Titre original : La Maschera del demonio.
Titres alternatifs : Black Sunday, House Of Fright, Mask Of The Demon, Revenge Of The Vampire, The Demon’s Mask, The Hour When Dracula Comes, The Mask Of Satan.
Réalisateur : Mario Bava.
Année : 1960.
Pays : Italie.
Genre : Fantastique / Horreur / Gothique.
Durée : 87 mn.
Acteurs principaux : Barbara Steele, John Richardson, Andrea Checchi, Ivo Garrani, Arturo Dominici, Enrico Olivieri…
Nombreux sont les incontournables dans la longue histoire du cinéma fantastique ; rares, cependant, parmi ces classiques, sont ceux qui font réellement peur : certains films de Tourneur, peut-être, et probablement le superbe The Haunting de Robert Wise… Plus rares encore, parmi ces chefs-d’œuvre, sont ceux que l’on peut qualifier de films d’horreur à proprement parler. Jusqu’à présent, je n’en connaissais pas vraiment… Et puis j’ai vu Le masque du démon de Mario Bava.
Mario Bava. Un nom qui m’effrayait un tantinet il y a encore peu de temps. Il faut dire que l’abondance de séries Z plus ou moins nanardeuses produites en Italie des années 1950 à 1980 a de quoi forger une réputation indue, en noyant des perles sous le fumier… Quelle erreur, pourtant ! Le cinéma populaire italien, en ce temps-là, avait de véritables maîtres, capables de réaliser d’excellents films, tout en acceptant les règles du cinéma d’exploitation. On connaît Sergio Leone, bien sûr, et Dario Argento également (qui est tombé bien bas, hélas…) ; on pourrait évoquer de même, parfois, Lucio Fulci, et bien d’autres encore. Et il y a Mario Bava. Rien à voir avec son tâcheron de fils Lamberto : à en croire le discours dominant, Bava, le vrai Bava, le paternel, c’est le plus grand, tout simplement. Jusqu’ici je restais un peu sceptique : La Baie sanglante, son film culte renouvelant les règles du giallo pour accoucher, dans la douleur et l’hémoglobine, du slasher, m’a plutôt fait l’effet d’un navet, en dépit d’indéniables qualités cinématographiques. Alors je n’osais pas vraiment regarder le reste. Erreur, erreur stupide. Le début de la carrière est visiblement d’un autre tonneau. Et notamment cet extraordinaire Masque du démon, révolutionnaire et à l’influence incomparable… et qui est le premier film de son auteur (plus exactement, le premier film pour lequel il fut crédité à la réalisation ; auparavant, il était un directeur photo recherché, et avait à l’occasion manié la caméra pour remplacer un réalisateur défaillant).
La Moldavie, au XVIIe siècle. La princesse Asa, accusée de sorcellerie et de vampirisme, est attachée à un bûcher ; près d’elle, le corps sans vie de son amant Igor. Son frère la renie, les prêtres à ses côtés la vouent aux flammes de l’Enfer. Elle les maudit, tous, proclame haut et fort son allégeance envers Satan, et jure qu’elle reviendra pour se venger de ses tortionnaires. Jusqu’ici, rien de très original, même si c’est d’ores et déjà magnifique ; dans un superbe noir et blanc, c’est l’atmosphère classique, oppressante et grandiloquente, du gothique anglais, qui connaît alors un franc succès avec les films de la Hammer, que l’on retrouve, et l’influence ne saurait faire de doute. Pourtant… Le bourreau se saisit d’un masque de fer, dont la face intérieure est garnie de pointes ; il le pose lentement sur le visage de la sorcière… et tout autant sur le visage du spectateur, la caméra étant ici subjective. Puis il s’empare d’un gigantesque maillet et… d’un coup sec, enfonce le masque dans le crane de la pauvre victime. Là, nous sommes dans l’horreur ; la réaction du spectateur est physique ; on est exorbité, ahuri, sous le choc d’une violence inattendue pour un film d’épouvante de 1960 : on est au-delà du gothique, dans une forme d’horreur plus contemporaine, plus crue, plus réaliste, plus sadique aussi. Et l’on prend conscience que le spectacle qui nous attend sera unique.
200 ans plus tard. Le docteur Thomas Kruvajan et son jeune assistant, Andre Gorobec, se rendent à un congrès scientifique. La route qu’ils empruntent est mauvaise ; les gens l’évitent, qui se souviennent de la malédiction de la sorcière. Mais les éminents médecins raillent cette superstition. Quand leur diligence s’enlise, ils en profitent même pour visiter le tombeau de la princesse Asa : son cercueil dispose d’une vitre, afin de maintenir toujours sous les yeux de la vampiresse la croix du Christ qui l’empêche d’accomplir sa vengeance ; sous son horrible masque, elle semble étrangement conservée… Soudain surgit une chauve-souris, qui attaque de manière inexplicable le docteur Kruvajan ; dans la lutte, ce dernier se blesse, répandant du sang sur le cercueil et brisant la croix et la vitre. La malédiction va pouvoir s’accomplir, le spectateur en est conscient, si les docteurs l’ignorent. Ceux-ci, en sortant du caveau, rencontrent une étrange jeune fille, au visage à la fois séduisant et inquiétant : il s’agit de Katia, la descendante d’Asa… et son portrait craché. Bientôt, l’horreur déferlera sur la pauvre jeune fille.
Je ne détaillerai pas davantage l’histoire. Il suffira de savoir qu’elle fourmille en séquences angoissantes ou terrifiantes, et n’a sans doute pas grand chose à voir avec la nouvelle de Gogol censément à l’origine du film…
Simplement… C’est magnifique. La réalisation, la photographie, sont de toute beauté ; certaines scènes sont d’authentiques tableaux, à la composition phénoménale. Les ombres sont utilisées avec une pertinence et une efficacité remarquables. La brume, le montage, le maquillage… Tout contribue à faire de ce film un sommet de l’horreur gothique, avec ces pointes de sadisme et de sensualité toutes latines, parfois très surprenantes, qui lui donnent en outre un cachet unique.
Pour ce qui est de l’interprétation, si John Richardson est assez faible dans le rôle du jeune docteur Gorobec, les autres sont assez convaincants, sans être exceptionnels ; ceci dit, Andrea Checchi et Arturo Dominici sont souvent impressionnants, voire terrifiants, tant Bava est habile à mettre en valeur leurs traits si particuliers. Mais, surtout, il y a Barbara Steele, qui est tout simplement phénoménale ; ce film devait la marquer à vie : à jamais, elle serait une actrice de fantastique, la plus grande certes, mais elle ne pourra véritablement s’échapper du genre, malgré quelques tentatives. Et, souvent, elle retrouvera ce rôle double, alternant entre l’innocence apeurée et l’horreur cruelle : elle est en effet à la fois l’horrible sorcière Asa et sa victime Katia, et joue à merveille cette dualité foncièrement inquiétante. Son visage est unique : sa beauté, si elle ne saurait faire de doute, à quelque chose de dérangeant, de troublant… Elle cabotine, certes, ses yeux grand ouverts roulant plus que de raison. Mais elle est tout simplement fabuleuse ; elle est le visage de la peur, qu’on subit ou qu’on inflige. Elle est unique.
Ce qui n’était au départ qu’une banale série B d’horreur, transcendée par tous ces atouts, devient un chef-d’œuvre à part entière, dont l’influence se fait encore grandement sentir aujourd’hui. C’est un incontournable, tout simplement. Et un des plus beaux films d’horreur qu’il m’ait été donné de voir.
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