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"The Honeymoon Killers", de Leonard Kastle

Publié le par Nébal

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Titres alternatifs : Dear Martha, The Lonely Hearts Killers, Les tueurs de la lune de miel.
Réalisateur : Leonard Kastle.
Année : 1969.
Pays : Etats-Unis.
Genre : Drame / Mélodrame / Thriller.
Durée : 108 min.
Acteurs principaux : Shirley Stoler, Tony Lo Bianco …
 
« D’après une histoire vraie ». Un classique du racolage cinématographique, qui n’a la plupart du temps aucune sincérité, et que l’on retrouve particulièrement souvent pour vendre tel ou tel film d’horreur ou thriller. Un fameux exemple : Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, qui, s’il joue la carte du réalisme sordide et s’inspire en partie des méfaits bien réels d’Ed Gein pour brosser ceux de Leatherface et de sa charmante famille, n’en est pas moins une œuvre de pure imagination. La mention apparaît même parfois dans des films où le fantastique intervient, et il s’en trouve toujours pour y croire… Il en va de même pour certains films qui prennent une apparence de documentaire, comme Cannibal Holocaust, Le projet Blair Witch… ou, dans un genre bien différent, le très réjouissant Opération lune de William Karel. Sans parler des « Mondo »… La jaquette de The Honeymoon Killers ne déroge pas, un sticker très « Détective » précisant qu’il s’agit de « l’histoire vraie d’un couple de serial killers ».
 
Sauf que cette fois ce n’est pas une blague. Les « tueurs de la lune de miel » (plus connus en fait à l’époque sous le nom de « lonely hearts killers », les « tueurs des cœurs solitaires ») ont bel et bien existé. Et si le film de Leonard Kastle condense leur histoire et s’autorise quelques libertés, il n’en reste pas moins la recension cinématographique la plus fidèle de cet ahurissant fait divers.
 
Commençons donc par évoquer brièvement la véritable histoire des « tueurs de la lune de miel », qui nous est détaillée dans un bonus du DVD par le « spécialiste » des tueurs en série Stéphane Bourgoin, à sa manière habituelle : sordide et racoleuse, mais néanmoins documentée… et fascinante. C’est avant tout l’histoire d’une rencontre déterminante, celle de deux individus au passé certes trouble, mais qui ne seraient probablement jamais devenus des tueurs s’ils ne s’étaient pas rencontrés. Martha Beck a eu une enfance pour le moins malheureuse, une fois n’est pas coutume : violée par un membre de sa famille et punie par sa mère quand elle lui raconte ce drame, abandonnée ultérieurement par un mari volage qui la laisse seule avec leur enfant (qu’elle abandonne à son tour) et victime très tôt d’un dérèglement hormonal qui la rend obèse, elle ne parvient pas vraiment à s’intégrer dans la société américaine ; bien qu’ayant obtenu brillamment son diplôme d’infirmière en chef à une époque (la seconde guerre mondiale) où on en a besoin plus que jamais, elle ne trouve cependant que rarement du travail… et le plus souvent dans des morgues, où elle a pour charge de rendre les cadavres « présentables ». C’est en adhérant par dépit à une agence matrimoniale qu’elle va faire la rencontre de Raymond Fernandez. Celui-ci n’a tout d’abord pas de passé criminel ; il est même relativement estimé et intégré, semble-t-il, et l’on s’accorde pour dire qu’il s’est battu héroïquement durant la guerre. Il aurait été victime d’un accident durant le voyage de retour vers les Etats-Unis qui aurait modifié totalement sa personnalité (anecdote à prendre avec des pincettes ; on a souvent évoqué ce genre de cas, mais aucune preuve scientifique n’a pu être apportée pour l’instant) ; quoi qu’il en soit, il devient alors un petit délinquant de bas étage, et fait même un peu de prison pour un vol dérisoire. Après quoi cet homme chauve et un peu bedonnant, qui n’a donc a priori rien d’un séducteur, va se lancer avec succès dans une vaste entreprise d’escroquerie au mariage, séduisant et épousant des veuves, nombreuses après la guerre, pour disparaître ensuite avec leur argent. Un jour, il répond donc à une lettre de Martha Beck (qui a menti sur son age, son apparence et sa situation). Comprenant vite qu’elle n’a pas le profil de ses victimes (en clair : elle n’a pas d’argent), il disparaît rapidement. Mais Martha est tombée follement amoureuse du gigolo, et la connaissance de son triste petit commerce n’y change rien. Elle retrouve sa trace, fait du chantage au suicide (et à la dénonciation à la police)… et Raymond de céder finalement à un sentiment qu’il avait voulu ignorer jusqu’alors : il est bien éperdument amoureux de cette femme peu avenante et très perturbée. Martha devient sa complice ; Raymond la présente à ses victimes comme étant sa sœur (et une sœur infirmière, c’est un atout pour ces veuves souvent âgées). Mais Martha est terriblement jalouse et possessive : elle ne supporte pas l’idée que Raymond – dont c’est pourtant, si l’on peut dire, le travail – couche avec d’autres femmes qu’elle. Cela la conduira bientôt au meurtre. Et les circonstances feront que Raymond la suivra bien vite sur cette pente fatale. Le couple, qui s’est livré à ces activités criminelles pendant deux ans à travers nombre d’Etats américains, sera finalement arrêté (dans des circonstances que je suppose différentes de celles du film, que je ne révélerai pas ici). La presse s’emparera de cette étrange histoire des « tueurs des cœurs solitaires ». Martha et Raymond seront condamnés à mort pour deux assassinats, mais on les a suspectés dans 17 cas. Ils passeront sur la chaise électrique l’une immédiatement après l’autre en 1951. Leur histoire sera bien vite récupérée, et on en connaîtra nombre de versions plus ou moins fidèles. Mais celle de Leonard Kastle (par ailleurs la seule à conserver les noms originaux) est largement au-dessus du lot.
 
Leonard Kastle n’est en rien un homme de cinéma. Il est avant tout un auteur et metteur en scène d’opéras (notamment un sur le mormon Brigham Young, un peu antérieur au film), et plutôt estimé semble-t-il. Il est néanmoins contacté un jour par son ami producteur Warren Steibel, qui lui propose de travailler sur un film inspiré par l’étrange histoire des « tueurs des cœurs solitaires ». Kastle, fasciné par ce fait-divers morbide, accepte, et se met à rédiger un scénario extrêmement détaillé. On embauche alors un jeune réalisateur prometteur pour tourner le film, mais celui-ci ne parvient pas à obtenir quoi que ce soit de satisfaisant, que ce soit pour lui ou pour Kastle, et abandonne rapidement le projet : il s’appelle Martin Scorcese… Steibel suggère alors à Kastle de réaliser lui-même le film ; mais, s’il a monté plusieurs opéras, il ne connaît strictement rien au cinéma… Il se met cependant au travail, étudiant avec le sérieux du novice des scénarii de Truffaut, Rossellini et Antonioni (on voit bien à ces influences « recommandables » qu’on est bien loin de la pure exploitation, contrairement à ce que le thème du film pouvait laisser supposer). Et c’est ainsi qu’il réalisera The Honeymoon Killers, qui restera à jamais son unique contribution au septième art. Kastle s’en amuse, et explique avec un sourire que c’est un argument en sa faveur : « Je peux ainsi affirmer n’avoir jamais réalisé de mauvais film après The Honeymoon Killers. » Certes… On peut bien se permettre d’être plus généreux à son égard : Leonard Kastle n’a jamais réalisé un seul mauvais film ; The Honeymoon Killers est en effet un chef-d’œuvre méconnu du cinéma américain, qui mériterait sans aucun doute une plus ample reconnaissance ; et l’amateur à l’origine de ce que la revue Positif a pu qualifier de « plus belle tragédie moderne que le cinéma nous ait donnée depuis fort longtemps » (il a écrit le scénario, choisi et dirigé les acteurs, réalisé le film et imposé sa version du montage ; j’imagine que ce directeur d’opéra n’est enfin pas pour rien dans le choix des partitions de Gustav Mahler qui l’accompagnent) pourrait à bon droit donner des leçons de cinéma à bon nombre de « professionnels » établis.
 
The Honeymoon Killers est vendu comme un thriller, mais – si cet aspect n’est pas négligeable, les scènes de meurtre (au nombre de quatre), particulièrement brillantes, n’ayant rien à envier aux plus grands maîtres du genre (la réalisation, sous cet angle, ne manque pas de faire penser à Hitchcock, et ultérieurement à De Palma), et étant bien évidemment au coeur du récit – ce n’est pourtant pas l’aspect dominant du film, qui reste avant tout un drame amoureux superbement construit et subtil. Une chose est claire, en tout cas : Leonard Kastle le revendique, il n’a certainement pas voulu faire un film policier. Cet aspect est en effet totalement inexistant dans le film, et Kastle va plus loin, en prenant le contre-pied des poncifs hollywoodiens : méprisant envers le pathos outrancier et la tendance à magnifier la réalité propre à l’usine à rêves, Kastle décide de livrer un film tendant vers le « cinéma-vérité », et appliquant une lecture clinique et détachée à cette sordide histoire, bien plus efficace pour susciter l’empathie, car plus « vraie ». Les victimes ne sont donc pas de belles innocentes au-dessus de tout soupçon, mais le plus souvent des vieilles biques, pingres, menteuses, bigotes, hypocrites, écervelées… Elles n’en sont que plus vraies, et leur sort n’en est que plus abominable et marquant. Il en va de même pour les tueurs. Martha Beck et Raymond Fernandez n’avaient rien d’icônes hollywoodiennes, et Kastle va là encore chercher le réalisme, en engageant deux acteurs au physique peu avenant, dont la carrière cinématographique se limitera le plus souvent à des seconds rôles. La grosse Martha Beck, clairement le personnage central du film, sera incarnée par Shirley Stoler (dont la carrière est essentiellement théâtrale, mais que l’on a pu revoir à l’occasion au cinéma, notamment dans Voyage au bout de l’enfer), tout simplement phénoménale ; quand à Raymond Fernandez, ce sera Tony Lo Bianco qui l’interprétera, avec son accent à couper au couteau (on le reverra notamment dans French Connection et Malcolm X, mais son physique particulier l’amènera surtout à interpréter des seconds rôles de petites frappes ou de « prolétaires »). Excellents choix, qui confèrent au film une atmosphère unique, et renforcent au final l’empathie.
 
Car The Honeymoon Killers me semble avant tout un drame, assez expressionniste et réaliste en même temps, où la psychologie des personnages, et en premier lieu de Martha, passe clairement au premier plan. Ainsi dès la première scène, avec un assez remarquable travelling qui nous permet de découvrir celle que le film présente d’emblée comme une infirmière en chef (première liberté), autoritaire et frigide. La scène suivante poursuit dans cette voie, l’infirmière boulimique et nerveuse ayant à supporter son insupportable mère, et les conseils avisés d’une « amie » qui l’a inscrite, sans lui demander son avis, dans une agence matrimoniale. C’est ainsi qu’elle fera la rencontre de Ray, caricature hautement cabotine de latin lover dans ses premières apparitions, mais qui révélera bientôt sa véritable personnalité sous ce masque un peu vain, celle d’un petit délinquant minable, et finalement guère entreprenant. C’est clairement Martha, dont on comprend bien vite qu’elle est très manipulatrice, et pour ainsi dire une menteuse compulsive, qui va prendre le dessus dans le couple, tout d’abord au travers d’épiques scènes de jalousie où le chantage au suicide n’a rien d’une menace en l’air, puis en prenant l’initiative des premiers meurtres. Ray lui appartient. Si ce « métier » peut leur rapporter beaucoup d’argent, elle refuse néanmoins qu’il couche avec d’autres femmes. Elle le lui dit clairement : elle préfère le voir pourrir en prison, et elle, sa complice, avec, plutôt que de l’imaginer ne serait-ce qu’un instant auprès d’une autre femme. Dès lors, elle se met à l’épier, à profiter du moindre prétexte pour le suivre… et bientôt à tuer avant l’instant fatidique de la lune de miel, pour préserver l’intégrité de son amant. Si le premier meurtre n’est pas « graphique », l’infirmière Martha administrant à sa « rivale » une overdose de somnifères, la situation dégénère bien vite, ainsi dans le premier meurtre unissant les deux amants, Martha assommant une insupportable vieille bigote paranoïaque (à raison…) à coups de marteau, puis aidant Ray à étrangler la victime. Une scène remarquable, dure et sèche, superbement filmée. Quant au meurtre suivant, il tient de la scène d’anthologie, notamment dans ce passage tétanisant où la victime paralysée écoute ses assassins débattre de la marche à suivre, de qui fera quoi, et comment : gros plan sur les yeux affolés de la pauvre veuve, qui s’éternise… jusqu’à ce que soudain… Mais reste la fille de la veuve. La charitable Martha veut bien s’en occuper à la place de Ray…
 
Je n’en dirais pas plus sur la fin (on m’accusera peut-être d’en avoir déjà trop dit, mais, encore une fois, la dimension thriller ne me semble clairement pas être celle qui domine dans le film, et, quand elle apparaît, elle joue sur le suspense au sens strict : l’angoisse ne vient pas de la surprise, mais du fait que l’on sait parfaitement ce qui va se produire…). Mais sachez qu’elle est fabuleuse, et durablement marquante.
 
Pour un amateur, Leonard Kastle fait preuve d’un savoir-faire remarquable : s’il y a de temps à autre quelques inévitables maladresses de débutant, le film, superbement cadré, n’en offre pas moins de nombreuses scènes que l’on aurait envie de qualifier de virtuoses, si ce terme ne renvoyait pas si souvent à une certaine gratuité totalement absente ici. Chaque plan, chaque mouvement, chaque cadrage, est mûrement réfléchi. Et le résultat est bien un chef-d’œuvre, injustement méconnu, et qui mériterait bien des éloges. Une authentique perle du cinéma américain, à découvrir ou redécouvrir absolument.

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N
Ah ! Content que ça t'ait plu ! Hein que ce petit bijou de film est scandaleusement méconnu !<br /> <br /> Quant à "l'ancêtre de Kathy Bates", c'est marrant, mais j'étais à peu près certain que tu la sortirais, celle-là... ;)
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C
Ce film est une vraie perle. C'est beau, l'ancêtre de Kathy Bates est excellente. Rien d'autre à ajouter à cette bonne critique (merci Mr Bourgoin ;-)<br /> Cela vaut un coup de téléphone!
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N
En tout cas, Stéphane Bourgoin, dans le bonus, évoque cette horrible exécution, et parle que quatre tentatives, entre autres détails bien dégobillants.<br /> <br /> Tout à fait d'accord, au passage, sur les meurtres qui "durent des plombes" ; ça m'a un peu fait penser au fameux meurtre interminable du "Rideau déchiré" d'Hitchcock (un de ses moins bons films, d'ailleurs, mais là n'est pas la question...) : sa justification était d'ailleurs de prendre le contrepieds des scènes de meurtre "traditionnelles" où la victime tombe sans un bruit au premier coup de couteau, pour montrer à quel point il est difficile et horrible de tuer (d'autant plus que, et c'était encore plus vrai dans la première version du film, le spectateur peut ressentir une certaine empathie pour la victime).
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S
...et il parait que sur la chaise électrique Marhta (la vraie) n'a pas grillé du premier coup, ils ont dû s'y prendre à plusieurs reprise... je sais pas si c'est une légende ou pas... en tout cas c'est un film que j'aime beaucoup,les acteurs ont bien 'la gueule de l'emploi' comme on dit,les meurtres sont abominables et durent des plombes... un film qui 'viole le spectateur dans une position rare' (c'est pas de moi mais de Picabia, mais je trouve que c'est une formule approprié).
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