Titre original : Severance.
Réalisateur : Christopher Smith.
Année : 2006.
Pays : Royaume-Uni – Allemagne.
Genre : Comédie / Horreur / Survival.
Durée : 90 min.
Acteurs principaux : Toby Stephens, Claudie Blakley, Andy Nyman, Babou Ceesay, Tim McInnerny, Laura Harris, Danny Dyer…
Il en va des films d’horreur comme de tout : il y a des modes. Pour le meilleur et pour le pire ; souvent les deux à la fois, à vrai dire. Ceci dit, le pire de chez pire (comme y disent les djeuns), c’était il y a de cela quelques années, avec, dans la foulée du sympathique mais surestimé et surtout incompris Scream, une kyrielle de teenage movies orientés slasher, généralement peu convaincants pour ne pas dire pathétiques. Même le public le plus décérébré finissant par s’en lasser, on est allé voir ailleurs ce qui se passait : ça a donné ces innombrables films de fantômes japonisants sinon japonais, avec la sempiternelle petite-fille-aux-cheveux-sales-qui-lui-tombent-sur-la-gueule ; le problème étant bien sûr que tout le monde n’a pas le talent d’Hideo Nakata, loin de là… Ces derniers temps, néanmoins, on a assisté à un étrange phénomène – que je serais bien incapable d’expliquer, je laisse ça à d’autres – consistant à retourner aux grands classiques, souvent révolutionnaires, de l’horreur des 70’s : que ce soit par le biais du remake (ce qui peut être sacrément douloureux) ou du pastiche respectueux, nombre de productions horrifiques de ces derniers années, à gros ou à petit budget, ne manquent pas de faire penser aux plus emblématiques réalisations d’un Tobe Hooper, d’un George A. Romero, d’un John Carpenter, d’un Wes Craven, d'un Joe Dante, d’un Sam Raimi, etc., quand ces gens-là se trouvaient au sommet de leur forme ; ce qui donne souvent au final une horreur plus sadique, plus outrancière, plus sale, mais aussi, éventuellement, plus drôle ou plus « politique ». Ce n’est pas moi qui m’en plaindrai, même s’il est toujours nécessaire, cela va sans dire, de faire le tri entre les pépites bourrées de talent – et elles sont nombreuses – et les fumisteries sans âme – qui sont encore plus nombreuses…
Tous les pays n’ont certes pas été touchés au même titre par ce retour aux sources, et tous n’ont pas su tirer leur épingle du jeu. Mais de l’autre côté de la Manche, en tout cas, ça se passe plutôt bien ! Neil Marshall, par exemple, nous a récemment régalés avec ce qui est probablement l'un des meilleurs films d’horreur de ces dernières années en tournant l’excellent The Descent, qui avait en outre le bon goût de ressusciter le sous-genre un peu oublié du survival. Edgar Wright, parallèlement, a réalisé un excellent Shaun Of The Dead, lequel, non content de rendre un succulent hommage aux immortels films de zombies du grand George A. Romero, constituait en outre une audacieuse tentative de synthèse entre horreur pure et éventuellement gore d’une part, et d’autre part comédie déjantée so british. Sauf que Shaun Of The Dead, pour enthousiasmant qu’il soit, reste avant tout une comédie ; l’alchimie parfaite entre ces deux genres, c’est bien Christopher Smith qui l’a obtenue, avec ce jouissif Severance.
Le premier long-métrage de Christopher Smith, le très bon Creep, était un survival particulièrement réussi, très glauque et assez politisé, prenant place dans le métro londonien ; une grande réussite : très bien filmé, une actrice principale fort charmante et très convaincante, un boogeyman fascinant et terrifiant, une ambiance oppressante, un cadre original… Creep avait tout pour plaire. Seulement voilà, pas d’bol : il est sorti en même temps que The Descent, et est ainsi passé quasi inaperçu… Severance, heureusement, n’a pas eu le même destin, et on ne pourra que s’en réjouir ; d’autant plus qu’entre temps, Smith a su se créer une patte toute personnelle, en jouant à fond la carte de l’humour anglais : du coup, si Severance est bel et bien un survival, encore une fois, il n’a pour autant pas grand chose à voir avec son sympathique prédécesseur.
Le pitch est superbe, et n’est pas sans évoquer un hilarant passage du chouette roman co-écrit par Neil Gaiman et Terry Pratchett, De bons présages (je ne pourrai certes pas affirmer qu’il y a là une influence directe, mais ça ne m’étonnerait pas plus que ça). Nous sommes quelque part en Europe de l’Est, en Hongrie probablement… ou peut-être en Roumanie… en Serbie ? Bon, dans le coin, c’est pas bien grave. On y retrouve, dans un super bus climatisé, une équipe de cadres sup’ de Palisade, une entreprise anglaise du secteur de la défense, qui a conclu quelques gros contrats dans la région. Le patron de Palisade, du coup, a décidé de « récompenser » ses fidèles sbires en leur offrant, non pas des vacances, faut pas déconner, mais un « week-end de cohésion » : vous savez, un de ces trucs abjects destinés à souder l’esprit d’entreprise, à montrer à quel point on est « corporate »… Et tout ce beau monde (une belle brochette de stéréotypes, par ailleurs) de prendre la route d’un gîte paumé dans la forêt hongroise (ou roumaine… ou serbe…) pour y faire, heu… du paintball, par exemple ? Bon, des activités de plein air, dans un esprit convivial et sympathique, on forme une grande famille, tout ça… Sauf que le chauffeur du bus, fort récalcitrant, les abandonne devant une route barrée par un tronc d'arbre, que le gîte est pourri, désert et totalement isolé, et que l’ambiance qui règne entre les différents employés n’est pas forcément des plus chaleureuses. Bon, pas d’quoi en faire un drame, au pire ça sera juste un week-end de merde… Sauf que ça sera un peu pire que ça, un étrange bonhomme tout de cuir vêtu et le visage masqué comptant bientôt tester la cohésion du groupe à grand renfort de couteaux de chasse et de pièges à ours...
Et c’est là que Christopher Smith a particulièrement réussi son coup. Le film, après un bref pré-générique annonçant la couleur horrifique, devient bien rapidement une comédie hilarante, jouant sur tous les registres du rire, du plus subtil au plus gras ; on s’amuse beaucoup, tout cela est très anglais, la satire du monde de l’entreprise – et de la vente d’armes, tant qu’à faire – est vive et corrosive ; quelques scènes sont particulièrement brillantes sur le plan de la réalisation, ainsi celles impliquant Steve, le jeunot mal élevé défoncé aux champis, aux hallucinations perturbantes, ou encore cette séquence géniale où les différents membres du groupe échangent leurs versions de l’histoire du gîte. Et puis, brusquement, on bascule dans l’horreur ; la vraie, la glauque, la gore, celle qui fait mal. On frissonne… et on est à nouveau écroulé de rire. La vraie réussite du film réside dans cette symbiose parfaite, cette alchimie remarquable, autorisant les éclats d’hilarité devant les scènes les plus abominables ; mais Severance n’est pas qu’une comédie à la Shaun Of The Dead : non, c’est aussi un véritable film d’horreur, parfois très angoissant, où ça tranche et ça gicle, ça souffre et ça meurt. Constat stupéfiant, et belle performance d'écriture : on en vient à rire et à frissonner en même temps ! Comédie et horreur s’imbriquent à merveille, pour donner au final un film assez unique, qui ne peut pas laisser indifférent… d’autant plus, à vrai dire, que le spectateur se retrouve partagé entre compassion et jubilation sadique, devant le massacre de cette répugnante engeance de cadres sup’ tout droit sortis de l’école de commerce.
Ajoutez à cela que le film est loin d’être con, avec une tonalité politique évidente sans être martelée pour autant ; une réalisation brillante, avec une très belle photographie ; des acteurs très convaincants, que ce soit dans le registre de la peur ou dans celui du rire (mention spéciale pour la charmante Laura Harris) ; quelques twists biens vus, reprenant la tradition du genre ou la dynamitant sans vergogne…
N’en jetez plus. Severance est un petit bijou de comédie horrifique, assez unique en son genre, et qui mérite assurément d’être vu.
Commenter cet article