Titre original : Paura nella città dei morti viventi.
Titres alternatifs : City Of The Living Dead, Fear In The City Of The Living Dead, Pater Thomas, The Gates Of Hell.
Réalisateur : Lucio Fulci.
Année : 1980.
Pays : Italie.
Genre : Horreur / Gore / Zombies.
Durée : 93 min.
Acteurs principaux : Christopher George, Catriona MacColl, Carlo De Mejo, Antonella Interlenghi, Fabrizio Jovine…
Âmes sensibles s’abstenir : on va parler ici d’un film bien gore qui glougloute. La grande tradition du bis rital pas avare en ketchup, avec un de ses plus beaux (?) spécimens. Et un maître incontesté du genre, qui a plus fait pour le Spasfon et les anti-émétiques divers et variés (mais surtout le Coca-cola, bien sûr) que Jean-Claude Van Damme pour la reconnaissance internationale de la pensée diagonale belge : j’ai nommé Lucio Fulci.
Un peu d’histoire. En 1968, le génial réalisateur américain (et pas mexicain, comme on a pu le lire dans Les Inrocks, bande de…) George A. Romero livre un monument du film d’horreur et du cinéma tout court avec son phénoménal et révolutionnaire La nuit des morts-vivants. Un film au budget ridicule, tourné dans des conditions quasi-amateur, et néanmoins brillant, beau, fort, inventif et intelligent. Un monument, vous dis-je. D’autant que cette quasi-adaptation du classique de Richard Matheson Je suis une légende, outre qu’elle apporte la preuve qu’un film totalement indépendant et débarrassé de tout poncif hollywoodien (et notamment le sacro-saint happy end… ah, et accessoirement la nécessité pour le héros d’être blanc, quoi qu’ait pu en dire par la suite le trop modeste Romero) peut remporter un franc succès critique et commercial, vient également établir à jamais une nouvelle figure du monstre et de l’horreur : le zombie. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : des zombies, on en a vu un paquet au cinéma avant La nuit des morts-vivants, et parfois de très bons (voyez le sublime Vaudou aka I Walked With A Zombie du grand Jacques Tourneur) ; seulement, on en était aux racines du genre, puisant directement leur inspiration dans le vaudou. Romero, non. Le terme de « zombies » n’est d’ailleurs pas employé une seule fois dans le film, et ne lui sera accolé qu’a posteriori. Chez Romero, on a donc des morts-vivants, plein de morts-vivants, une horde d’infectés qui se nourrissent de chair humaine : c’est bien le vampirisme pandémique de Je suis une légende que l’on trouve à la base de cette merveille. Quoi qu’il en soit, après ce film, l’amalgame se fera entre les « zombies » traditionnels (qui n’ont franchement rien à voir) et ces morts-vivants infectés et anthropophages.
Enfin, plus exactement, l’amalgame se fera surtout une dizaine d’années plus tard, avec la « suite » de La nuit des morts-vivants, et sans doute le meilleur opus de la tétralogie de Romero, intitulée à l’origine Dawn Of The Dead. Un chef-d’œuvre. Pas la peine d’en dire plus ici (d’autant que, comme vous êtes des gens de bon goût, vous l’avez nécessairement vu et adoré). Juste ceci : ce film où la référence au vaudou n’apparaît qu’une seule fois, comme un clin d’œil, a bénéficié de fonds italiens, le producteur n’étant autre que Dario Argento, encore à l’époque grand maître du giallo et du fantastique à l’italienne. Pour l’exploitation du film en Europe, Argento refait le montage du film, insistant davantage encore sur le gore et sur l’action, et le rebaptise Zombi. Et c’est bien sous le titre de Zombie que nous le connaissons encore aujourd’hui en France.
Or le cinéma populaire italien, depuis longtemps, jouait sur la reprise des grands mythes hollywoodiens : vous avez tous adoré des « westerns spaghetti »… Et le « film de zombies » ne va pas échapper à la règle, devenant même, pour le meilleur et surtout pour le pire (Bruno Mattei, entre autres…) un genre presque spécifiquement transalpin. Presque immédiatement après la sortie de Zombie en Italie, les producteurs ritals, qui n’ont décidément peur de rien, sortent un Zombi 2 (qui n’a bien évidemment rien à voir avec le film de Romero…), qui sera exploité aux Etats-Unis sous le titre de Zombie (puisque « notre » Zombie, là-bas, c’est Dawn Of The Dead…) et en France, pour de mesquines raisons juridiques sans doute, L’enfer des zombies.
Réalisateur : Lucio Fulci (oui, on y arrive). Fulci est un honnête artisan du bis transalpin, qui s’est essayé à un peu tous les genres, mais va désormais trouver son créneau dans le fantastique tendance tripes apparentes. C’est que L’enfer des zombies, s’il est très cheap, à peu près totalement dénué de scénario et « interprété » par des « acteurs » grotesques, n’en remporte pas moins un beau succès commercial, ceci sans doute grâce à une ambiance assez travaillée… et à des scènes de gore bien vomitives, dont un joli festin cannibale, et surtout une énucléation qui est rentrée dans l’histoire du genre. Et Fulci, qui a ainsi trouvé « son truc », va récidiver à plusieurs reprises, en s’éloignant néanmoins de plus en plus du zombie à la Romero pour livrer des films de morts-vivants plus connotés « fantastique », souvent inspirés par Lovecraft (j’y reviendrai), bien loin de l’horreur « réaliste » du maître de Pittsburgh. Et pour en rajouter toujours et encore plus dans la tripaille, avec les moyens du bord, certes, mais pour un résultat qui reste encore assez souvent efficace aujourd’hui (du gore, du vrai ; quand on voit aujourd’hui d’infects petits moralisateurs fascisants se plaindre de la violence au cinéma parce qu’il y a trois gouttes de sang dans tel ou tel film, on n’ose imaginer ce qu’ils diraient de ce genre de pellicules, qui ont pourtant remporté en leur temps de francs succès commerciaux… Manière de dire une fois de plus – je sais, je me répète, je suis lourd, mais je m’en fous – que l’on était bien plus libres dans les années 1970-1980, à tous les niveaux, que dans la sinistre époque puritaine qui est la nôtre).
Frayeurs (ayé, on y est) est donc une de ces récidives, et sans doute la plus connue avec L’au-delà (dont je vous entretiendrai en principe dans quelque temps). Et de même que dans L’Au-delà et (semble-t-il, mais je n’ai pas encore eu l’occasion de le voir) La maison près du cimetière, Fulci en fait une œuvre au croisement du film gore avec plein de zombies dedans et de l’épouvante lovecraftienne. La référence, ici, est évidente, l’action se situant pour l’essentiel dans la petite bourgade de Dunwich (oui, celle de « l’abomination »), paumée certes, mais quand même bien moins glauque que le saisissant clapier à dégénérés décrit par le reclus de Providence. Le drame commence quand un prêtre se pend dans le cimetière jouxtant l’église, permettant ainsi à l’une des portes de l’enfer (comme dans L’au-delà…) de s’ouvrir. La ville devient alors le théâtre d’événements étranges, les morts sortant de leur tombes pour y tourmenter les vivants. Pour parer à cet inquiétant prélude à l’apocalypse, nous croisons bien vite nos deux héros, un journaliste new-yorkais (Christopher George, essentiellement un acteur de séries TV) et une médium « ressuscitée » (Catriona MacColl, que l’on retrouvera dans L’au-delà et La maison près du cimetière, autant dire une habituée, même si sa filmographie est très hétéroclite).
Et on va s’arrêter là. Parce que, inutile de prétendre le contraire, le scénario est à peu près inexistant. Et les acteurs sont mauvais. Et le tout est souvent ridicule, avec quelques scènes à la limite du nanar (j’aime beaucoup, notamment, ce dialogue effarant de lucidité entre deux clients d’un bar : « – Mais pourquoi ne veulent-ils pas que nous allions dehors ? – Ca doit être à cause des morts qui sortent de leurs tombes… » Chapeau.). Pas fameux tout ça. La fin ridicule n’arrangeant rien.
Oui, on est bien devant un film de Fulci. Un réalisateur qui se fout totalement de la direction d’acteurs, et n’attache guère d’importance au scénario. Mais un réalisateur brillant à l’occasion. Frayeurs ne déroge pas à la règle : on y passe sans cesse du sublime (et je pèse mes mots) au ridicule (et je pèse mes mots ; oui, encore ; j’aime bien peser mes mots). Le tout donne un sentiment de bâclage assez dommageable. Certains bisseux n’y prêtent guère attention, et continuent de louer les films de Fulci. Moi, j’avoue avoir du mal, parce que je trouve vraiment triste de voir des guignoleries insipides succéder à des scènes d’anthologie, filmées avec une science remarquable de l’image et de l’atmosphère, pour un résultat parfois à couper le souffle.
Frayeurs contient en effet ce qui est probablement l’une des plus extraordinaires et éprouvantes scènes de toute l’histoire du cinéma d’horreur, Fulci jouant sur nos peurs les plus profondes avec une maestria incomparable. Catriona MacColl enterrée vivante. Je ne veux pas en dire plus ici, il faut voir cette scène à tout prix. Vous vous en souviendrez durablement… Pour l’anecdote, il est indéniable que Tarantino s’en est inspirée pour une scène similaire dans son très décevant Kill Bill, pour un résultat guère convaincant ; où l’on voit que Fulci, quand il le voulait bien (hélas, trop rarement…) était un réalisateur d’exception.
Il y a quelques autres scènes fort réussies, avec une atmosphère remarquable (Fulci aime la brume, qu’on se le dise !)… et du gros gore qui tache. Ainsi quand le curé zombie fait – littéralement – vomir ses tripes à une jeune fille. Zbeuarh. Et la perceuse en pleine tête, ça fait toujours son petit effet. Mais, dans l’ensemble…
Déçu, donc. Comme la plupart des Fulci m’ont déçu (à part peut-être L’Emmurée vivante, plus traditionnel, pas gore, mais plus « égal » et assez sympathique). Je lui préfère – avec leurs défauts – L’enfer des zombies et L’au-delà. Ceci dit, Frayeurs reste un classique à même de satisfaire les bisseux les plus intégristes. Et, au-delà, la scène du cercueil constitue un monument à part entière que tout cinéphile se doit d’avoir vu au moins une fois. Laquelle suffit de toute façon pour s’en souvenir à jamais.
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