"Un chapeau de ciel", de Terry Pratchett
C’est donc l’heure du coming-out :
EH BEN MOI J'AIME LES BOUQUINS DE TERRY PRATCHETT ET JE TE MERDE, VIL CUISTRE !!!!!
C’est con, mais ça fait du bien.
Ce qui fait encore plus de bien, ceci dit, c’est la lecture d’un bon bouquin de Terry Pratchett. Comme Un chapeau de ciel, par exemple. Celui-ci, pourtant, sort un peu de l’ordinaire, ainsi qu’en témoigne déjà la couverture : on le présente bien comme étant « un roman du Disque-monde », ce qu’il est indéniablement, mais il ne se place pas dans la volumineuse série « officielle » des Annales du Disque-monde (même éditeur, et même collection, pourtant). Il y a à cela une explication fort simple, même si elle n’apparaît nulle part dans ce petit volume : Un chapeau de ciel, de même que Le fabuleux Maurice et ses rongeurs savants et Les ch’tits hommes libres, a été publié originellement dans une collection destinée à la jeunesse. On aurait tort, toutefois, de vouloir à tout prix distinguer les « Annales » destinées aux « adultes » de ces volumes-là, réservés aux « petits n’enfants ». Les différences sont à vrai dire minimes : les romans sont plus courts (ce qui n’est d’ailleurs pas plus mal) et structurés en chapitres, légèrement illustrés, et les personnages centraux sont différents (et souvent des enfants). Et c’est à peu près tout. Oh, on aurait bien envie de dire, surtout en début de roman, que le style est un peu plus simple, que l’humour délirant se voit imposer quelques chastes limites, ou que les thèmes sont plus gnan-gnan. Sauf qu’en fait pas vraiment, et on s’en rend compte très vite. Ces romans ne dépareillent franchement pas dans le cycle des « Annales ». Et, comme toute bonne littérature jeunesse, ils régaleront les adultes tout autant que les ados ; et peut-être même plus, en fait, car il est un point que l’on néglige un peu trop, trouvé-je, quand on parle de Pratchett : c’est que ses bouquins sont loin d’être aussi cons qu’ils en ont l’air… L’éditeur, s’il a donc donné une allure différente à ces romans-là, a à mon sens parfaitement eu raison de ne pas mettre en avant ce caractère « jeunesse », assez contestable, et qui ne doit de toute façon constituer, ni un argument de vente, ni un repoussoir.
On aurait bien tort, en effet, de négliger ces romans en en réservant dédaigneusement la lecture à nos cadets : Pratchett y a bien fait la preuve de son talent (Le fabuleux Maurice et ses rongeurs savants a été très justement plébiscité), et peut-être plus encore, à certains égards, que dans ses plus récentes productions « adultes » : ces romans sont plus courts, plus denses, éventuellement mieux construits, et Pratchett s’y montre (paradoxalement ?) plus subtil dans les (nécessaires) interrogations morales qui les sous-tendent.
Envisageons donc de plus près cette toute récente parution française. Un chapeau de ciel, s’il est bien entendu parfaitement possible de le lire indépendamment, reprend néanmoins les personnages et le cadre des Ch’tits hommes libres, et c’est avec un plaisir non dissimulé que l’on retrouve ces teigneux Nac mac Feegle au langage déroutant (et magnifiquement rendu par Patrick Couton, dont on ne vantera jamais assez les traductions). Deux années se sont écoulées depuis que l’apprentie sorcière (remarquablement douée pour le fromage) Tiphaine Patraque a vaincu sans trop savoir comment la reine des fées, assistée de ces fiers combattants Pictsies dont elle a un temps été la kelda. Elle a désormais onze ans, et il est temps pour elle de parcourir un peu le monde, en se mettant au service d’une vieille dame, comme toute jeune fille de son âge. Elle quitte donc, pour la première fois de sa vie, son Causse natal et ses collines où les moutons pullulent, accompagnée de la « dénicheuse de talents » Miss Tique, pour se mettre au service de Mademoiselle Niveau. C’est un prétexte, bien sûr : Mademoiselle Niveau est une sorcière, qui va s’empresser de prendre en main l’éducation de la petite bergère (d’autant que des mains, elle en a quatre) ; Tiphaine n’aura même pas à faire le ménage, d’ailleurs, Oswald s’en charge avec délectation (il faut dire que c’est un ondageist, le contraire d’un poltergeist…).
Mais il y a un problème. Tiphaine, « précoce à faire peur », est devenue la proie d’une entité étrange, un « rucheur » ; une sorte d’esprit qui agit un peu à la façon du légendaire babar-l’ermite, l’éléphant timide des terres d’Howonda : il se niche chez quelqu’un, et il est impossible de l’en faire partir, et encore plus de le tuer… Face à ce terrible danger, le fourbi des sorcières n’est pas d’une très grande utilité ; il faudra au moins tout le courage et l’envie irrépressible de filer des coups de boule à tout ce qui bouge caractérisant les Nac mac Feegle pour en venir à bout. Et sur l’ordre inflexible de sa kelda Jeannie (ah, les femmes…), le chef Rob Deschamps se met donc en route pour « sauveu la ch’tite michante sorcieure jaeyante du rukeu. Miyards ! » Et le grand pouvoir de la sorcière de référence Esméralda Ciredutemps (« Mémé… mais pas techniquement... ») sera également bienvenu…
Ben c’est donc pas Un chapeau de ciel qui va me faire revenir sur mes sentiments à l’égard de Pratchett. Il abonde en scènes particulièrement hilarantes, notamment celles impliquant ces décidément fort sympathiques Ch’tits hommes libres : Rob Deschamps souffrant le martyre dans son rude apprentissage de la lecture et de l’écriture, quelques épiques scènes de ménage avec la kelda, ou encore et surtout le déguisement en « jaeyant », ça vaut son pesant de cacahuètes. Mais, même au-delà, on trouvera souvent matière à rire, avec le maniaque Oswald (une idée géniale), la confection du fourbi, les « signatures » des plantes, les troubles de Mademoiselle Niveau, les ragots du jugement des sorcières, etc. Et puis j’ai toujours adoré Mémé Ciredutemps, à mon avis un des meilleurs personnages des Annales du Disque-monde, et qui, ici, se révèle même touchante à l’occasion (mais ne le lui répétez pas !). Car il y a des choses plus graves, de temps à autre, dans ce roman « jeunesse » : souffrance, cruauté, et même mort… Et de la poésie, parfois (la fin est superbe). Enfin, dans sa dimension de « roman d’apprentissage » très appuyée, Un chapeau de ciel contient de fort jolies réflexions, d’ordre éthique notamment, mais pas seulement : sans jamais sombrer dans la lourdeur, Pratchett amène son supposé jeune lecteur à s’interroger quelque peu sur l’altruisme, la responsabilité, les lois, l’éducation, l’apparence et la réalité, et peut-être plus encore, ainsi avec ce Cheval blanc du Causse (« C’est pas à ça que ressemble un cheval, mais c’est certainement ce qu’il est. »)…
Que du bonheur. Les amateurs du Disque-monde seront comblés ; les plus jeunes lecteurs y trouveront une porte d'entrée tout à fait appropriée. Quant aux autres, on peut bien les laisser à leurs sarcasmes : nous, pendant ce temps, on se marre bien, sans s'abrutir pour autant.
Commenter cet article