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"Les représentations de "l'homme politique" en France", de Michel Biard (dir.)

Publié le par Nébal

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BIARD (Michel) (dir.), Les représentations de « l’homme politique » en France, Mont-Saint-Aignan, Publications des Universités de Rouen et du Havre, Les Cahiers du GRHis 2006 (17), 93 p.
 
La notion « d’homme politique » est aujourd’hui d’une banalité telle que l’on ne ressent généralement pas le besoin de la définir ; chaque jour, à la télévision, à la radio, dans la presse, on emploie l’expression « homme politique » comme allant de soi et parlant immédiatement. Mais c’est pourtant une notion très récente, dont les premières occurrences, si l’on excepte quelques très rares prédécesseurs guère significatifs, n’apparaissent en littérature que vers la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe. Rien de véritablement étonnant à cela, l’homme politique apparaissant en tant que tel en France au moment de la Révolution – laquelle retient comme par voie de conséquence l’attention de la plupart des intervenants de la journée d’étude dont ce 17ème numéro des Cahiers du GRHis rend compte. L’expression ne semble toutefois devenir courante qu’à partir de la Monarchie de Juillet (traduire : avec le développement du parlementarisme, l’image la plus récurrente de « l’homme politique » étant longtemps celle du député), et ce n’est qu’alors qu’elle va commencer, progressivement, à perdre la connotation assez clairement péjorative qui l’accompagnait jusqu’alors (Chateaubriand, ainsi, évoque à plusieurs reprises dans ses Mémoires d’outre-tombe, sa crainte de passer pour un « homme politique »… et les portraits qu’en dressera Balzac, notamment, ne seront guère plus flatteurs). La IIe République et l’instauration du suffrage universel semblent jouer un rôle déterminant dans l’évolution de la notion ; Sand s’en fait l’écho, chez qui la désignation « d’homme politique » devient de plus en plus positive, et, en 1848, elle devient même une distinction recherchée, ainsi par certains hommes qui se verraient volontiers entamer une carrière politique sur les barricades, comme Louis Hincker le rapporte dans le dernier article du recueil. Mais nous n’en sommes pas encore là ; contentons-nous donc pour le moment de poser dans toutes ses dimensions la notion et les connotations « d’homme politique », à travers ses occurrences, pour pouvoir ensuite procéder à l’étude de ses représentations, autant dire de sa construction. C’est ce que fait, très logiquement, Michel Biard, en tant que directeur de ce bref ouvrage, dans un court article introductif assez intéressant (« « L’homme politique » : quelques observations sur la diffusion en France, aux XVIIIe et XIXe siècles, d’une expression appelée à un avenir durable », pp. 9-15).
 
Corinne Gomez-Le Chevanton choisit ensuite, justement, de s’intéresser à une figure négative de l’homme politique, et à vrai dire une des pires qui se puissent concevoir, en la personne de Carrier (« Les figures du « monstre » Carrier : représentations et utilisations », pp. 17-42). Il ne s’agit certes pas, pour l’auteur, de se livrer à une apologie de celui dont on a fait le principal – et en fait le seul… – responsable des abominables « noyades de Nantes », ou de l’exonérer de ses crimes atroces. Cependant, force est de constater – et nul aujourd’hui, tout parti pris idéologique mis à part, n’oserait véritablement le contester – que Carrier, à bien des égards, a joué un rôle de bouc émissaire, a payé pour les autres, en étant accusé hypocritement par des terroristes tout aussi nauséabonds que lui-même, tels Fouché, Fréron ou Tallien, lesquels, en dirigeant en sous-main l'émission de pamphlets contre le représentant en mission, ont excité à son encontre la vindicte populaire, jusqu’à en faire le seul véhicule visible de la Terreur, et donc le symbole à abattre pour que les autres responsables des massacres – eux-mêmes et leurs collègues, mais aussi, à Paris, une bonne part du personnel administratif toujours en place après Thermidor et les députés de la Plaine qui avaient cautionné jusqu’alors le système au nom du « salut public » – puissent poursuivre leur carrière en paix… Carrier, ainsi, a été la victime – certes bien coupable – d’une flopée d’accusations injurieuses que l’on verra souvent reparaître pour discréditer les hommes politiques, et a fortiori les plus radicaux d’entre eux : Carrier, à en croire la « légende noire » qui se constitue autour de son nom, aurait été un fou criminel, un dépravé sexuel (nécessairement…), un authentique animal – les représentations de l’homme dans les pamphlets et au cours de son procès insistent souvent sur ses traits « animaux » – et enfin… un traître ! C’est de sa propre initiative, et sur sa seule responsabilité, qu’il aurait ordonné les massacres nantais, et il aurait ainsi trahi, non pas l’abject Robespierre qui venait de tomber, mais bien les députés naïfs et crédules, qui, en lui confiant les pleins pouvoirs pour mater la rébellion, ne s’attendaient certainement pas à l’usage qu’en ferait cet adepte supposé de la théorie de la « dépopulation »… On reste confondu par une telle hypocrisie. Et l’on constate déjà le terrifiant pouvoir de la presse pour construire ou briser une réputation, ainsi que les aléas d’une « justice politique » contradictoire dans son essence même : les représentants du peuple, dans la même foulée, envoient Carrier devant le Tribunal révolutionnaire, tout en prenant soin de renforcer les immunités parlementaires afin que ce fâcheux précédent ne se reproduise pas par la suite ; quant au procès du « monstre », c’est une authentique aberration, un chef-d’œuvre de mise en scène, accumulant les vices de procédure (l’expression, à vrai dire, est bien faible !), tout aussi scandaleux et faussé que les précédents « procès » de la Terreur, et probablement plus que celui, plus célèbre, du maréchal Ney, vingt ans plus tard, lequel jouera un peu le même rôle, tout en ayant une image moins sanguinaire. Peu importent au final les crimes – indéniables et abominables – de Carrier : il doit payer, non pour faire triompher la justice, mais pour que « les autres » restent en place… Un article passionnant et convaincant.
 
Christine Le Bozec retourne ensuite à des propos plus généraux, en se concentrant sur un groupe idéologique particulier, qui recoupe assez la première notion « d’homme politique », celui des libéraux (« « L’homme politique » libéral », pp. 43-52). Les « libéraux » envisagés ici sont avant tout les thermidoriens, tels Boissy-d’Anglas (même si ce que l’auteur en dit se révélera également vrai par la suite des « idéologues » et des libéraux de la Monarchie de Juillet – plus spécifiquement les « doctrinaires »). Il s’agit de voir comment la défense des acquis de 1789 passe, pour ces hommes qui ne souhaitent pas aller au-delà du suffrage capacitaire et valorisent avec la fougue que l’on sait la propriété, par des dérives autoritaires temporaires, parfaitement acceptées, et même considérées comme indispensables. Pas grand chose de nouveau, donc…
 
Plus intéressant, Olivier Blanc biaise quelque peu la notion – révélatrice… – « d’homme politique » pour revenir sur une importante « femme politique », la toujours controversée Olympe de Gouges (« Femmes en Révolution, l’exemple d’Olympe de Gouges », pp. 53-63). Au-delà de la caricature si courante dès l’instant que l’on évoque ces « femmes politiques », et a fortiori les révolutionnaires (un exemple triste et fameux : Théroigne de Méricourt), c’est une figure remarquable dont l’auteur dresse ici le portrait, avec certes bon nombre de défauts – et notamment un orgueil assez flagrant, ainsi que quelques illusions –,  mais aussi énormément de qualités, une vision lucide des événements, un courage politique rare, et une appartenance idéologique clairement marquée (dans les rangs des Girondins), contrairement à la dispersion dont on l’a longtemps accusée. Olympe de Gouges, ainsi, n’est pas que la féministe avant l’heure, astucieuse et sarcastique, de La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ; elle n’est certainement pas la caricature, tantôt harpie, tantôt écervelée, qu’en a fait une historiographie presque intégralement masculine et presque nécessairement condescendante. Elle était bien une « femme politique », une personnalité fascinante, dont l’œuvre et la vie politique seraient sans doute à redécouvrir aujourd’hui.
 
Vient ensuite ce qui a constitué à mes yeux une grosse déception, Jean-Philippe Chimot ayant à mon sens traité un peu trop superficiellement et de manière parfois contestable un sujet pourtant passionnant et en plein dans la thématique du recueil (« David a-t-il contribué à constituer la figure de « l’homme politique » ? », pp. 65-76). On ne retient pas grand chose de cet article très, et même trop, léger (le style, agaçant, en témoigne). Il y avait sans doute, pourtant, bien des choses à dire sur cet homme qui fut à la fois un des peintres majeurs de son temps, mais aussi un homme politique lui-même (l’auteur semble en douter, et se permet de passer outre les fêtes révolutionnaires mises en scène par David !). De l’esquisse du Serment du Jeu de Paume aux tableaux napoléoniens (Le Sacre, mais aussi bien d’autres) en passant par Marat assassiné, tableau « révolutionnaire » à tous les égards, David se fait peintre politique et peintre de la politique et des politiques. Certes, un aussi bref article ne pouvait prétendre à l’exhaustivité, et une étude plus complète nécessiterait un volume entier. Mais il n’en reste pas moins que cette communication est bien trop légère pour être véritablement saisissante…
 
On s’éloigne enfin, avec Louis Hincker, de la Révolution, pour aborder directement la IIe République (« Hommes politiques et journées révolutionnaires durant la Seconde République », pp. 77-93). C’est, en quelque sorte, un complément à la thèse de l’auteur (Être insurgé et être citoyen à Paris durant la Seconde République), ouvrant de nouvelles perspectives de recherches qui me paraissent très séduisantes. Cet article, à la différence du précédent, est assez dense, sans être aride pour autant. Mais Louis Hincker se montre très éclairant sur le changement de connotation de la désignation « d’homme politique », et développe encore sur certaines conséquences, et notamment l’opposition qui se crée dans les faits entre « l’homme politique » et le « citoyen armé » (à distinguer du « citoyen-soldat »), le premier ne concevant pas la prise d’armes comme pouvant déboucher sur le débat politique, le second y voyant un moyen quasiment nécessaire pour le peuple souverain de s’impliquer dans le débat et ne pas se faire « voler » la République par les « capacités ». Ces deux attitudes concomitantes sont ensuite éclairés par deux exemples très concrets issus des dossiers des prévenus des journées révolutionnaires, ceux de deux inconnus représentant les « capacités », une « petite élite intellectuelle », portés par les barricades, et qui auraient souhaité la reconnaissance en tant qu’hommes politiques de ce fait : le premier, Falaiseau de Beauplan, en arguant de sa qualité de conciliateur, d’intermédiaire entre les autorités et le peuple (et qui se retrouvera du côté « légal » lors des journées de Juin), le second, Delair, probablement plus radical, se mettant avec une certaine arrogance à la pointe des mouvements populaires au nom de la souveraineté du peuple (mais avec toujours cette mission « d’éclairer les foules » ; en Juin, il sera du côté des insurgés…). Article intéressant et riche, dont l’optique me paraît très séduisante, le rôle de ces « anonymes » de la politique étant trop souvent négligé, quand bien même il a pu être fondamental et l’on dispose de nombreuses archives, peu employées, à leur sujet (j’avais été amené à procéder quelque peu de la sorte – à un tout autre niveau, bien inférieur… – dans mon mémoire de Master 2, et souhaiterais poursuivre plus ou moins dans ce sens pour ma thèse…).
 
Au final, un recueil bref, composé d’articles courts et d’un abord aisé, très intéressant dans l’ensemble.

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