THROBBING GRISTLE, Part 2. The Endless Not.
Tracklist :
01 – Vow Of Silence
02 – Rabbit Snare
03 – Separated
04 – Almost A Kiss
05 – Greasy Spoon
06 – Lyre Liar
07 – Above The Below
08 – Endless Not
09 – The Worm Waits Its Turn
10 – After The Fall
Chose promise, chose due : petit retour sur cet excellent dernier album de Throbbing Gristle.
Et rappel des épisodes précédents : Throbbing Gristle, le groupe fondateur de la musique industrielle, s’est séparé en 1980, à la fois en raison du succès naissant du groupe, s’accordant mal avec son discours hautement subversif, et pour cause de dissensions internes entre ses quatre membres. Ceux-ci n’abandonnent pas la musique pour autant : Genesis P-Orridge forme presque instantanément Psychic TV, et est dans un premier temps accompagné par Peter « Sleazy » Christopherson, qui le quitte cependant assez rapidement pour fonder Coil avec John Balance, tandis que le couple formé par Chris Carter et Cosey Fanni Tutti se lance dans un projet d’abord intitulé Chris & Cosey, puis Carter/Tutti. Si les trois derniers semblaient être restés assez proches les uns des autres, les tensions étaient par contre devenues très rudes à l’égard de Genesis P-Orridge. Autant dire qu’une reformation de Throbbing Gristle paraissait hautement improbable, d’autant que l’attitude revêche et subversive de TG ne semblait guère se prêter à l’exercice souvent tristement mercantile du come-back.
Et pourtant reformation il y a eu.
On pouvait craindre un retour de papys croulants – quand bien même androgynes –, uniquement désireux de payer leurs impôts, comme il y en a eu hélas tant ces dernières années, l’idéologie punk étant remisée au placard et laissant la place au rock de stade le plus émétique. De la part de TG, ç’aurait quand même été sacrément douloureux… Heureusement, ces craintes n’étaient pas fondées. Si ce TG 2 n’a pas la virulence jusqu’au-boutiste du premier, il n’en continue pas moins de livrer avec sincérité et passion une musique inventive et largement au-dessus du lot.
Ce nouvel album s’est pourtant fait attendre, après les reformations « ponctuelles » du groupe ; cela faisait plus de deux ans que l’on en parlait (les morceaux semblent d’ailleurs dater de 2004 et 2005)… Mais il est enfin sorti, sans aucun attirail promotionnel. Ce petit bijou s’intitule étrangement (ou à bon droit, comme on voudra) Part 2. The Endless Not ; un album de toute évidence plus abordable et bien plus calme que les brûlots industriels de la fin des années 1970, mais néanmoins passionnant, et faisant preuve d’une maîtrise technique à laquelle TG ne nous avait pas forcément habitués jusque-là. On sent bien qu’entre temps les expériences de Coil (surtout), Psychic TV et Chris & Cosey ont porté leurs fruits.
L’album débute (assez classiquement pour le groupe) sur une de ses compositions les plus hermétiques, avec cet étrange et fascinant « Vow Of Silence » aux allures de mantra industriel, porté par une rythmique jouant un peu la carte de la nostalgie et noyé sous les cris déviants d’un Genesis P-Orridge à la voix trafiquée au possible.
Cette excellente introduction laisse bientôt place à une authentique perle, bien plus originale, avec le sublime « Rabbit Snare », mélancolique morceau de jazz minimaliste, déviant et gazeux, superbement écrit et interprété ; c’est notamment l’occasion de constater les remarquables prouesses émotionnelles auxquelles parvient désormais Genesis P-Orridge, dont la voix nasillarde et souvent hors de ton n’a jamais été aussi pertinente et séduisante. Mais la musique n’est pas en reste : une rythmique à la fois mécanique et jazzy, soutenue par de sourdes impulsions de basse, un piano maladif complété à l’occasion de fines touches d’orgue, les explosions de cornet ou de stridences électroniques… Tout cela compose un paysage sonore à la fois glauque et apaisant, terriblement bien pensé, pour ce qui est peut-être la plus grande réussite de l’album.
On enchaîne ensuite sur une composition instrumentale de Chris Carter, avec la belle pièce d’ambient « Separated », où la guitare de Cosey Fanni Tutti, si elle garde encore quelque chose des attentats sonores originaux, témoigne néanmoins là encore d’une plus grande maîtrise, et n’est pas sans évoquer à l’occasion le jeu de Robert Fripp dans ses collaborations avec Brian Eno.
Suit un très beau, doux et douloureux « Almost A Kiss », superbe ballade minimaliste et vaguement trip-hop dans sa rythmique chaloupée et sa ligne de basse descendante à la « Glory Box ». La voix de Genesis P-Orridge, quelque part entre chant, parlé et hurlement, n’a jamais été aussi déchirante et maladive, pour un résultat qui touche directement au cœur. On avait connu TG virulent et agressif, on le découvre désormais subtil et émouvant (ce que je mettrais pour ma part sur le compte de l’expérience de « Sleazy » au sein de Coil, mais, le talent mélodique de Chris Carter, notamment, n’étant plus à démontrer, je peux très bien me tromper…).
« Greasy Spoon », ensuite, le plus long morceau de l’album, renoue quelque peu avec l’hermétisme de l’introduction, pour une pièce instrumentale ambient / industrielle plus directement évocatrice du Throbbing Gristle original, parcourue de glitches à la ELpH et de hurlements moqueurs et acides de cornet ou de guitare vrillant le crâne à la façon d’un effet doppler, tandis qu’une rythmique mécanique et monotone fait l’autoroute avec une basse si sourde qu’elle tient presque du bourdon.
Avec « Lyre Liar », on reste dans l’angoisse et le sordide, ces deux seuls mots étant répétés en boucle par un Genesis P-Orridge vaporeux et éthéré par-dessus des sons machinaux, la rythmique monotone agrémentée d’une unique note de basse pouvant éventuellement faire penser à certaines compositions parmi les plus réussies de Nine Inch Nails (ou si l’on préfère de Trent Reznor, notamment dans sa remarquable bande originale pour le jeu vidéo Quake) : beau retour à l’envoyeur, les maîtres s’imposant définitivement aux disciples plus ou moins talentueux. Un quasi-instrumental au son remarquable, paranoïaque et claustrophobe, que je déconseille fortement d’écouter au petit matin si l’on souhaite partir du bon pied et passer une bonne journée…
« Above The Below », ensuite, est une composition instrumentale de Cosey Fanni Tutti, ambient industriel minimaliste très cinématographique avec sa discrète mélodie sur trois notes, qui confirme au moins une chose : il serait temps, décidément, que je jette une oreille aux productions ambient du couple Carter/Tutti ; si elles sont toutes de cet acabit, cela promet d’être un véritable régal.
Avec « Endless Not », on revient à un morceau chanté, mais guère moins audacieux, la structure étant difficilement discernable dans ce magma sonore délicat de dissonances électroniques accompagné par une rythmique plus présente que sur les compositions précédentes. Une belle réussite, une fois de plus.
« The Worm Waits Its Turn », coécrit par Genesis P-Orridge et son confrère Bryin Dall, s’il n’est pas mauvais, me semble cependant moins convaincant, moins original et moins bien construit, l’introduction comme un cheveu sur la soupe d’une discrète rythmique « big beat » ne servant guère la pourtant jolie mélodie à l’atmosphère éthérée sur laquelle se pose avec monotonie le « spoken word » lancinant du leader de Psychic TV.
Heureusement, c’est sur un authentique bijou – dont le seul défaut (mais en est-ce vraiment un, connaissant les pratiques similaires de Throbbing Gristle sur certains des albums de la première époque ?) est sa brièveté – que s’achève l’album, avec un « After The Fall » de Peter Christopherson qui nous ramène aux plus belles expérimentations ambient de Coil. Les mots me manquent pour en dire plus, à vrai dire…
Part 2. The Endless Not n’est donc pas un vain album de come-back, écrit à la va-vite dans un but purement mercantile, mais bien une somme, un bilan en forme d’ouverture, témoignant des passions contemporaines de quatre génies de la musique électronique, toujours aussi sincères, toujours aussi inventifs, toujours aussi talentueux. Les intégristes du TG original n’y trouveront peut-être pas leur compte, pas plus que les amateurs de cet album ne trouveront nécessairement le leur dans les enregistrements les plus bruitistes du groupe. Mais pour ma part, j’y vois un album parfaitement digne de figurer dans la phénoménale discographie de ce groupe de légende. Je ne sais pas ce qu’il en est de l’avenir de Throbbing Gristle (pas plus que des projets de Peter Christopherson depuis le décès de John Balance mettant fin à l’expérience de Coil) ; mais si cet album devait connaître une suite éventuelle, aussi dénuée de compromissions et aussi brillante, je m’estimerais on ne peut plus heureux.
Commenter cet article