Titre original : Savage Water.
Réalisateur : Paul W. Kener.
Année : 1978.
Pays : Etats-Unis.
Genre : Horreur / Survival / … gros nanar philosophique.
Durée : 1h32.
Acteurs principaux : Ron Berger, Gil Van Waggoner…
La jaquette particulièrement hideuse le proclame fièrement : « Souvenez-vous… de Délivrance ! » Ouais. Ben j’m’en souviens, justement… C’était quand même vach’ment mieux. On ne va pas mentir éternellement sur la marchandise : Eaux sauvages est un film particulièrement affligeant, une de ces abominations qui réclament les superlatifs (oui, encore une fois), un nanar de très haut vol, si j’ose dire. Une expérience traumatisante, une fois de plus. Et, surtout, fait exceptionnel sur lequel j’aurai l’occasion de revenir, ce film ne se regarde pas : il s’écoute.
L’histoire : quelques abrutis ricains 70’s typiquement moustachus et aux goûts vestimentaires discutables, accompagnés de quelques greluches, décident de faire une randonnée et du rafting dans le grand canyon ; et puis ils se mettent à mourir, parce qu’il y a un vilain assassin dans la troupe. Eaux sauvages aurait donc pour ambition d’être un film d’horreur, et plus précisément une sorte de croisement entre survival et slasher, deux sous-genres pas toujours faciles à différencier, et s’inspire effectivement de manière très nette du classique de John Boorman mentionné sur la jaquette.
Sauf que ça ne marche pas : bon, déjà, c’est filmé par un homme-tronc aveugle (cadrage abominable, caméra qui tremble… quant au photographe, il mérite la mort par visionnage intensif de ce film), et les « acteurs » sont ridicules au possible ; mais c’est souvent le cas, après tout. La grande originalité du film, c’est qu’il ne s’y passe rien. Mais alors rien de rien. Rien, vous dis-je ! Un Rohmer est plus palpitant. Les meurtres sont ridicules, il n’y a pas de gore, pas de tension, rien, rien, trois fois rien.
Du coup, Eaux sauvages, afin d’atteindre la durée d’1h32, se doit de meubler. Alors les scènes se prolongent inlassablement : bien avant 24 h chrono, ce film développe le concept du cinéma en temps réel. Vous aurez ainsi la joie de voir des gens apprendre à enfiler des gilets de sauvetage, ou à faire des nœuds, se prendre des rapides « plein la poire », faire la cuisine, manger (en n'oubliant pas de se plaindre que le noir cocaïnomane s'est servi avec les doigts, c'est dégeulasse !), faire la vaiselle, boire de l’eau dans une gourde, se baigner, marcher, installer la « tente à caca » pour préserver la nature, aller dans la « tente à caca », sortir de la « tente à caca », pendant que d’autres attendent devant la « tente à caca »… Palpitant, vous dis-je.
Alors quoi, Eaux sauvages serait un abominable navet, soporifique au possible ? Non : c’est bien un superbe nanar, à mourir de rire. Certes les protagonistes de ce bouzin ne font rien de bien exaltant de tout le film ; mais, en contrepartie, ils parlent. Et c’est là que réside le miracle, la petite chose qui sauve ce film de la fadeur et lui donne tout son intérêt. C’est en cela que Eaux sauvages est un film à écouter, et non à voir.
Le doublage est en effet catastrophique. On peut supposer, effectivement, qu’ils n’étaient guère plus de 3 ou 4 pour doubler l’intégralité des personnages, et ça se sent. Le résultat est phénoménal : on a rarement entendu quelqu’un jouer aussi mal ; les doubleurs patinent et bafouillent à maintes reprises (on a bien l’impression qu’ils découvrent leur texte sur le moment…), ils sont assez souvent décalés, ne portent aucune émotion, voire s’offrent à l’occasion d’étranges onomatopées du plus bel effet. C’est caricatural au possible (admirez notamment l’accent des personnages arabes et allemands, les gloussements des blondes, les « AAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!! » des victimes…), et ignoble : pour tout dire, c’est du niveau du mémorable Blood Freak, voire pire.
Et les dialogues sont tout bonnement ahurissants. Eaux sauvages a de temps à autres des ambitions philosophiques et mystiques qui font franchement désordre. Et le résultat, transcendé par le doublage, peut à bon droit être qualifié de surréaliste ; si vous en doutez, jetez donc une oreille sur le long extrait audio disponible sur Nanarland, authentique régal pour mélomanes avertis… Juste un petit exemple ici, au cas où ; la scène a lieu au petit déjeuner ; le docteur cynique vient d’expliquer qu’il a vu l’avenir et qu’on va tous crever (en substance : il arrive quand même à parler du système boursier et de Mussolini dans la foulée) ; un jeune auto-stoppeur vient alors lui expliquer que ce qui lui manque, c’est le karma : « Disons que vous vous trouvez à la porte de chez vous, alors vous allez à votre boîte aux lettres prendre la clef. Quand vous y arrivez, vous vous apercevez que votre clef n’est pas là, vous ne l’avez pas remise la dernière fois. Alors, vous tapez sur la boîte aux lettres, ce qui fait sortir les chiens, et un chien vient vers vous et commence à aboyer. Alors vous frappez le chien, et le chien s’en va en hurlant et passe devant la maison du voisin, et le voisin appelle la police, et quand la police arrive pour enquêter, elles vous arrête pour avoir essayé de rentrer chez vous, dans votre propre maison. C’est cela le karma. » Et tout cela dit sur un ton… C’est un peu confus, des fois : « Je suppose qu’en faisant ce que vous avez fait, vous n’avez fait que précipiter la chose même qui vous a poussé à le faire... » Et il y a bien d’autres exemples, en dehors de ce « classique ». Ainsi, devant la « tente à caca », deux fringants personnages discutent de l’insanité de la vie urbaine, où il faut toujours faire la queue, pour avoir un big mac, pour avoir de l’essence… Tout au long du film s’accumulent les conversations dignes de la pire philosophie de comptoir. Mais on peut aussi évoquer de singuliers discours sur les Indiens, sur le respect de la nature (voir plus haut, « tente à caca ») ou sur les effets de la datura, ou encore quelques vérités fondamentales, émises d’un ton imperturbable. Par exemple : « Y’a une chose, quand on fait la vaisselle la nuit, c’est qu’on peut pas dire si elle est propre ou pas. Alors on prétend qu’elle l’est… » Avec une insupportable et sirupeuse mélodie violoneuse par derrière, toujours la même ou presque, qui achève de transporter l’auditeur au-delà du mauvais goût.
Et c’est bien là que réside l’intérêt du film, dans ce « doublage de pierre », pour citer Nanarland, transcendant des dialogues parmi les plus vains, les plus stériles, les plus stupides qu’on ait jamais écrits. Un chef-d’œuvre en son genre.
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