Réalisateur : Anton Corbijn.
Année : 2007.
Pays : Royaume-Uni / Etats-Unis / Australie / Japon.
Genre : Drame / Biopic / Musical.
Durée : 121 min.
Acteurs principaux : Sam Riley, Samantha Morton, Craig Parkinson…
On peut dire que ça faisait un bail que j’avais pas mis les pieds dans une salle de cinoche. Depuis Land Of The Dead, je crois bien (ah oui, quand même…). En fait, je n’en raffole pas. Alors oui, certes, un grand film, souvent, s’apprécie mieux ainsi (souvenir ému de mes visionnages en salle de 2001 l’odyssée de l’espace, Apocalypse Now et Le dernier des hommes, entre autres…). Mais voilà. Il y a les gens. Souvent pénibles, les gens. En plus on peut pas fumer ou boire de la bière…
Oui, je sais, c’est ridicule. N’empêche que voilà : pour un bon nombre de raisons (la flemme et la phobie sociale n’étant pas les moindres), ça faisait un bail que j’avais pas mis les pieds dans une salle de cinoche. Oh, rien à voir avec la qualité des films, il y en a eu plein d’excellents ces dernières années pour lesquels je m’étais juré de faire l’effort du déplacement… Et puis y’avait plein de gens sympathiques pour me proposer d’y aller en plus (désolé, je suis indigne de votre amitié, bouhouhou…). Mais voilà. Autant dire qu’il fallait un sacré faisceau de circonstances pour que je retourne au cinéma.
Et voilà. Il y a eu les gens sympathiques, et il y a eu le film qui me bottait bien. Ce Control d’Anton Corbijn, donc. Premier long-métrage, si je ne m’abuse, du fameux photographe et réalisateur de clips (entre autres pour U2, Depeche Mode ou Front 242 – rhaaaa, « Headhunter »…). L’occasion pour lui de marier ses trois passions, à savoir la photographie, le noir et blanc et la musique, le film étant présenté comme un biopic de Ian Curtis, le légendaire chanteur du légendaire groupe Joy Division. Ca tombe bien, j’aime les clips d’Anton Corbijn (et notamment celui « d’Atmosphere » pour Joy Division, justement – le Monsieur connaît son sujet), et j’adore Joy Division. Un beau faisceau, quoi.
Et une crainte, aussi. Traiter d’une « icône » du rock, c’est dangereux. Ca peut virer facilement à l’hagiographie qui en rajoute dans la légende, ou à l’enchaînement stérile de séquences de sexe, de drogue, et de rock’n’roll. De la part d’un « auteur », il y a aussi la crainte de l’imposture, de l’hypocrisie (remember Gus Van Sant et son pitoyable Last Days, qui, comme chacun sait, ne parlait pas du tout de Kurt Cobain…). D’un autre côté, Corbijn connaissait son sujet – donc –, et le film avait semble-t-il reçu l’aval de gens comme New Order (soit Joy Division aujourd’hui ; ils ont participé au film et ont réenregistré les morceaux), Tony Wilson (le patron du label Factory, décédé il y peu, monde de merde ; il a quand même eu le temps de produire le film)… et, ce que je ne savais pas en entrant dans la salle, Deborah Curtis, la veuve du chanteur : Control est en effet l’adaptation cinématographique d’un livre de ladite Madame, qui a également participé à la production du film. Or, on peut très légitimement, pour cette raison, craindre que le film ne biaise le propos, ne présente qu’un aspect des choses… Mais ça, de toute façon, je n’étais pas au courant en prenant place dans la salle.
D’entrée de jeu, un superbe noir et blanc, un peu granuleux, typique du réalisateur. Et, bientôt (mais pas tout de suite, bien joué…), de la musique. Pas Joy Division. Pas encore. Nous sommes en 1973, et Ian Curtis n’est qu’une jeune couillon amorphe parmi tant d’autres. Et, comme tant d’autres à cette époque, il écoute David Bowie. L’évocation rapide des jeunes années de Ian Curtis – enfin, c’est-à-dire, de l’avant Joy Division… – est très bien ficelée, sobre, intimiste, touchante, drôle à l’occasion. Quelques ellipses, plus ou moins brutales mais toujours pertinentes, dressent déjà le portrait d’un jeune homme un peu paumé, un peu déviant, à la communication franchement déficiante. Pas encore quelqu’un de dépressif à proprement parler, mais quelqu’un de mou, de froid, peu bavard, guère attachant, et pourtant assez sympathique en même temps. Impulsif, aussi. On en arrive assez vite à l’événement déterminant dans l’optique du film. Non pas son intégration en tant que chanteur du groupe Warsaw, puis Joy Division, comme on pourrait le croire, mais son mariage, sur un coup de tête, avec une jeune fille un peu timide et gauche qu’il avait « volée » à un « pote ». A même pas 20 ans. C’est trop tôt. Et c’est bien là que réside le problème…
Control ne traite en effet pas de « Ian Curtis, le chanteur de Joy Division, qui a fini par se pendre », mais de « Ian Curtis, le jeune type ordinaire qui a fait la connerie de se marier trop tôt ». Ce qui change sacrément la donne. Autant le dire tout de suite : on ne trouvera pas excessivement les scènes caractéristiques des biopics musicaux dans ce film finalement guère musical. Control est avant tout un drame, l’histoire de la descente aux enfers d’un jeune homme perturbé, à la vie schizophrénique, à la communication maladroite et aux angoisses omniprésentes. Le magnifique portrait d’un jeune dépressif chronique (et épileptique, qui plus est), pas à sa place dans ce monde, et qui subit jour après jour les conséquences d’une bêtise de gamin. Sam Riley l’incarne à merveille, avec justesse et délicatesse. « Son » Ian Curtis est humain, crédible, parfois agaçant, souvent touchant, et au final déchirant. Peu importe, dès lors, à mon sens tout du moins, son caractère « authentique » ou pas, qui a pu susciter quelque peu la polémique pour les raisons précédemment évoquées. Je ne sais pas si « ce » Ian Curtis correspond au « vrai » Ian Curtis. Et, dans un sens, je m’en moque. Il « fait » vrai, et, dans la perspective du film, c’est bien suffisant.
Quant à la musique, en fin de compte, elle passe quelque peu au second plan. Elle est là, bien sûr, et elle est superbe – même si j’avoue, personnellement, que le choix, tout à fait légitime, de réenregistrer les morceaux de Joy Division, m’a un peu déçu, l’absence de la voix si particulière de Ian Curtis se faisant cruellement sentir… Mais bon ; il y a la musique, et elle est excellente. Très brèves scènes d’enregistrement ou de concert, bien amenées, bien interprétées. Plus souvent, Anton Corbijn a recours a des procédés quelque peu clipesques, entendons par là qu’il illustre les textes de Ian Curtis par des séquences de sa vie ; moi qui n’avais jamais vraiment prêté attention aux paroles de Joy Division, cela m’a fait l’effet d’une découverte assez bouleversante, chaque ligne ou presque semblant une évocation directe de la vie tourmentée du chanteur (ainsi, pour prendre deux fameux exemples, « Love Will tear Us Apart », chanson centrale dans le film, sur les difficultés du couple Curtis, ou encore « She’s Lost Control », évoquant l’époque où Ian Curtis avait assisté à une crise d’épilepsie… avant de se découvrir lui-même épileptique – je ne sais pas si c’est crédible, au passage…). Bien vu, et convaincant.
Reste que, si les allusions musicales, d’une forme ou d’une autre, – à David Bowie, à Iggy Pop, à Lou Reed, à Brian Eno, à Kraftwerk, aux Sex Pistols, aux Clash, aux Buzzcocks, à The Fall, à Throbbing Gristle, à Cabaret Voltaire… – abondent, si l’on retrouve également quelques anecdotes célèbres déjà illustrées – de manière bien différente, mais néanmoins excellente – dans le génial film de Michael Winterbottom 24 Hour Party People (le concert « historique » des Sex Pistols à Manchester devant 42 personnes, la rencontre entre Ian Curtis et Tony Wilson – « You’re a cunt! » – ou encore la fameuse histoire du contrat écrit et signé avec le sang de ce dernier), et si l’on en retrouve aussi quelques personnages (Tony Wilson, donc, mais aussi Rob Gretton – très drôle, au passage –, et bien sûr Ian Curtis parmi bien d’autres – le personnage composé par Sam Riley étant beaucoup moins agressif et colérique que celui du film de Winterbottom), le fait est que Control n’est pas vraiment un film sur la musique. Ou plutôt, si, mais… Bon, disons que Control est autant un film sur la musique que L’éducation sentimentale est un roman sur la société française à l’époque de la Révolution de 1848. La musique y est donc un aspect important, et on ne saurait véritablement en faire abstraction ; mais, au final, c’est là aussi avant tout « l’Histoire d’un jeune homme » qui nous est contée. Et avec brio.
Ce parti pris assez audacieux est en effet pleinement servi par l’interprétation des différents acteurs, Sam Riley en premier lieu, et par la splendide réalisation d’Anton Corbijn, faisant ici la preuve éclatante de sobriété de son talent et de sa maîtrise du cadre et du noir et blanc. Control est un film assez impressionnant de justesse et de constance dans la qualité. Il touche profondément, il fait mal, tout en offrant un véritable régal pour les yeux et les oreilles.
Control ne correspond donc pas exactement à ce à quoi je m’attendais (et je suppose que je ne suis pas seul dans ce cas). En sortant de la salle, du coup, je ne savais pas trop quoi en dire. Avec le recul, je peux désormais affirmer que c’est une franche réussite. Un film qui n’est pas réservé aux seuls fans de Joy Division, mais qui est à même de séduire tout le monde, y compris ceux qui n’ont jamais entendu parler de Ian Curtis, sans se compromettre ou se vautrer dans les facilités du biopic pour autant. Belle performance…
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