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"Cannibal! The Musical", de Trey Parker

Publié le par Nébal

Cannibal--The-Musical.jpg

Titre original : Alferd Packer: The Musical
Réalisateur : Trey Parker.
Année : 1996.
Pays : Etats-Unis.
Genre : Comédie / « Horreur » / « Gore ».
Durée : 95 min.
Acteurs principaux : Juan Schwartz (= Trey Parker), Mathew Stone (= Matt Stone), Toddy Walters…
 
C’est marrant, quand on y pense, le nombre de couples célèbres formés par un Juif et un antisémite : H.P. Lovecraft et Sonia Greene, Israël et la Palestine, Elie et Dieudonnée, Karl Marx et Pierre-Joseph Proudhon, Jésus et l’Eglise… Mon préféré, et de loin, c’est quand même l’impayable duo formé par Trey Parker et Matt Stone. Deux jeunes gens bourrés de talent, voués corps et âme à la propagation du bon goût, du respect des aînés et de l’amitié entre les peuples. On les connaît surtout pour leur remarquable série tout juste animée South Park, narrant avec tendresse les péripéties naïves d’un quatuor de charmants bambins au langage rafraîchissant. Mais Parker et Stone se sont également livrés avec bonheur à l’exercice bien différent du long-métrage, et ce au-delà de South Park ; ainsi avec le subtil et pertinent film de marionnettes intitulé Team America, Police du Monde (contenant une remarquable analyse des relations internationales en fonction du paradigme réaliste, que n’auraient certes pas renié Thucydide, Clausewitz ou encore Hans Morgenthau, et fondée sur la distinction entre les « p’tites chattes », les « gros nœuds » et les « trous du cul »). Mais déjà, sous une forme plus traditionnelle, avec le superbe Captain Orgazmo, où Trey Parker, par ailleurs réalisateur du film, incarnait avec brio et sobriété un Mormon intégrant contraint et forcé le monde interlope du « cinéma » pornographique et super-héroïque. Et avant Captain Orgazmo, et avant même South Park, il y eut donc Alferd Packer: The Musical, plus connu sous son titre ultérieur de distribution en vidéo : Cannibal! The Musical.
 
Et là je crois qu’il est bien temps de changer de ton, parce que merde, quoi.
 
Cannibal! The Musical est donc si je ne m’abuse le premier long métrage des deux trublions. Enfin, surtout de Trey Parker, puisqu’il a « réalisé » le « film », « écrit » le « scénario » (« d’après une histoire vraie », bien sûr…) et les « chansons » et « interprété » sous l’étrange pseudonyme de Juan Schwarz le « héros » de la chose.
 
Surtout, Cannibal! The Musical est un film Troma, ce qui en dit long. La firme de Lloyd Kaufman et Michael Herz, pour ceux qui ne la connaîtraient pas, s’est en effet spécialisée dans le Z le plus stupide et affligeant, pour le plus grand bonheur de ceux que l’on appelle couramment les « cinéphiles déviants ». Leur titre de gloire, c’est essentiellement le fameux Toxic Avenger, rapidement devenu l’emblème de la boîte. Et à vrai dire une de ses rares réussites, le reste du catalogue étant souvent bien moins intéressant. Il y a parfois des choses sympa, ceci dit, et, de toute façon, perso, je suis incapable de dire du mal d’une maison de production dont le catalogue renferme des titres aussi improbables que Sgt. Kabukiman, Class Of Nuke’em High, Troméo & Juliette, Rabid Grannies (là, je préfère le titre français, Les mémés cannibales), Surf Nazis Must Die (paraît-il pourri malgré ce titre alléchant) ou encore Maniac Nurses Find Ecstasy (je ne sais pas ce que vaut celui-ci, mais, rien que pour le titre, je veux voir cette chose). Et Cannibal! The Musical représente à mon sens clairement le haut du panier de linge sale en famille : c’est hideux, c’est mal fait, c’est stupide, c’est consternant de mauvais goût… et à mourir de rire. J’adore.
 
Nous sommes en 1874 dans les montagnes Rocheuses. Le film commence de la pire manière, avec un grain ignoble de vidéo, du cabotinage atroce, une musique pourrie au synthé pourri et du gore vraiment très très artisanal, alors que le TERRRRRRRIBLE Alferd Packer (Trey Parker, donc) se jette sur des innocents apeurés pour les dévorer vivants, à grands renforts de « Gniahahah ! ». L’exemple même du mauvais film de potaches, et on en a tous réalisés des comme ça (sauf si l’on a été élevée dans la religion et le sarkozysme). C’est ignoble. Mais ce n’est pas vraiment le film ; on enchaîne en effet immédiatement sur ce que la décence ne devrait pas permettre de qualifier de « tribunal », tant le décor et les costumes sont indigents et affligeants. Ce que nous venons de voir / subir, c’est la version des faits qui sont reprochés au pauvre Alferd Packer par un procureur avec écrit « je suis un méchant » sur le front ou presque. Bon, on n’ira quand même pas jusqu’à parler de mise en abyme, hein… Clin d’œil sympathique au nanardeur, ceci dit, le réquisitoire de l’infâme moustachu n’étant pas sans évoquer le grandiose Virus Cannibale du regretté Bruno Mattei. En substance : « Cet homme a tué, et on n’a pas le droit de tuer ; et c’est pour cela qu’il faut le CONDAMNER A MORT ! » Et la foule en délire d’applaudire à tout crin. Evidemment, de la part de ces deux trublions que sont Trey Parker et Matt Stone, tout cela n’est pas vraiment innocent… Quoi qu’il en soit, le pauvre Alferd Packer est reconduit dans sa cellule, où il essaye désespérément de construire une maquette en attendant le verdict, qui ne saurait faire de doute. Mais voilà que la jeune et jolie journaliste Polly Pry, subjuguée par les yeux de braise (heu…) du futur condamné, entend en apprendre un peu plus. Elle se rend auprès de Packer, et obtient de lui qu’il raconte sa version des faits. Tout, en fait, provient de l’amour fou de Packer pour Liane.
 
Sa jument.
 
Un an plus tôt, Packer était un jeune, gentil et naïf cow-boy solitaire de l’Utah, et il n’avait que Liane au monde. Une petite communauté de mineurs de l’Etat a entendu dire que l’on avait trouvé de l’or dans le Colorado voisin, et, subjugués par le discours héroïque d’un pasteur mormon, certains d’entre eux entendent bien accomplir le périlleux voyage à travers les Rocheuses. Mais le guide meurt terrassé par la foudre… Qu’à cela ne tienne ! Un mineur insupportablement gentil a appris que Packer venait du Colorado, et convainc un petit groupe qu’il saura bien faire l’affaire. Et Packer de prendre la tête d’une petite expédition, composée du gentil mineur, du Mormon, d’un Juif neuneu (Matt Stone dans un rôle préfigurant clairement Kyle pour ce qui est de l’accoutrement, avec un peu de Kenny aussi), d’un jeune cow-boy ambitieux qui aimerait bien rencontrer un jour une femme histoire de ne pas mourir puceau, et d’un « boucher » particulièrement hargneux et asocial (et au ventre improbable, mais on va dire qu’on n’a rien vu). Et tout ce beau monde de prendre la route du Colorado.
 
Packer est bien sûr un guide pitoyable, et les difficultés s’enchaînent, ponctuées de temps à autre d’ahurissantes séquences de comédie musicale d’une naïveté stupéfiante (« It’s a shpadoinkle day ! »), mélodies ridicules interprétées au Bontempi et chantées généralement d’une manière affligeante (même si Trey Parker est un poil au-dessus du lot). Autant ne pas parler des chorégraphies… Les choses vont s’aggraver quand la petite troupe va tomber sur trois infects trappeurs puant (avec un costume de fourrure improbable, patchwork d’ours, de marmotte et de zèbre, et « Trappers » écrit dans le dos à la manière des Hell’s Angels), dont le chef n’est autre que l’arrogant Frenchy Cabazone (tout un programme…), ses deux comparses faisant figure de brutes épaisses narquoises aux moustaches douteuses. Frenchy affirme que Liane est un cheval de trappeur, mouhahahaha ! Et quand, quelques jours plus tard, Liane disparaît, Packer de se mettre à sa poursuite, persuadé qu’elle a été enlevée par les méchants trappeurs… Les choses s’aggravent sacrément, la traversée des rivières est épique, la tension sexuelle monte, les cyclopes sudistes chantent affreusement mal et, si les Indiens de la tribu des Nihon-Jin, très fiers de leurs tipis ornés d’un soleil rouge et de leurs katanas certifiés « Américains d’origine », sont plutôt sympathiques à l’égard de Packer-san et lui apprennent même quelques rudiments d’arts martiaux (« mais oui, indiens, j’ai une plume sur la tête, trou du cul ! »), tout cela va indéniablement mal finir, alors que les vivres manquent, que les voyageurs sont indéniablement perdus, et que l’autre con de gentil mineur, là, ne pense à rien d’autre qu’à faire un bonhomme de neige, ce crétin ! Il va bien falloir trouver de quoi manger…
 
Tout cela est d’un mauvais goût effroyable, les gags les plus improbables s’enchaînent à une fréquence que ne renieraient pas les ZAZ de la grande époque, l’humour est douteux, corrosif et ignoble, tout le monde s’en prend plein la poire, et le spectateur est aux anges. Une comédie musicale de western cannibale ! C’est franchement à mourir de rire. S’il n’y a quasiment pas de gore (de toute façon drôle tant il est artisanal, avec des vrais morceaux de pioches en polystyrène dedans…), et si l’horreur est bien évidemment totalement absente, la comédie est efficace pour qui n’est pas trop coincé du rectum, et l’on se prend bien vite à chanter en chœur, aussi mal que les protagonistes, « It’s A Shpadoinkle Day! », la chanson des trappeurs, l’insupportablement enthousiaste « Let’s Build A Snowman », la chanson d’amour de Polly pour Alferd et celle d’Alferd pour Liane, et plein d’autres encore, avant d’arriver au sublime final à la West Side Story de « Let’s Hang The Bastard! »
 
Des « mauvais » films comme celui-là, moi, j’en reveux. L’exercice du « nanar volontaire » est particulièrement périlleux, mais Trey Parker l’a « brillamment » négocié, et on ne s’ennuie pas un seul instant devant cette préfiguration de Captain Orgazmo, Team America, et bien sûr South Park. Shpadoinkle !
 
 
 
PS : Ne pas manquer un bonus du DVD infiniment plus sérieux, dans lequel Lemmy Kilminster de Mötörhead abandonne un instant sa réjouissante musique de routiers sous amphétamines pour nous entretenir, avec Trey Parker et Matt Stone, d’un sujet particulièrement grave et tristement négligé en ces temps d’individualisme triomphant : la dure condition des hermaphrodites. Merci pour eux.

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N
Ah, tiens, je ne savais pas que Troma n"était intervenu que sur le tard... Mais effectivement c'est pas plus mal.<br /> <br /> J'ai vraiment passé un bon moment devant ce film potache et débile et souhait, et complètement assumé. "Let's build a snowman!", c'est effectivement un grand moment, je me suis même surpris à fredonner cette chanson débile... Quant aux Indiens, ils sont magnifiques !
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É
Un film de potes complétement fauché mais n'ayant pas peur de le montrer, et plutôt inspiré. On profite comme on peut des superbes paysages naturels du Colorado, les costumes et barbes postiches sont bien foireux, la mise en scène téléfilmesque au possible, les musiques bontempi devaient déjà sonner cheap à l'époque de la sortie du film (1996), et tout ça participe bien sûr à l'ambiance volontairement nawak de l'entreprise. <br /> <br /> Il y a des passages vraiment très drôles ("Let's build a snowman !"), et le plus suprenant, c'est que c'est plutôt bien raconté. La dynamique de groupe fonctionne bien. Il y a incontestablement une patte personnelle. Le projet du film étant antérieur à l'arrivée de Troma dans l'affaire, la boîte de Lloyd Kaufman n'a pas trop plaqué son empreinte (gore faiblement présent, cul totalement absent). C'est pas plus mal. <br /> <br /> É.
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N
Farpaitement ! C'est vrai, ça, on nous bassine avec la pollution, tout ça, mais en attendant, eh ben, les hermaphrodites, eh ben, tout l'monde s'en fout, et c'est dégueulasse !
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K
Rien que pour le bonus, ce DVD devrait être distribué dans les lycées. Merci Lemmy !
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