Réalisateur : John Boorman.
Année : 1974.
Pays : Royaume-Uni / Irlande.
Genre : Science-fiction.
Durée : 105 min.
Acteurs principaux : Sean Connery, Charlotte Rampling, Sarah Kestelman, John Alderton, Niall Buggy…
Ca faisait un petit moment que j’étais supposé écrire ce compte rendu. J’avoue : j’ai été lâche. Je ne savais pas comment présenter la chose. Le problème, en effet, est que Zardoz se paye une très fâcheuse réputation : celle, en gros, d’une boursouflure intello-kitsch, totalement ridicule et imbitable. Difficile, il est vrai, de toujours conserver son sérieux devant ce film, de ne pas être agité d’un léger spasme nerveux devant certaines séquences arty typiques d’une avant-garde qui vieillit mal, devant le péremptoire « The gun is good, the penis is evil » asséné par une gigantesque tête de pierre volante dès les premières minutes du film, et, bien sûr, devant l’improbable garde-robe de la quasi-intégralité du casting, Sean Connery en tête, qu’on qualifiera gentiment de « troublant » dans son slip moule-burnes rouge qui flashe agrémenté de cartouchières, moustache on ne peut plus routier 70’s incluse et catogan en prime. Il faut être honnête : on a dû flinguer des costumiers pour moins que ça (… ou on aurait dû). On a ainsi tendance à reléguer Zardoz parmi les plus beaux fleurons du nanar, dans une veine expérimentalo-auteurisante assez rare en la matière mais fournissant à l’occasion de forts beaux spécimens. Inévitablement, on en trouve une chronique sur l’excellent site Nanarland. Dans la catégorie polémique, ceci dit, tout le monde n’étant pas d’accord sur la nanaritude de la bête. Et force m’est de reconnaître que la contre-chronique de Kobal me semble bien plus pertinente que la chronique plus ou moins stérile et bornée de Koko. Ben oui : pour moi, Zardoz n’est certainement pas un nanar. Si ce n’est pas un chef-d’œuvre, s’il souffre de nombreuses maladresses, ça n’en est pas moins un bon film, et j’aurais presque l’envie de dire (soyons fous) un très bon film, qui ne mérite en tout cas certainement pas autant de sarcasmes. Il serait dommage de s’arrêter à la dégaine de Sean Connery et de se contenter, devant l’hermétisme de certaines séquences, d’un lapidaire « c’est n’importe nawak, ça se la pète mais y’a rien derrière ». Parce qu’il y a bien quelque chose derrière, et qui est loin d’être inintéressant. Je n’ai aucun doute à ce sujet, et ne crains donc pas d’affirmer que j’ai bien aimé ce film. Mais face aux innombrables attaques qu’il a pu subir, j’avoue me sentir bien mal placé dans le rôle de l’avocat du Diable…
Je suis lâche. Sob.
Allons, Nébal, reprends-toi ! Fidèle à ta devise, assume le ridicule, et lâche tes opinions qui n’intéressent personne !
…
Bon d’accord (c’est vous qui l’aurez voulu, hein). Hop.
Gardons le scénario pour la fin. On commencera par noter qu’il y a quand même quelques jolis noms sur la fiche technique, qui, s’ils n’empêchent en rien la qualification de nanar (après tout, de bons réalisateurs ont à l’occasion commis des nanars – ainsi Ken Russel, auteur du superbe, extraordinaire et hélas très difficilement trouvable Les Diables, mais aussi du plutôt consternant Le repaire du ver blanc… –, et on ne compte pas les bons, voire les excellents, acteurs qui sont des habitués du genre – deux exemples frappants : Klaus Kinski et Donald Pleasance…), semblent quand même plutôt plaider en faveur du film.
C’est tout d’abord le cas, bien sûr, du réalisateur et scénariste John Boorman. S’il traîne clairement quelques casseroles (comme par exemple L’exorciste II : l’hérétique, vraiment pas glop…), il n’en a pas moins réalisé nombre de très bons films, voire de chefs-d’œuvre (on peut citer Deliverance, Hope And Glory, Le général, probablement Excalibur, peut-être La forêt d’émeraude…). Le Sieur Boorman sait incontestablement manier la caméra, et Zardoz ne déroge pas à la règle. Loin des guignoleries diverses auxquelles nous ont habitué les nanars, ce film est maîtrisé de bout en bout, sa réalisation est irréprochable, la photographie est somptueuse, et certaines scènes, si elles peuvent agacer par leur côté « expérimental » éventuellement prétentieux, me semblent même franchement remarquables, ainsi celle où Zed, le personnage incarné par Sean Connery, se voit « transmettre » des connaissances dans une multitude de langues (je suis très loin d’adopter à l’encontre de ce joli moment les sarcasmes du sieur Koko…). Non, franchement, rien à redire à cet égard : sans surprise, John Boorman ne saurait être comparé à un Bruno Mattei ou un Godfrey Ho ; il est un réalisateur de talent, qui s’est de toute évidence beaucoup investi dans ce film. Accessoirement, c’est aussi quelqu’un qui sait remarquablement bien utiliser la musique dans ses films, ainsi qu’en témoignent notamment Deliverance et, bien sûr, Excalibur ; à vrai dire, John Boorman fait ici avec Beethoven (et essentiellement sa superbe Septième symphonie) ce qu’il fera sept ans plus tard avec Wagner et Carl Orff. Là encore, rien à redire, en ce qui me concerne tout du moins.
Le casting n’est d’ailleurs pas en reste, notamment pour ce qui est des deux acteurs les plus connus. Sean Connery (tudieu, cette dégaine ! … même moi qui n’ai strictement aucun goût en la matière, ça me donne de l’urticaire, là…) et Charlotte Rampling sont quand même des comédiens plus que corrects. Ils livrent ici une bonne performance, Sean Connery incarnant un Zed très viril et brutal mais pas con pour autant, et Charlotte Rampling une ravissante Consuella, authentique icône de beauté froide et cruelle, séduisante et agaçante. Les autres acteurs sont également très corrects, quand bien même la tonalité de la mise en scène les incite parfois à un cabotinage qui dépasse franchement les bornes (ainsi pour Niall Buggy, à l’allure également consternante de caricature de sous-Salvador Dali, et plutôt insupportable – mais bon, c’est le personnage de Zardoz / Arthur Frayn qui veut ça, dans un sens…) ou les côtoie parfois dangereusement (John Alderton, dans l’ensemble très bon dans le rôle so british de Friend).
Enfin, si les costumes sont… ils sont… bref, les décors, eux, s’ils jouent aussi la carte du kitsch outrancier à l’occasion, sont souvent assez bien trouvés, voire excellents. En fait, pour les costumes, on pourrait même être gentil et reconnaître que, dans un sens, Excalibur est pas mal aussi dans le genre, après tout, et que ça n’empêche pas que… oui, mais là c’est vrai que…
Passons.
… Sauf que le problème est qu’on ne peut pas vraiment faire l’impasse sur cette allure générale. C’est là une des « difficultés » de Zardoz : rien ne vieillissant aussi vite que l’avant-garde (je ne sais plus à qui j’emprunte cette phrase, mais qu’il en soit remercié), le film accuse indéniablement son âge. Dans les visuels comme dans les délires plus ou moins arty venant avec la régularité d’une horloge parasiter le récit, c’est bien le produit d’une époque et d’une mentalité, en gros celle d’une intelligentsia post-hippie, artisteuse et vaguement cramée du bulbe. C’est d’autant plus frappant que Zardoz est un film de science-fiction, et que, si les effets spéciaux y sont très rares, le vieillissement des visuels n’en est pas moins presque inévitable en la matière. Zardoz étant sur ce plan outrancier, il semble d’autant plus désuet et absurde. Mais il faut noter que ce n’était peut-être pas totalement innocent à l’origine, et en tout cas que, par un étrange retournement, cela participe finalement aujourd’hui de l’intérêt du film, l’absurde étant à bien des égards son thème principal.
Essayons donc d’aborder maintenant le scénario et ce qui se cache éventuellement derrière. Nous sommes en 2293. Après une brève et troublante première séquence, la tête d’Arthur Frayn flottant (pas superbement incrustée) sur un fond noir, et débitant un discours étrange (pour ne pas dire ridicule) laissant supposer que tout ne doit pas être pris au premier degré, le film débute véritablement par une autre séquence non moins troublante, une immense tête de pierre flottant dans le ciel d’une terre dévastée. Une horde de barbares au costume improbable (donc), parmi lesquels Sean Connery, se rassemble devant la tête (dont leur masque est par ailleurs une représentation), qui leur tient d’une voix sépulcrale un étrange et violent discours suscitant leur enthousiasme fanatique, et que l’on peut donc en gros résumer ainsi (je cite) : « The gun is good, the penis is evil. » Oui, quand même. Et la tête monumentale de cracher une multitude de fusils qui font la joie des cavaliers exterminateurs. Après un générique suivant le voyage céleste de la tête, nous voyons Zed, le personnage de Sean Connery, qui s’était dissimulé dans la tête volante, s’étonner de l’étrange endroit où il se trouve, et en abattre bientôt l’unique occupant, Arthur Frayn. La tête le conduira dans une sorte d’univers parallèle coupé de son monde, où vivent une brochette « d’élus » immortels et à la technologie hautement avancée.
Zed finit par comprendre que les barbares dont il faisait partie ont été trompés de tout temps, dans leur adoration du Dieu Zardoz : celui-ci n’était qu’un homme, un de ces immortels, qui emploient depuis des années les barbares pour exterminer les populations pauvres de la Terre et éviter ainsi une nouvelle crise due à la surpopulation, puis (et c’est ce changement qui avait troublé Zed) pour exploiter ces « prolétaires » afin qu’ils prodiguent aux immortels une nourriture qu’ils ne sont plus en mesure de produire eux-mêmes. C’est que l’immortalité a un coût, et certains, dont le concepteur du programme – établi par une sorte d’aristocratie scientifico-artistique –, finissent même par le trouver insupportable. Nombreux sont ceux qui, du fait de leur vie éternelle, ont sombré progressivement dans une apathie dont rien ne semble pouvoir les tirer ; tout aussi nombreux sont ceux qui, pour avoir de temps à autre eu un comportement jugé « asocial », ont eu à subir la plus terrible sanction prévue par la loi des immortels, le vieillissement, sans que la mort ne soit au bout du voyage. Et l’on trouve ainsi, un peu à l’extérieur de la communauté, une sorte d’invraisemblable maison de retraite, hantée par des petits vieux totalement séniles et vêtus de costumes noirs à l’ancienne, comme une démonstration et un avertissement de l’absurdité de cette vie éternelle coupée du monde et de ce qui définit l’humain, notamment son rapport à autrui.
L’arrivée de Zed dans la communauté (c’est à dessein que j’emploie ce terme, tout cela sentant fort la satire, assez bien vue d’ailleurs, de certains délires hippies plus ou moins réac), on s’en doute, suscite le trouble. Les réactions sont à vrai dire très diverses : certains, la frigide Consuella (Charlotte Rampling) en tête, réclament à tout crin la mise à mort de cet élément perturbateur ; d’autres y voient un sujet d’étude intéressant, une distraction bienvenue dans la morne routine de l’immortalité ; d’autres enfin y voient un outil, permettant éventuellement de faire changer les choses, que ce changement passe par la mort… ou la fécondation. La société des immortels est en effet totalement asexuée, et le viril Zed y tranche quelque peu : on s’étonne notamment de cet étrange comportement qu’est l’érection… et Consuella, qui la suscite, de s’en offusquer, bien sûr.
Zardoz est ainsi un film outrancier, qui met régulièrement les pieds dans le plat et saute à pieds joints sur le bon goût, pour le meilleur et pour le pire. La science-fiction, d’ailleurs, y est abordée sous l’angle de la fable, et même, autant le dire, du conte philosophique. Tout n’est donc pas à y prendre au premier degré, la symbolique y est omniprésente (et parfois très lourde), et l’atmosphère générale est passablement surréaliste. Zardoz est un film de science-fiction au sens où Brazil en est un. Rien de plus opposé à 2001 l’odyssée de l’espace, donc.
Mais il y a pourtant un point commun, dans un sens : une ambition énorme, à la limite de la mégalomanie, et qui ressort assez du traitement baroque de l’ensemble. De même que 2001, mais avec beaucoup moins de subtilité, Zardoz traite intelligemment d’une multitude de thèmes tous plus fascinants les uns que les autres. Le problème est qu’il n’a pas à cet égard la même majesté. Boorman, de toute évidence, a voulu trop en faire, et l’on tend en même temps à se perdre dans les innombrables lectures qu’autorise le film et à soupirer après le didactisme appuyé de certaines scènes… Quoi qu’il en soit, et contrairement à sa réputation totalement infondée, Zardoz n’est en rien un film vide : c’est, bien au contraire, un film « trop plein », qui tend à déborder, à partir un peu dans tous les sens, et éventuellement à se perdre. Il y a néanmoins beaucoup à en retirer.
Et le fait est que, si l’action est assez rare, je ne me suis pour ma part pas le moins du monde ennuyé devant ce film, la réalisation, superbe, n’y étant pas pour rien. Zardoz est maladroit, certes, mais finalement pas si ridicule que cela… Un objet filmique non identifié, excessif mais pas inintéressant pour autant. Et pas un nanar, en tout cas.
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