comme avec sa propre histoire, savamment floutée le temps nécessaire, Steve sonne vrai, comme le type qu’on croiserait dans un bar, sans rien savoir de lui et de tout ce qui en fait un être humain à part entière, mais en ayant la conviction tacite de son importance à son échelle. Et c'est bien ainsi qu'on le découvre. Il est aussi profondément sympathique, sans arrières-pensées – en cela, il offre un contraste marqué avec son interlocutrice Carolyn, dont nous savons qu’elle ne dit pas tout, et qu’elle manipule l’ex-cambrioleur devenu plombier. Cette dimension du personnage de Steve devient toujours plus sensible au fil du roman, jusqu’à atteindre une forme d’apogée quand il prend soin, au mépris de sa propre vie, de sauver sa compagne Naga à l'agonie. Son Bouddhisme pour les nuls (ou pour les cons comme lui, selon ses propres termes) s’avère plus riche et sincère que bien des protestations d’adhésion à telle ou telle foi parce qu’il en faut bien une. Mais Steve est aussi le plus humain de tous ces personnages dans sa souffrance, en dernier ressort – car, à la différence de ce qui s’est produit pour Carolyn ou pour David, la profonde douleur ressentie par Steve ne l’a jamais dénué de sa plus profonde encore humanité ; quitte à ce qu’elle s’exprime en définitive dans le refus le plus redoutable de s’en exonérer : la pulsion suicidaire.

 

Un autre personnage « américain », mais particulièrement badass, est à mentionner, et c’est Erwin – un vrai bonheur. C’est le personnage fondamentalement « bigger than life » et qui pourtant reste humain ; la légende vivante qui fait son boulot au quotidien ; le type qui aide les autres, même violemment. Erwin aurait pu être une caricature – de vétéran des meuwines revenu de l’Afghanistan avec un bon vieux PTSD des familles. D’une certaine manière, c’est ce qu’il est – mais Scott Hawkins l’a tiré du côté systématiquement lumineux. Il incarne une forme de résilience qui suscite l’admiration. Erwin devrait être trop pour être humain, mais le demeure en définitive. Et, bordel, c’est pas tous les jours qu’un personnage de militaire de carrière entretient ma sympathie… Erwin est une figure relativement secondaire dans le roman (ou en tout cas pas au même niveau que Carolyn et Steve ; concernant David, ça se discute, car il est d’une certaine manière son reflet dans un miroir – les deux ne peuvent donc que s’affronter, même si c’est avec des cartes truquées), mais ses apparitions, même en uniforme, un flingue en main ou en ligne directe avec le président, sont d’étranges et salutaires respirations.

 

La question de l’humanité se pose différemment pour Carolyn, ses frères et ses sœurs. D’une certaine manière, c’est le propos du roman : Carolyn a été humaine, mais, dans ses attributs de bibliothécaire et pour exécuter son plan, elle doit ne pas l’être – et elle y a travaillé très, très longtemps. Une expérience personnelle qui relève d’un choix ? Pas si sûr… Car il y a eu formatage de la part de Père – dépouillement progressif de l’humanité, par la douleur individuelle et tout autant le spectacle de celle des autres. Il y a eu, aussi, un déclic – associé à David, sinon à Père lui-même. Mais justement : Carolyn entre ici en résonance avec « son adversaire », David ; lequel n’avait rien d’un monstre initialement, mais avait dû le devenir, dans le cadre de l’enseignement rigoureux et impitoyable de Père. Carolyn et David, en dernier ressort, sont bel et bien des monstres qui ont dû oublier leur humanité – mais Carolyn dispose d’un long épilogue pour tenter d’y revenir, au moins en partie, la partie utile car sensible. Ce qui se fera au contact d’un Steve qui n’en peut plus. Une bonne occasion de se retourner sur le passé – et sur David, le rival.

 

En définitive, seul Père est totalement inhumain – à bon droit, car, le concernant, il ne s’agit pas d’un jugement de valeur, mais d’un pur constat objectif. Il a pu dépouiller ses « enfants » de ce qualificatif malvenu, mais peut-être pas totalement – et, si ça se trouve, en pleine conscience de ce qu’il faisait, dans un sens ou dans l’autre (car opposer naïvement le bien et le mal ne ferait décidément pas sens ici).

 

Cependant, Le Bouddhisme pour les nuls ou pas, d’autres personnages doivent être mis en avant, qui n’ont rien d’humain non plus, mais suscitent pourtant une profonde empathie : les animaux chers à Michael, et au premier chef le couple de lions, Dresde et (surtout) Nagasaki. Ils ont d’ailleurs une autre fonction : plus encore que les personnages « humains » (au sens large), ils peuvent incarner des archétypes propulsant l’ensemble du récit au rang mythologique – dans une égale mesure par rapport à Père, si ça se trouve.

 

UN STYLE AU NATUREL

 

Enfin, le style de La Bibliothèque de Mount Char m’a beaucoup plu – et tout particulièrement les dialogues, mais la narration bénéficie d’une même fluidité, d’une même spontanéité (apparente, du moins), qui font ces livres qui coulent tout seul, se savourent et réjouissent. C’est une forme d’oralité, mais cela va probablement au-delà. Quoi qu’il en soit, à mes oreilles, cela sonne vrai – bien au-delà d’un vulgaire art de la punchline ou de l’aphorisme, et ceci quand bien même telle réplique bien sentie, telle description usant de termes incongrus, peuvent constituer autant d’appels à la citation facebookienne, mettons ; si je m’en suis abstenu, c’est pet-être parce que le livre entier mériterait d’être cité.

 

Tout le monde n’est pas de cet avis. J’ai vu çà et là des remarques portant sur les niveaux de langage qui bougent sans cesse, du plus soutenu au plus familier. Pour moi, c’est un atout – peut-être parce que j’ai le sentiment de parler moi-même comme ça ? En tout cas, ça a clairement facilité mon immersion dans le récit, comme mon identification aux personnages, quand cette notion n’est pas hors-jeu (essentiellement concernant Steve, mais cela peut impliquer d’autres figures du roman).

 

Bien sûr, j’ai lu ce livre dans sa version française – dès lors, le travail du traducteur est essentiel : je crois, sans la moindre surprise, que Jean-Daniel Brèque a accompli un excellent travail. En tout cas, le rendu français est en parfaite adéquation avec les modes empruntés par la narration comme avec le naturel, même tourmenté et ambigu, des personnages, dont les échanges sonnent vrai justement parce qu’ils sont susceptibles de variations, en fonction du contexte ou de l’humeur. Un bon personnage n'est que rarement monolithique.

 

BONNE PIOCHE (MAIS NE PAS TROP EN ATTENDRE NON PLUS)

 

Le bilan, dès lors, est clairement positif. La Bibliothèque de Mount Char est un roman efficace et stylé, porté par de beaux personnages et une jubilation de tous les instants – ou presque, car, en définitive, le roman peut aussi se montrer grave, sans qu’il s’agisse forcément de faire dans la rupture de ton ; il s’agit plutôt de la continuité somme toute bien naturelle de personnages qui, dans leur rapport au monde, offrent comme de juste des réactions toujours variées, toujours changeantes : c’est cette adaptabilité aux circonstances qui en fait des êtres de chair et de sang, au-delà du statut cosmologique et mythique – finalement, on en revient à l’humanité, ou à la variable la plus approchante dans les cas où cette qualification est moins adaptée.

 

Il ne faut cependant pas trop en attendre non plus. Les louanges unanimes ont eu cet effet pervers, sur ma lecture tardive, que j’en attendais beaucoup plus – de ce qui fait les chefs-d’œuvre, les livres qui durent, qui restent. Je ne suis franchement pas certain que le premier roman de Scott Hawkins entre vraiment dans cette catégorie. Il est en tout cas bien moins original qu’on ne l'a dit, si je lui concède tout de même une forme de singularité ; ce n’est pas non plus un roman aussi fou qu’on l’a dit, s’il a bel et bien un caractère ludique et souvent jubilatoire.

 

C’est déjà bien assez pour mériter qu’on s’y attarde. La Bibliothèque de Mount Char est assurément un livre enthousiasmant, et un premier roman de très bon augure pour la suite. Je garderai donc un œil sur la production future de l’auteur, dont j’attends… eh bien, beaucoup. Trop ? C’est la suite qui nous le dira.

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L'Appel de Cthulhu (V7) : La Pierre onirique

Publié le par Nébal

L'Appel de Cthulhu (V7) : La Pierre onirique

L’Appel de Cthulhu (V7) : La Pierre onirique, Contre le Chaos Rampant, [Call of Cthulhu: The Dreaming Stone], Sans-Détour, [1997] 2017, 80 p.

LA FIN DU RÊVE

 

Et voilà : j’en arrive aujourd’hui (après Les Contrées du Rêve, Kingsport, la cité des brumes, Le Sens de l’Escamoteur et Murmures par-delà les songes, à la cinquième et dernière chronique en rapport avec le financement participatif de l’édition « Prestige » des Contrées du Rêve pour la septième édition de L’Appel de Cthulhu, chez Sans-Détour ; il y a encore du matériel en sus, en forme de goodies plus ou moins gadgétoïdes mais le plus souvent très beaux et très appréciables, mais je peux difficilement en dire davantage ici…

 

L’aventure s’achèvera donc avec La Pierre onirique, une campagne se passant (presque) intégralement dans les Contrées, écrite par Kevin Ross, et publiée originellement en 1997 ; elle fut semble-t-il longtemps la seule campagne de ce type pour L’Appel de Cthulhu, même si, depuis, et partie intégrante de ce crowdfunding, il y a eu au moins Le Sens de l’Escamoteur pour explorer davantage cette matière bien rare (et le passage des années se fait ici sentir, car sur une base assez proche, les développements sont finalement tout autres).

 

À la différence des quatre autres titres précédemment traités, La Pierre onirique n’est pas disponible à la vente seul : c’est un contenu exclusif de l’édition « Prestige » des Contrées du Rêve – ce qui se traduit notamment par son absence de numérotation au dos. Mais je suppose que c’est aussi ce qui « justifie » quelque chose d’un peu mesquin : c’est le seul des cinq livres du trouvage de corbeau à ne pas être relié en dur… Pas grave, mais un peu dommage.

 

Par ailleurs, tant qu’on en est aux considérations matérielles, il faut relever que la taille n’est pas forcément très révélatrice : le bouquin fait 80 pages, une soixantaine si on enlève les annexes, et c'est donc le plus court des cinq en termes de pagination, très nettement. Pour autant, la campagne n’est pas forcément brève – elle est d’une taille standard, qui vaut bien par exemple Le Sens de l’Escamoteur, et pourrait même aller au-delà. Il faut dire que le contenu est très dense, d’autant sans doute que, autre bizarrerie, l’éditeur a ici déclaré la guerre aux sauts de page : tout le texte est présenté en continu, les différents épisodes (ou scénarios) de la campagne ne se voyant pas distingués matériellement au-delà du sommaire : on a un seul très gros chapitre. Ce que je re-trouve un peu mesquin. Cela n’a sans doute encore rien de dramatique, mais cela n’aide pas à s’y repérer et à naviguer aisément entre les divers éléments utiles, a fortiori sur le vif.

 

Par contre, de manière plus positive, les illustrations sont assez nombreuses et généralement assez chouettes – notamment celles renvoyant au bestiaire, assez développé ; et les aides de jeu, tout spécialement en fin de volume, où elles sont en pleine page, sont très belles et incomparablement plus lisibles que ce à quoi nous avait habitués Sans-Détour avec la V6 de L'Appel de Cthulhu. J’espère (et suppose) que l’éditeur poursuivra sur cette lancée, c’est très appréciable.

 

PIERRE QUI ROULE ET CHAOS QUI RAMPE

 

La Pierre onirique est une campagne qui se passe donc presque intégralement dans les Contrées du Rêve – presque, car il y a un prologue et un épilogue dans le Monde de l’Éveil ; par contre, entre les deux, il n’y a pas de possibilités de retour, même très temporaire, un trait semble-t-il commun à ce genre de scénarios.

 

Dès lors, nulle surprise à cet égard, mais disons-le au cas où pour les éventuels lecteurs novices : l’aventure qui nous est ici proposée n’a peu ou prou rien à voir avec votre séance « classique » de L’Appel de Cthulhu ; les investigateurs deviennent des aventuriers, et l’Amérique des années 1920 cède la place à un univers de fantasy coloré, bigarré, ouvertement surnaturel – et peut-être plus propice aux rencontres mouvementées avec des créatures à passer au fil de l’épée (votre calibre .38 ne fera pas le voyage, lui).

 

Cependant, nous commençons bien dans le Monde de l’Éveil, les investigateurs sont des occultistes qui ont régulièrement eu maille à partir avec un rival du nom de Byron Humphrey. Celui-ci, toutefois, semble désireux (mais pourquoi ?) d’enterrer la hache de guerre, et requiert l’aide des PJ concernant une étrange pierre sur laquelle il a tout récemment mis la main – un artefact dont il ne doute pas qu’il a des propriétés occultes d’importance.

 

Certes : cette Pierre onirique est une émanation de Nyarlathotep, le Chaos Rampant – une sorte de piège, autant le dire, attirant ses victimes dans les Contrées du Rêve pour y emprisonner leurs âmes… Et le piège se met en place, qui expédie d’abord Byron Humphrey et la Pierre onirique elle-même dans les Contrées, puis les investigateurs, qui n’ont guère d’autre choix, s’ils entendent revenir un jour sur Terre, que de se lancer sur la piste de leur rival et de son curieux artefact…

 

À LA POURSUITE D’UN RÊVE (OU : POUR LA SUITE, ÇA SE PASSE LÀ-BAS)

 

Par chance pour nos héros, la piste de Byron Humphrey n’est guère difficile à suivre : l’arrogance cultivée du bonhomme fait qu’il ne passe pas inaperçu, et il se trouvera toujours un aimable citoyen des Contrées pour indiquer la direction prise par le zouave.

 

L’occasion de pérégrinations dans les Contrées, qui couvrent une vingtaine de pages assez denses : de la Caverne de la Flamme aux Terres Interdites, en passant par le Bois Enchanté, le fleuve Oukranos (et la terrible malédiction de son dieu) ou encore la jungle de Kled, et Hlanith…

 

C’est un monde fascinant et riche, très coloré, abondant en opportunités de rencontres et d’aventures. L’ensemble se coule tout naturellement dans un mode de fantasy probablement pas inconnu des joueurs de manière générale, mais affiche cependant la singularité de l’univers onirique lovecraftien qui, pour être intéressant, doit justement s’émanciper de ce canon global (largement postérieur). Kevin Ross connaît ses Contrées, et multiplie les saynètes qui en témoignent – il déploie beaucoup d’efforts en ce sens.

 

Mais, du coup, ces pérégrinations sont dirigées : il s’agit de suivre la (double) trace de Byron Humphrey et de la Pierre onirique, et l’on sait toujours très facilement où il faut se rendre. La densité du scénario peut tout d’abord donner l’impression de multiples rebondissements qui devraient être savoureux en tant que tels, mais ça ne prend pas : passé ce mince et fragile vernis, les joueurs n’ont tout simplement aucune prise sur l’aventure à ce stade, et enchaînent mollement les rencontres qui sont finalement souvent autant de diversions imposées – l’abus des tables de rencontre (j’y reviendrai) en est peut-être le plus triste témoignage.

 

MAN IN THE MOON (SANS JIM CARREY)

 

Concernant ce dirigisme très marqué, la donne change un peu, tout de même, quand on en arrive au cœur de la campagne (après quoi il y aura de nouvelles pérégrinations de retour dans les Contrées, sur un mode assez proche de celui qui précède, à ceci près que les rôles seront alors inversés : cette fois, ce sont les PJ qui seront poursuivis).

 

Et ce cœur, c’est donc un voyage sur la Lune, où un suppôt de Nyarlathotep du nom de Vredni Vorastor, plus connu sous le sobriquet de l’Homme dans la Lune, vit dans un incroyable palais, avec Byron Humphrey pour invité, et sans doute aussi, à terme, les investigateurs eux-mêmes – en attendant que son Boss Nyarlathotep fasse la tournée de sa succursale lunaire pour bouffer les âmes de tout ce joli monde.

 

Se rendre sur la Lune n’a rien d’évident, même si quelques pistes sont clairement soulignées dans le bouquin, impliquant une galère noire des hommes de Leng, avec un capitaine veule et répugnant (et éventuellement des compagnons de route, pour la baston...) ; ici, exceptionnellement, les PJ ont toutefois un minimum de choix – par ailleurs, à condition de bien travailler l’ambiance, le voyage spatial et onirique pourrait susciter quelques beaux moments.

 

Sur la Lune, le palais est abondamment détaillé, avec un plan adéquat, et nombre de développements sur ses habitants, entités singulières comme Vredni Vorastor et sa (très, très) glauque promise Lucerna, ou sous-fifres génériques au service de l’Homme dans la Lune. Il y a ici une ambiance de non-sens morbide qui pourrait évoquer un Lewis Carroll ayant rejoint le côté obscur (du miroir) ; je suppose qu’il n’y a dès lors rien d’étonnant à ce que La Pierre onirique, sous cet angle, m’ait à plusieurs reprises rappelé un bouquin de jeu de rôle bien plus récent, le fascinant (et injouable me concernant) A Red and Pleasant Land, pour Lamentations of the Flame Princess.

 

Toutefois, le temps presse : Nyarly arrive, il faut s’être barré avant qu’il ne sonne à la porte. C’est le moment-clef de la campagne, où les PJ doivent organiser l’évasion de Byron Humphrey et la leur, sans oublier de reprendre au passage la Pierre onirique – et tant qu’à faire le bidule à ramener au dieu Oukranos pour éviter de faire les frais de sa colère (si les joueurs y pensent encore).

 

Dès lors, nouveau lien avec A Red and Pleasant Land, le palais fantastique de l’Homme dans la Lune ressemble tout de même un peu, en fin de compte, à un bon vieux donjon des familles, avec une adversité conséquente (voire plus que ça), et des courses-poursuites haletantes (théoriquement…), qui ne prendront fin qu’avec le retour des PJ dans le Monde de l’Éveil.

 

SITES DE RENCONTRES (ADOPTE UN MONSTRE SUR MYTHIC DE CTHULHU)

 

Ultime illustration d’un gros problème de la campagne à mes yeux, corollaire de son dirigisme marqué : la multiplication recommandée des rencontres plus ou moins en lien avec la « quête principale », si j’ose m’exprimer ainsi – et des rencontres souvent tirées sur des tables aléatoires, comme s’il n’y en avait pas déjà assez comme ça (et il y en a plus qu’assez). Si ce n’est pas systématique (ouf), nombre de ces rencontres, aléatoires ou pas, peuvent dériver vers la baston pure : non, décidément, ce n’est pas votre partie lambda de L’Appel de Cthulhu. C’est une aventure de fantasy plus qu’à son tour héroïque, et assez old school dans son traitement – trop, probablement. Et finalement pas très enthousiasmante, même si Kevin Ross s’amuse avec les singularités de l’univers onirique lovecraftien.

 

Notons d’ailleurs que ces (bien trop) nombreuses rencontres peuvent s’avérer très coriaces – notamment chez Vredni Vorastor, of course. En fait, cela a un impact sur les rares décisions que peuvent prendre les joueurs, quand le scénario les y autorise, ou plutôt semble les y autoriser : il y a tant d’optiques résolument suicidaires que la « bonne » solution, la plus raisonnable ou la moins déraisonnable, apparaît très clairement – cela ne fait donc que renforcer le dirigisme omniprésent de La Pierre onirique.

 

Peut-on alors se passer de ces rencontres ? Probablement pour bon nombre d’entre elles – et au premier chef celles générées aléatoirement sur des tables. Mais faut voir, parce que cela revient en même temps à déshabiller un peu vertement la campagne : à trop vouloir tailler dans le gras, on risque fort de se retrouver en face d’un navrant squelette – ce qu’est au fond la quête de La Pierre onirique…

 

(BAILLE)

 

Il y aurait peut-être un équilibre à trouver entre les deux, mais, pour dire les chose, c’est un effort que je n’ai pas envie de fournir : tout ça ne m’emballe pas. Tout ça m’ennuie, même – me fait bailler…

 

Et c’est peut-être dommage, oui – car il y a de bonnes idées, çà et là, des rencontres amusantes exceptionnellement, et un peu plus souvent de beaux morceaux d’ambiance, dans les Contrées, dans l’espace, sur la Lune…

 

Il y a quelques blagues, aussi – dont une, ultime, par ce vilain trickster de Nyarlathotep. Disons-le : ça ne suffit pas à changer la donne. Clairement pas. Même si jouer ce vilain tour aux joueurs pourra faire jubiler les plus sadiques des Gardiens.

 

La Pierre onirique, sans être à proprement parler calamiteuse, est finalement une campagne assez médiocre, et qui a peut-être aussi pris un coup de vieux ; le contraste avec Le Sens de l'Escamoteur, campagne bien plus récente et assez proche dans son point de départ, est marqué. En l’état, c’est le moins intéressant des cinq suppléments de l’édition « Prestige » des Contrées du Rêve.

 

Ceux qui n’ont pas investi dans le financement participatif n’ont donc pas forcément beaucoup de regrets à avoir concernant ce bonus exclusif, qui demeure pourtant un apport bienvenu pour les autres – même en étant une campagne globalement ratée, La Pierre onirique renferme davantage de matériau exploitable que bien des goodies, ne serait-ce que pour se poser la question pas si simple de ce qu’il est possible et souhaitable de faire dans les (ou avec les) Contrées du Rêve, et ce qu’il vaut mieux éviter.

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Pline, t. 5 : Sous les vents d’Éole, de Mari Yamazaki et Tori Miki

Publié le par Nébal

Pline, t. 5 : Sous les vents d’Éole, de Mari Yamazaki et Tori Miki

YAMAZAKI Mari et MIKI Tori, Pline, t. 5 : Sous les vents d’Éole, [プリニウス, Plinius 5], traduction [du japonais par] Ryôko Sekiguchi et Wladimir Labaere, adaptation graphique [par] Hinoko, [s.l.], Casterman, coll. Sakka, [2017] 2018, 186 p.

MAKE POMPEII GREAT AGAIN

 

Retour à Pline, le nouveau manga historique de Yamazaki Mari (Thermæ Romæ) et Miki Tori, avec ce tome 5 paru tout récemment. Comme d’habitude à ce stade d’une série, faire des comptes rendus détaillés m’est de plus en plus difficile, et il serait vain d’en faire trop côté contextualisation… Je vais donc tâcher de faire plus bref et plus direct.

 

Avec quelques thèmes d’abord – même si le premier que j’ai choisi, nettement moins important que les deux qui suivront, peut sonner simplement comme une blague… Cependant, il s’agit probablement de rebondir sur certains éléments du tome précédent tout particulièrement, un tableau bien sinistre de l’humanité, qui avait enfin provoqué la colère misanthrope de Pline – la ville de Pompéi ravagée par un séisme était en effet parcourue par de bien égoïstes personnages, prêts à tout pour survivre en lieu et place des autres ; même s’il y en avait, certes, pour faire davantage preuve d’altruisme autant que d’abnégation.

 

Ici, nous retrouvons un bel exemple de gros connard, en la personne de Fuscus – un élu stupide et borné, vulgaire et haineux, obsédé par sa réélection, et dénué de la moindre humanité. Il s’en prend commodément à une femme, Mirabella – l’ingénieure que nous avions déjà croisée et appréciée dans les tomes précédents. Celle-ci est formelle : les thermes de la ville peuvent s’effondrer d’un instant à l’autre – il faut les interdire au public, et les détruire pour les rebâtir intégralement. Mais Fuscus refuse : qu’elle rafistole ce qui se voit, il ne fermera pas les thermes, et qu’importe le danger pour les usagers !

 

Pour que le malotrus, grossier et expansif, ferme enfin sa vilaine bouche, il y faudra deux choses – assez classiquement : une bonne mandale de la part de Félix (visiblement fou amoureux de Mirabella), et une menace appuyée de la part d’une authentique femme de pouvoir, Asellina.

 

Or Fuscus ne nous est pas complètement inconnu… car les auteurs ont choisi de lui donner les traits de Donald Trump. C’est flagrant dans ce premier épisode où nous le voyons exhiber toute sa laideur intérieure, et l’on ne peut s’empêcher, alors, de se dire que pareil connard bien réel est un vrai cadeau pour des dessinateurs – sans même verser forcément dans la caricature. Dans l’habituel « Charivari » qui conclut ce volume comme tous les autres, Yamazaki Mari et Miki Tori ne se cachent certes pas : oui, c’est bien de Donald Trump qu’il s’agit – en précisant toutefois que l’épisode avait été livré avant son élection à la présidence des États-Unis. Mais le personnage n’en est que plus hideux depuis… Alors qu’il est enfin sur le départ, Asellina, autrement digne (mais aussi dans une perspective dynastique marquée – je suppose qu'il faut y voir un autre commentaire de l’élection américaine ?), lui lance : « Si seulement tu déployais autant de talent à servir la ville que tu profères d’insultes ! » L’évolution des événements depuis l'entrée du gros con à la Maison Blanche n’a certes pas contredit ce sentiment de dégoût…

 

Est-ce gratuit ? Je ne le pense pas, dans la mesure où il s’agit probablement, là encore, de figurer un tableau exhaustif des bassesses humaines, qui, toutefois, n’exclut en rien (voire justifie carrément), un autre tableau, plus lumineux, des individus à même de faire preuve de dévouement et d’empathie – qualités dont Fuscus/Trump est totalement dépourvu. Mirabella, Asellina, Félix sont heureusement là.

 

VOYAGES EXTRAORDINAIRES ET BESTIAIRE FANTASTIQUE

 

Cependant, le thème principal de ce cinquième volume est ailleurs, et, disons-le, beaucoup plus enthousiasmant – en accentuant la dimension qui me plaît le plus dans cette BD : l’idée d’accorder du crédit, sur un mode scientifique, aux passages de l’Histoire naturelle où Pline raconte les choses les plus étranges, et, à nos yeux contemporains (mais c’est justement le décalage qui produit de la saveur), parfaitement antiscientifiques…

 

Ici, cela passe d’abord par le récit de ce bien curieux bonhomme qu’est Larcius, vieux fou qui a beaucoup bourlingué et qui passionne son auditoire, Pline inclus comme de juste, avec ses anecdotes fantasques de rencontres impossibles de par le vaste monde. Il nous entretient, par exemple, de ces blemmyes qui n’ont pas de tête, mais qui « portent bouche et yeux sur la poitrine » (la couverture leur fait honneur et c’est bienvenu), ou encore de ces himantopodes dont les jambes s’achèvent en bandes de cuir…

 

Ces récits hallucinés ne manquent pas de séduire Pline. On lui avait suggéré de fuir Rome autant que possible, pour échapper à la double menace de Néron et de Poppée (que l’on entrevoit à peine, très fugacement, dans ce tome 5, et je suppose que c'est pas plus mal). Du sud de l’Italie, il semblait désireux de gagner la Grèce… mais le voilà qui, sur un coup de tête, préfère embarquer pour l’Afrique, ce continent si méconnu et visiblement riche de secrets à même de fasciner un naturaliste !

 

Il y a ici un habile jeu entre les merveilles attendues classiquement dans le genre bien codifié des voyages extraordinaires, et la réalité autrement prosaïque et même parfois fort laide de ce que sont réellement les voyages – la tempête, les pirates, la cruauté utilitariste des marins qui ne valent parfois guère mieux… Le pauvre Félix tout particulièrement en fait les frais : l’ex-légionnaire n’a guère le pied marin.

 

Mais, ce qui est très bien vu, ici, c’est la manière dont ce voyage « réaliste » se pare soudain d’atours qui peuvent paraître fantastiques alors qu’ils ne le sont en rien – en l’espèce, nos voyageurs sont fascinés par des feux de Saint-Elme, phénomène étrange suscitant bien des superstitions, mais que Pline et quelques autres sont pourtant portés à envisager « rationnellement ».

 

Ceci étant, la dimension fantastique, ou fantastiquisante, de ce volume 5, ressort aussi de quelque chose de plus habituel : un bestiaire imaginaire qui paraît pourtant bien réel, à base d’animaux fort étranges… Pline, cette fois, disserte sur les lièvres marins et les propriétés très curieuses, mais pas moins fatales, de leur venin. Félix, s’il croit aux lémures, retrouve son rôle paradoxal d’homme du commun plus que sceptique face à l’érudition du naturaliste – et le simple constat de ce qui se produit sous leurs yeux lui permet de contredire Pline, lequel, visiblement embarrassé, entend justifier son intenable position en bottant en touche… jusqu’à ce que la « réalité » rattrape enfin la scène, pour donner raison à son premier pronostic, invalidant le second, en sus du scepticisme de Félix !

 

Autant de choses très bien vues, et qui, à mon sens, tirent ce cinquième volume vers le haut : ce jeu consistant à prendre l’Histoire naturelle au pied de la lettre, au premier degré, me plaît décidément beaucoup.

 

L’HOMME ET LE VOLCAN

 

Mais, sur la durée, il est bien sûr un autre aspect de ce tome 5 à mettre en avant, car il continue de dérouler ce qui apparaît clairement depuis pas mal de temps comme étant le véritable fil rouge de la série : le rapport de Pline aux volcans.

 

Bien sûr, nous savons que Pline l’Ancien, le Pline historique, est mort dans l’éruption du Vésuve de l’an 79, qui devait ravager Pompéi et Herculanum. Le premier tome avait mis l’accent sur cette scène fameuse, sans pourtant la montrer – simplement en la préparant, et en laissant les choses en plan pour passer aux choses (véritablement ?) sérieuses : ce long flashback qui commence vingt ans plus tôt, moyen pour le lecteur de découvrir la biographie fantasmée par Yamazaki Mari et Miki Tori de ce grand personnage de l’histoire dont la vie nous est pourtant inconnue, seule sa mort étant documentée.

 

Et ce flashback avait bien sûr commencé avec un autre volcan, une autre éruption : Pline, gouverneur de Sicile, assistait à la colère de l’Etna, et recrutait le jeune Euclès dans les ruines mêmes de tout ce qu’il avait jamais connu. Plus tard, Pline et ses camarades ont eu maintes occasions de s’interroger sur les phénomènes sismiques, et, tout récemment, alors qu’ils se trouvaient à Pompéi, ils ont bien failli en faire les frais. En résultait cette « illumination » (dont je ne sais toujours pas si elle est crédible ou pas ?) : le naturaliste comprenait que le majestueux Vésuve était un volcan, ce qui avait semble-t-il échappé à tout le monde, même si quelques témoignages de l’érudition livresque pouvaient aller en ce sens – et, comme toujours, ce sont bien les livres des anciens qui convainquent Pline de ce qu’une chose est vraie (une mauvaise langue balancerait ici un mème du genre : « C’et vrer je les lue sur internait. »)

 

Dans ce volume 5, Pline tombe sur un troisième volcan italien : le Stromboli, dans les îles Éoliennes. Nouvelle « illumination » ? Car Pline ne manque pas de remarquer que, du sud au nord, l’Etna, le Stromboli et le Vésuve forment un alignement parfait… Ce qui renforce sa conviction de ce que ce dernier est bel et bien un volcan. À vrai dire, ce constat pourrait avoir des implications plus stupéfiantes encore, mais je suppose que les auteurs ne vont pas aller jusqu’à nous montrer un Pline comprenant la tectonique des plaques – je suppose.

 

Mais Pline, en pareille affaire, n’est visiblement pas qu’un savant désireux de décrypter le monde – sa fonction archétypale, pourtant. Il est aussi un homme qui, via ce thème particulier, semble engagé dans une relation peu ou prou charnelle et en même temps périlleuse avec la nature, et plus particulièrement les volcans : il y a de la fascination dans cette relation, une fascination qui peut éventuellement prendre des teintes morbides – car ce n’est certes pas la première fois, dans cette BD, que l’insouciance (sans doute seulement apparente) du naturaliste a quelque chose de proprement suicidaire ; ce qui, en retour, pourrait éclairer sous un jour nouveau la fin tragique de Pline l’Ancien, dans l’éruption du Vésuve de 79 ? Nous n’en sommes pas encore là (ou nous n’y sommes pas encore revenus ?), mais le lien est tentant – via d’ailleurs le compagnon de route Euclès, qui bouclerait la boucle en partant de l’Etna, et accompagne ici seul Pline sur les pentes du Stromboli déchaîné.

 

Et, bien sûr, mais je ne vais pas à nouveau m’y étendre, le thème des volcans, y compris dans sa dimension éventuellement morbide, est idéal pour rapprocher l’Italie de Pline du Japon des auteurs, par-delà les siècles, par-delà les continents.

 

FESTIVAL FÉLIX – ET UN NOUVEAU COMPAGNON ?

 

Quelques mots, enfin, sur les personnages dans ce cinquième volume – ou plus exactement sur deux d’entre eux, car, dans les sections précédentes, j’ai pu évoquer quelques personnages secondaires, outre les centraux Pline et Euclès.

 

Et, tout d’abord, Félix. J’avais déjà fait part de ce que c’était mon personnage préféré de la BD, le plus sympathique, le plus attachant. Je ne suis visiblement pas le seul à le penser (une évidence), et les auteurs, ici, semblent confesser qu’il en va de même pour eux. C’est un excellent ressort comique, notamment, mais son utilité va au-delà : par exemple, il faut donc aussi prendre en compte sa posture paradoxale de sceptique pourtant pas épargné par les superstitions ; il est celui qui ose contredire Pline, et parfois à raison. Toutefois… eh bien, dans le présent volume, j’ai le sentiment que Yamazaki Mari et Miki Tori en ont peut-être un peu trop fait : c’est un véritable festival, Félix est plus agité que jamais, bavard, expansif, puéril aussi. Il est toujours aussi sympathique, jusque dans ses pires travers, mais j’ai l’impression qu’il bouffe un peu trop l’écran, si j’ose m’exprimer ainsi, ce qui nuit tant aux autres personnages… qu’à lui-même, au fond. Un chouia plus de retenue serait pour le coup profitable à l'ensemble – même si j’adore toujours Félix.

 

Sur un mode également ambigu, il faut enfin relever que notre trio (Pline, Euclès, Félix) pourrait bien devenir un quatuor ? Car, au cours de leur voyage mouvementé de Naples à Stromboli, nos héros font la rencontre d’un… petit… garçon ? qui demeure anonyme pour l’heure – mais paraît hors du commun, avec sa connaissance remarquable de la navigation comme des étoiles, des volcans aussi, et de bien d’autres choses encore… sans même parler de son corbeau, Ftera, avec lequel il entretient une relation quasi surnaturelle. Il est trop tôt pour que je me prononce à cet égard. Le personnage, pour l’heure, a un peu quelque chose d’un expédient kawaï, et, en même temps, a un potentiel plus riche, au regard des scènes les plus étranges dans lesquels il figure. Nous verrons bien…

 

UN BON CRU

 

Il faut ajouter à tout cela, bien sûr, la grande qualité du dessin, toujours aussi bon, ou peut-être même encore meilleur tome après tome ? J’ai l’impression, en tout cas, que l’ensemble me parle de plus en plus. Ici, cela vaut autant pour le caractère très expressif des personnages – ainsi la charmante Mirabella, le petit garçon (?) kawaï, et bien sûr l’expansif Félix (sans même parler de Fuscus/Trump...) – que pour la minutieuse autant que méticuleuse reconstitution de la civilisation romaine, et enfin pour le rendu très impressionnant de l’intimidante majesté de la nature, et tout particulièrement, ici, la scène très forte de l’éruption du Stromboli.

 

Un bon cru, donc, que ce tome 5. La série demeure un peu inégale, parfois (les tomes 2, surtout, et 4 m'ont paru inférieurs aux tomes 1, 3 et 5), mais là j’ai l’impression qu’on y trouve ce qu’elle a de plus enthousiasmant à nous offrir.

 

À suivre, donc, avec le tome 6.

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