BREE ET ALENTOURS
Et j’en arrive sauf erreur au dernier supplément publié (pour l’heure) dans la gamme d’Adventures in Middle-Earth ; c’est en même temps le premier supplément (de contexte et de scénarios) de cette gamme que je lis sans avoir lu au préalable sa première itération dans la gamme de L’Anneau Unique – qui existe bel et bien, sous le nom plus lapidaire de Bree (mais ce supplément n’a pas été traduit en français).
Bree ?!
Bree.
On avouera que c’est un choix un peu étonnant, que de consacrer un supplément de contexte à Bree et à ses alentours immédiats (incluant en fait essentiellement les trois autres villages d’Archet, Combe et Staddle). La région couverte est infiniment plus resserrée que dans les deux précédents Region Guides de la gamme, à savoir le Rhovanion Region Guide, qui couvrait toutes les Terres Sauvages à l’est des Monts Brumeux, et le Rivendell Region Guide, lequel portait sur l’Eriador oriental. En fait, le Bree-Land Region Guide est intimement lié à ce dernier, qu’il prolonge un chouia vers l’ouest, pour s’arrêter un peu avant les limites de la Comté – sans s’étendre cependant sur les environnements les plus spécifiques qui se trouvent entre les deux, on repassera notamment pour ce qui est de la Vieille Forêt (et ça je le regrette quand même un peu).
Ce lien avec le Rivendell Region Guide peut d’ailleurs éventuellement se redoubler d’un autre avec Eriador Adventures, le recueil de scénarios qui en dérivait, dans la mesure où le Bree-Land Region Guide, plutôt que de se scinder en deux suppléments, un de contexte et un de scénarios, comme il était d’usage autrement dans la gamme, comprend trois aventures destinées à des personnages de bas niveau (1 à 5), qui forment une mini-mini-campagne et peuvent être envisagées comme un prologue aux scénarios autrement épiques d’Eriador Adventures – ce qui implique cependant de réécrire pas mal le premier scénario de ce recueil, qui, comme on l’avait vu, commençait à l’est des Monts Brumeux : les scénarios du Bree-Land Region Guide sont un moyen de faire débuter la campagne directement en Eriador – en l’espèce à Bree, donc.
Bree ?!
Bree.
Oui, c’est un choix un peu étrange… Une région très réduite, et une ambiance très particulière – aux antipodes de l’aventure, à vrai dire. Ceci, notamment, parce que Bree et les trois autres villages qui constituent ensemble le Pays de Bree sont en fait protégés des menaces extérieures, et sans en avoir le moins du monde conscience, par les patrouilles scrupuleuses des Rôdeurs du Nord, les Dúnedain – qui n’en retirent aucun mérite : pour les Hommes de Bree, ils ne sont jamais que des individus louches à force d’être mystérieux, probablement guère plus que des brigands… Mais la protection des Rangers s’applique aussi (et surtout ?) à la Comté, toute proche, et les liens entre le Pays de Bree et le havre de paix des Hobbits ne manquent pas. À vrai dire, s’il est une particularité de Bree qui doit être mise en avant à cet égard, c’est probablement cette population unique, qui mêle Hommes et Hobbits.
Maintenant, dans le contexte ludique d’Adventures in Middle-Earth, une autre chose distingue le Pays de Bree, et c’est son caractère « « « « « « urbain » » » » » ». Oui, beaucoup de guillemets… C’est que Bree n’est qu’un village, de taille très restreinte – et, dans les environs, Archet, Combe et Staddle sont plus petits encore. Cependant, à l’ouest des Monts Brumeux, tant que l’on n’arrive pas dans la Comté (et même alors...), on ne trouvera rien de mieux. À l’est, bien sûr, il en va tout autrement – avec notamment Dale et la Ville du Lac : Bree n’est qu’un village, pas une ville, encore moins une grande ville. Cependant, le caractère particulièrement désertique de l’Eriador, sur lequel appuyait tout spécialement le Rivendell Region Guide, rend en fait la situation de Bree plus singulière encore, aux limites de l’anomalie. Et c’est bien ainsi que sont envisagés ces petits villages : même bouseux, et caractérisés par un redoutable esprit de clocher, ils sont alors ce qui se rapproche le plus d’une ville – et le supplément joue toujours de ce thème, y compris d’ailleurs de manière vaguement « technique » : il introduit ainsi des environnements de combat « urbains » qui viennent compléter, avec portes et fenêtres le cas échéant, mais aussi les échos d’une taverne animée, ce que l’on trouvait dans le Loremaster’s Guide et qui portait essentiellement sur la nature sauvage et tout au plus les ruines.
La taverne, à vrai dire, a une importance toute particulière : Le Poney Fringant est la plus célèbre auberge de la Terre du Milieu, après tout ! Ce fameux lieu de passage se voit consacrer un chapitre spécifique – même si, honnêtement, je n’ai pas l’impression qu’il suffise à singulariser vraiment cet endroit : les lieux comme les personnages, au fond, pourraient décrire une autre auberge…
Cependant, le supplément joue plus habilement de cette idée de Bree comme un lieu de passage, et en même temps une ultime étape avant le désert – bon nombre des (rares) éléments techniques de ce supplément vont dans ce sens, avec par exemple la description d’une nouvelle culture héroïque portée sur le voyage, les Nains des Montagnes Bleues (qui se distinguent pas mal des autres cultures naines, pour le coup, avec un côté davantage social et érudit qui confine peut-être parfois au snobisme ; à noter, le supplément Bree de la gamme de L’Anneau Unique présentait lui aussi une nouvelle culture héroïque, mais différente, celle des Hommes de Bree – cependant, dans la gamme d’Adventures in Middle-Earth, les Hommes de Bree sont jouables depuis le début, c’est-à-dire le Player’s Guide), ou de nouvelles entreprises de communauté, dont une qui m’a l’air très intéressante alors qu’elle n’a l’air de rien de prime abord : écrire une lettre… Par exemple pour prévenir untel de ce que l’on va lui rendre visite, ce qui pourra rendre l’audience plus aisée (le jet d’introduction du moins), ou pour faire ses adieux au siens, et faciliter l’introduction d’un héritier ! Pour ce qui est des voyages, il faut enfin relever que, sous l’intitulé « An Empty Land », qui évoquerait peut-être davantage les régions plus à l’est, et doit éventuellement être pris avec un soupçon d’ironie, du coup (un trait caractéristique de l’écriture de ce bouquin, j’y reviendrai), le supplément propose des tables d’événements de voyage spécifiques, éventuellement liés (et de manière explicite le cas échéant) aux scénarios figurant dans sa seconde partie, et c’est toujours aussi bienvenu. Le guide comprend enfin son petit bestiaire, qui n’est pas très palpitant, pour être honnête.
Maintenant, si Bree est un lieu de passage, c’est aussi un îlot de provincialisme, avec un esprit de clocher très poussé. Les Hommes de Bree (et les Hobbits qui vivent dans le coin) ne crachent certes pas sur l’or des voyageurs, mais tout ce qui sent un peu trop « l’aventure » les amène automatiquement à se pincer le nez. Bree incarne la normalité – ce qui est en dehors est par essence suspect. Les habitants de Bree et des villages alentours ne savent donc pas ce qu’ils doivent à la protection obstinée mais discrète des Rôdeurs, mais cette attitude va bien au-delà. Décrivant quelques habitants notables des quatre villages, le supplément s’en donne à cœur joie, dans des passages très amusants. Voyez par exemple ce qui est dit de ce très utile PNJ qu’est Matthew Mugwort (pp. 18-19) :
There is wisdom and lore such that Wizards and Elves might possess through long years of study. And there’s the knowing of Bree, which Matthew Mugwort, a Hobbit, possesses in spades. Put any question to him – preferably, over a pint in The Pony – and he’ll answer it for you with complete and utter certainty. Matthew Mugwort knows right from wrong, and sensible business from the foolishness of foreign lands. He may not be counted among the Wise, but in Bree his opinion counts for a great deal indeed.
From his barstool, Matthew Mugwort has pronounced judgements upon many topics, like the Rangers (« troublesome outlaws, the lot of them »), Orcs (« they live far away in t’ mountains, they do, and it’s always them Dwerrves who’re stirring ’em up »), Outsiders (« all right so long as they don’t outstay their welcome »), Barrow-wights (« nonsense about ghosts – it’s just fog and broken stones that look like men »), and the future (« pay it no mind and it’ll attend to itself »).
As long as the beer’s flowing, Mugwort will argue about anything with the placid impenetrability of a man who is absolutely certain that there’s nothing of any worth outside Bree-land. If he’s present in the bar when adventurers arrive, he’ll argue with them and undermine anything they say: « You came from Rivendell? Ha! That’s out of fairy stories, man! Did you fly here on a magic boat, too? » .
(Any checks using Intimidation, Persuasion or Riddle automatically have Disadvantage. He is the living embodiment of the parochial attitude of most Bree-folk.)
Motivation: If I don’t know it then it’s not worth knowing.
Expectations: « Ah, you’re right to ask me, you are » +1 if the Company’s concerns are centered on the Bree-land; « Ye must not have been listening, let me repeat myself... » -1 if the heroes dispute his « facts ».
On a en tête La Ballade des gens qui sont nés quelque part, forcément… Mais voyez aussi la description et l’histoire du Smial de Staddle (p. 24) :
More properly, the Great Smial of Staddle, although you could just say the Smial and everyone in Bree-land would know where you mean. The Smial of Staddle is the vast and labyrinthine underground mansion of the Tunnellies, the richest Hobbits in the region.
The Tunnellies consider themselves the equal of any of the great families of the Shire, of the Tooks or Brandybucks or any other one would care to name. If anything, the Tunnellies say, their name is more prestigious, for the first holes of the Smial of Staddle were dug before any Hobbit entered the Shire.
The Tunnellies are not the only family to live in the Smial; after the Fell Winter, parts of the Smial fell into disuse, so other Hobbit families moved in, although they have to put up with the infamous tempers of their hosts.
The last war fought in Bree, the War of 2930 (also known as the War of Thursday Afternoon), after all, was started by the Tunnellies. They have always objected to the authority of the Reeve of Bree, except when (as often happens), the Reeve is a Tunnelly. On that fateful Thursday in 2930, the Reeve was not a Tunnelly, and when he made a ruling against the Tunnellies, they marched back to the Smial in high dudgeon.
The chieftain of the Tunnellies declared that Staddle would no longer be subject to the Reeve’s jurisdiction, and would henceforth stand alone. Some dozen Hobbits were sent out to seize the windmill and « secure the border »; some accounts insist that a pony-rider was dispatched cross-country to Buckland to rally support there.
As it turned out, the first council of war held in the Smial was accompanied by an exceedingly fine supper, and the newly commissioned thanes of Staddle took a long nap afterwards. On waking, they felt somewhat more reasonable, and hostilities ceased, with the only significant casualty being the Tunnelly wine cellar.
Every so often, a hot-blooded Hobbit of Staddle will threaten a « repeat of 2930 » or to « send a pony to Buckland » over some imagined slight from Bree.
J’avais envie de citer ce genre de passages, pour la simple raison que j’ai trouvé ce supplément très bien écrit – très agréable à lire, et souvent drôle, à vrai dire. La description de Bree, mais aussi d’Archet, Combe et Staddle, donc, joue beaucoup de ce genre de thématiques, avec des PNJ savoureux, quelques lieux aussi, et de manière assez intéressante – souvent drôle, oui… Quitte à forcer un peu le trait ? La « mélancolie de Combe » n’est pas exactement très crédible, hein, mais elle est assurément amusante !
QUAND L’AVENTURE VIENT À BREE
Demeure un souci : Bree est censément l’antithèse de l’aventure. On peut certes passer de bonnes soirées à l’enseigne du Poney Fringant, à boire quelques chopes et fumer quelques pipes en échangeant des ragots avec des voyageurs, ou en poussant la chansonnette, mais cela ne va guère plus loin : pour des aventuriers, Bree incarne dès lors bien vite l’ennui.
Et c’est peut-être bien pour cela que des compagnies centrées sur des Hommes de Bree et des Hobbits de la Comté peuvent assez aisément se former au Poney Fringant, de jeunes gens naïfs qui aimeraient bien, juste pour voir, faire un tour au bout du monde, soit à quelque chose comme 50 km de Bree grand max.
Mais, autrement, non, il n’est pas censé se passer quoi que ce soit à Bree. Ne serait-ce que parce que les Dúnedain veillent dans l’ombre, sans s’arrêter à l’ingratitude de ceux qu’ils protègent des périls du monde extérieur. C’est le paradoxe de ce supplément : il faut bien qu’il s’y passe quelque chose ! Bon, la protection des Rangers peut connaître quelques failles... Mais, à vue de nez, on ne fera pas vraiment ici dans l’épique – et c’est aussi en cela que ce supplément se montre plus particulièrement désigné pour des héros de bas niveau, un peu naïfs, qui n’ont pas déjà roulé leur bosse à travers toute la Terre du Milieu. En fait, Bree, comme dans Le Seigneur des Anneaux, est propice à une sorte de transition dans le ton du récit – on passe des histoires de Hobbits plutôt légères, fraîches et amusantes, éventuellement un peu puériles à vrai dire, mais agréablement fantaisistes, aux premiers aperçus d’une menace jusqu’alors inconcevable, pesant sur un monde infiniment plus vaste que ne pouvaient l’envisager nos héros, plus divers aussi, et incomparablement plus hostile.
Le supplément propose quelques suggestions d’accroches, sous l’intitulé « Adventuring in Bree », mais il faut surtout envisager ici les trois scénarios qui concluent ce Bree-Land Region Guide, à l’encontre du format jusqu’alors suivi qui associait deux suppléments, ces scénarios occupant en gros la seconde moitié du livre. Ils sont vaguement liés, peuvent donc former une mini-mini-campagne, et, comme on l’a vu plus haut, un prologue éventuel aux scénarios bien plus épiques d’Eriador Adventures. L’approche est donc assez différente – et ces aventures ont à vrai dire régulièrement quelque chose d’un peu « policier » qui tranche passablement sur le reste de la gamme.
Attention, même si je ne vais pas excessivement rentrer dans les détails de ces scénarios, il y aura clairement, dans les paragraphes qui vont suivre, des SPOILERS çà et là…
La première aventure s’intitule « Old Bones and Skin », et elle est très amusante. Même si cela n’a pas forcément un impact direct sur le jeu, l’auteur note qu’il s’est inspiré ici du « Poème du troll » improvisé par Sam dans Le Seigneur des Anneaux. De fait, ce scénario, même destiné à des personnages de niveau 1 ou 2, les confronte bel et bien à un troll, et pas le moindre – soit un ennemi particulièrement redoutable pour eux. Mais l’aventure est bien conçue, bien écrite, qui mêle « enquête » et « social », avec une traque tournant à la course-poursuite, des rebondissements, des alliés inattendus, ce genre de choses – et la perspective d’un bon gros butin ? Ici, j’ai comme un vague problème : là où le Loremaster’s Guide consacrait un chapitre très bien vu à l’idée que la fortune était vulgaire et suspecte dans la Terre du Milieu, où l’économie du don prédominerait, les scénarios depuis n’ont jamais hésité à mettre dans la balance du loot conséquent… Je suppose qu’il faut jouer à fond de l’idée de corruption pour contrer cette déviation donjonneuse, mais, tout de même… Enfin, ce bémol mis à part, et qui n’est donc pas spécifique à ce scénario, loin de là, cette entrée en matière m’a paru très bonne !
La deuxième aventure, « Strange Men, Strange Roads », est celle qui joue le plus du registre « policier » : il s’agit, après tout, d’identifier, parmi les membres d’une caravane, le coupable du meurtre d’un Rôdeur, et cette enquête conduira les PJ à découvrir bien des secrets, évocateurs de menaces d’une tout autre ampleur. La galerie de PNJ est vaste et soignée, et les manières dont disposent les PJ pour rassembler des indices sont scrupuleusement détaillées – non sans humour là encore (p. 93) :
The players might try other methods of investigation, like infiltrating the caravan (« Hail! I am an Elf of Rivendell, one of the High Elves of the West, who crossed the Sea in the First Age of the World to make war on the Enemy and take back the Silmarils from the Iron Crown. Now I am a simple caravan-guard looking for work… »).
Enfin, quelques événements bien vus viennent épicer le voyage. C’est vraiment très bon dans son genre – même si je crois qu’il me faut mentionner au cas où que ce scénario n’est peut-être pas destiné à un MJ débutant : « Old Bones and Skin » est idéal à cet égard, mais « Strange Men, Strange Roads » prend tout de même un peu moins le Gardien des Légendes par la main, qui doit se montrer réactif et doser habilement les révélations, tout en mettant en scène une dizaine de personnages auxquels il s’agit de donner de la chair et de l’âme. Quoi qu’il en soit, c’est une réussite.
Mais, ici, il y a un problème : au cours de ce scénario, les PJ apprennent l’existence d’un chef de brigands qui est en même temps une sorte d’érudit, voire un « sorcier », un homme du nom de Gorlanc – et une expédition se monte dans l’épilogue pour aller s’occuper de cette menace. Cependant, et sans doute parce que les héros sont censés être encore de bas niveau, le supplément semble partir du principe qu’ils laisseront à d’autres (Rôdeurs et Elfes de Fondcombe à vue de nez) le soin de s’occuper de l’indésirable. En tout cas, il n’y a pas de scénario décrivant cet assaut, qui se retrouve confiné à quelques mentions lapidaires dans un épilogue. Je crains tout de même que cela soit bien trop frustrant pour les joueurs… En même temps, même à demi-mots, le supplément est bien obligé d’envisager que les PJ soient de la partie, mais « refuse » d’une certaine manière d’en dire davantage. La seule chose, c’est que Gorlanc et quelques-uns des siens doivent survivre – et, ici, d’une manière assez typique, l’auteur reconnaît bien que c’est éventuellement un problème tout en jouant de cet humour caractéristique du style du Bree-Land Region Guide (p. 112) :
If the Player-heroes take part in the siege of Gorlanc’s fort [...], then it’s possible they kill Gorlanc before the sorcerer can escape. (Players are usually utterly determined to hunt down and kill their foes, after all – had a player been present at the Battle of Fornost, when the Witch-king fled and Glorfindel prophesied « not by the hand of Man shall he fall », then doubtless that player would have immediately tried drawing back a bowstring with his teeth, arguing that an arrow loosed in that fashion wouldn’t count as « the hand of Man »).
Ben oui. Exactement. Et je trouve ça un peu problématique, oui – d’autant plus, à vrai dire, que l’ultime scénario de ce supplément ne me paraît clairement pas à la hauteur des précédents…
« Holed Up in Staddle » se scinde en deux parties – ou trois ; enfin, disons que le scénario couvre a priori deux phases d’aventure. Or la première me paraît plutôt ratée, qui manque de liant et enchaîne les événements de manière un peu maniaque et, à ce stade, grotesque en ce qui me concerne – c’est pour partie délibéré, je suppose, avec les « Bluebell Wood Oakmen » et le sort improbable des partisans de Gorlanc, mais ça ne passe pas vraiment pour moi. C’est… trop sucré ? Et l’arrivée impromptue de Gandalf n’a pas exactement arrangé les choses à mes yeux…
La suite est plus intéressante, heureusement, même si, côté motivation, elle a sans doute ses limites elle aussi. L’idée est que Gorlanc et quelques-uns de ses partisans survivants se sont réfugiés dans un smial de Staddle, où ils tiennent les résidents en otages – pourquoi donc ? Il y a une histoire autour de Gorlanc qui veut corrompre, euh, un pommier, euh… Bon. Quoi qu’il en soit, dans un premier temps, les PJ se retrouvent à nouveau dans une sorte d’enquête : il s’agit pour eux de prendre conscience de ce que les Hobbits sont pris en otages, pourquoi, et ce qu’ils peuvent y faire. En ce qui me concerne, c’est la partie intéressante du scénario.
Après quoi… Eh bien, au bout d’un certain temps, il faut aller au turbin, hein ! Et du coup le scénario se conclut sur une sorte de donjon… qui, comme de juste, s’avère être un trou de Hobbit, même sacrément développé. Les gags sur les héros qui s’assomment sur des poutres ne fonctionneront sans doute qu’un temps, mais on retrouve bel et bien ici quelque chose de cet humour qui caractérise pas mal ce supplément. Bon, ça vaut ce que ça vaut, à ce stade…
Bilan un peu entre deux eaux pour les trois scénarios du Bree-Land Region Guide, donc : les deux premiers me paraissent très bons, il y a une lacune que je trouve un peu problématique juste après, et le dernier scénario me fait l'effet d'être d'un niveau bien inférieur, un peu bâclé à vrai dire, notamment dans sa première phase. Dommage – mais il doit y avoir moyen de retravailler un peu tout ça.
RIGOLO MAIS PAS INDISPENSABLE
À vrai dire, je suppose que ce bilan un peu mitigé, malgré de bons voire très bons moments, vaut pour l’ensemble de ce supplément.
J’y insiste : il est très agréable à lire, et souvent amusant.
Maintenant, est-il utile ? Je n’en suis pas totalement convaincu : le fait que la région couverte soit très limitée, le principe même de Bree comme un village épargné par l’aventure (pour ne pas dire « foncièrement ennuyeux »), la description un peu trop passe-partout de l’auberge du Poney Fringant, le peu d’apports spécifiques somme toute, tout cela ne plaide guère en faveur de ce Region Guide bien différent de ses prédécesseurs.
Et des personnages qui ont déjà roulé leur bosse n’y trouveront pas grand-chose d’excitant. On peut sans doute jouer sur le contraste, et cela peut être amusant, mais cela ne fonctionnerait qu’un temps, et, au fond, nous n’avons pas forcément besoin du contenu de ce supplément pour mettre en scène cette opposition entre l’îlot de sûreté bonhomme et le monde sauvage et semi-désertique tout autour.
En revanche, des personnages de bas niveau y trouveront probablement davantage de quoi faire – sur un ton un peu plus léger que les autres aventures de la gamme, typique des premiers chapitres du Hobbit comme du Seigneur des Anneaux. L’idée d’un groupe essentiellement constitué de (jeunes) Hommes de Bree passablement naïfs, avec éventuellement quelques Hobbits en sus, me plaît bien, il doit y avoir quelque chose à en tirer – ce que les deux premiers scénarios de ce supplément, au moins, illustrent de manière très convaincante. Ajouter à la compagnie, progressivement peut-être, un Dúnedain voire un Elfe de Fondcombe, pourrait d’ailleurs être tout aussi amusant – à la condition que le contraste entre ces personnages plus typiquement aventuriers et les bouseux de Bree ou de la Comté n’induise pas un déséquilibre trop marqué et dès lors frustrant pour les joueurs.
Les deux premiers scénarios sont très réussis, oui, même si le troisième me paraît donc à revoir largement – mais on peut y voir un prologue plus que convaincant pour les Eriador Adventures autrement épiques ; même si cela implique donc de réécrire pour partie le scénario « Nightmares of Angmar », en remplaçant probablement les Hommes des Collines du Gundabad par des Hommes du Rhudaur (quitte à y perdre un peu au passage, tout de même).
Voilà : un supplément amusant, bien écrit, mais certainement pas indispensable. On peut sans doute piocher dedans, mais les apports spécifiques de ce Region Guide très restreint en rendent l’usage assez incertain, et l’achat pas vraiment nécessaire. Toutes choses égales par ailleurs, il ne me parait donc pas se montrer tout à fait au niveau des précédents suppléments de la gamme, pour la plupart vraiment bons, sans qu'ils soit mauvais pour autant ; seulement, il ne satisfera véritablement MJ et joueurs qu’à la condition de jouer le jeu à fond, en s’immergeant totalement dans l’atmosphère très provinciale (et plus qu’à son tour rigolote) de Bree et des villages qui lui sont associés.
Sauf erreur, la gamme d’Adventures in Middle-Earth s’arrête pour l’heure ici. Je suppose que les autres suppléments de la gamme de L’Anneau Unique seront à leur tour transposés – ceux qui portent sur le Rohan, et dont j’ai eu des échos plutôt négatifs pour une fois, mais aussi Erebor et la campagne associée The Laughter of Dragons (j’espère que ça sera la priorité !), en attendant la Moria… ou la Comté, peut-être, davantage dans l’esprit de ce Bree-Land Region Guide, mais qui me séduirait probablement davantage à vue de nez. À un de ces jours…