TABACHNIK (Maud), Tous ne sont pas des monstres, [s.l.], Baleine, coll. Club Van Helsing, 2007, 189 p.
Cette rubrique s’intitule « Nébal lit des bons bouquins ». Et, dans l’ensemble, c’est vrai. Si si. C’est bien pour ça que je les lis, d’ailleurs. Seulement, des fois, un naïf enthousiasme bibliophage, une curiosité malsaine ou un certain masochisme inavouable m’amènent à lire des grosses merdes. Et, aujourd’hui, je vais donc vous parler d’une grosse merde, en l’occurrence ce pathétique Tous ne sont pas des monstres de Maud Tabachnik qui a ouvert la collection du Club Van Helsing.
Le Club Van Helsing, j’ai déjà eu l’occasion d’en parler, avec l’excellent Délires d’Orphée de Catherine Dufour et le très sympathique Mickey Monster de Bretin et Bonzon. Inutile de revenir là-dessus. Une chose est claire, en tout cas : Tous ne sont pas des monstres ne soutient pas la comparaison deux secondes. Ce qui ressortait déjà des commentaires que l’on pouvait lire ici ou là, et notamment de la polémique ridicule suscitée par le co-directeur de collection Guillaume Lebeau contre Thomas Day, qui avait eu le malheur d’exprimer une opinion très négative sur ce premier opus. Thomas Day est un critique qui me paraît parfaitement estimable, même si je suis loin d’être toujours d’accord avec lui (normal ; d’autant qu’il a plus d’une fois exprimé son mépris d’Asimov et de Dick, là où j’aime bien le premier et je révère le second ; par contre, étrangement, on est d’accord pour ce qui est de Van Vogt…). Et là, je dois dire que j’ai choisi mon camp, camarades. Je l’ai lu, ce bouquin ; je pense même l’avoir lu sans trop d’a priori négatifs, d’autant qu’il s’était trouvé quelques lecteurs pour émettre un avis bien différent, comme Jérôme Vincent d’ActuSf, par exemple, ou encore Joseph Altairac. Je l’ai même lu jusqu’au bout (ce qui m’a coûté, en dépit de sa brièveté). Et je crois donc pouvoir dire, aujourd’hui, que c’est bel et bien – à mon sens, hein… – une grosse merde. Je sais, je me répète, mais c’est que cette « métaphore » commune et vulgaire me paraît particulièrement appropriée en l’espèce : Tous ne sont pas des monstres ne se contente pas d’être mauvais et désagréable, il est aussi puant et répugnant.
Déjà, on se demande franchement ce que ce bouquin vient foutre dans la collection du Club Van Helsing. Maud Tabachnik, qui vient du polar (ce qui n’est pas une tare, hein), maîtrise de toute évidence très mal le fantastique, et accumule les maladresses dans son récit ; le fantastique n’y est d’ailleurs qu’un prétexte totalement gratuit, n’intervenant que ponctuellement au travers d’un ramassis de clichés, sans l’humour ou la distance ironique qui permettraient de sauver le tout, à tel point que j’en viens même à me demander si cela témoigne seulement d’un manque de savoir-faire de l’auteur en la matière, ou bien de son mépris pour le sujet et pour les lecteurs… Le rattachement à la « méta-histoire » du Club est particulièrement artificiel, et tient à peu de choses près du foutage de gueule pur et simple, Hugo Van Helsing et son Club de chasseurs de monstres n’apparaissant que dans un prologue et un épilogue qui n’apportent strictement rien à l’histoire. Enfin, le Club Van Helsing, en principe, c’est « un chasseur, un monstre » (même si cette « règle » a connu pas mal d’entorses…) : or ici il n’y a pas de chasseur, et il y a deux monstres, clairement relégués au second plan. Déjà, ça commence mal. On pourrait en rester là, ceci dit : Tous ne sont pas des monstres se contenterait alors d’être un mauvais roman, mal écrit, terriblement mal structuré (les points de vue multiples sont gérés avec une maladresse qui tient de la performance), plat, sans saveur, et tout simplement chiant. Il y en a plein, des comme ça ; ce qui n’est pas glorieux, certes.
Seulement voilà, Tous ne sont pas des monstres est encore pire. Car il sent vraiment très très mauvais. Je vous recommande donc de vous pincer le nez, on va devoir s’enfoncer dans le cloaque…
« L’histoire » (aha). C’est le gros bordel en France, où les banlieues se soulèvent, agitées par de vilains islamistes barbus qui ont la racaille à leurs babouches. Ces gens-là veulent tout simplement détruire la République française et la convertir à l’Islam, en s’en prenant en premier lieu à une cible de choix : les Juifs. Nathan est un intellectuel juif, rationaliste au possible ; effrayé par la tournure des événements, et poussé par une impulsion mystérieuse (autant dire que ses motivations sont très très floues, et qu’il a la consistance, la profondeur et la vraisemblance d’un figurant d’Independance Day, comme tous les autres personnages du roman, à vrai dire), il se rend à Prague pour ramener à la vie le Golem, protecteur du peuple juif (et par extension du monde…) contre la perfidie des Arabes fanatiques, qui invoquent de leur côté un Djinn. Hop.
Moi, je trouve que ça pue, quand même. On s’interroge sur ces émeutes banlieusardes qui forment la toile de fond du récit. Le CVH n’étant pas une collection de science-fiction et ne jouant en principe pas sur l’uchronie, on ne peut s’empêcher d’y voir les émeutes de 2005. Et là, problème : on a eu l’occasion de dire beaucoup de conneries sur ces émeutes, mais y voir une insurrection islamiste destinée à l’éradication de la République française, laïque et trop tournée vers la « compromission » voire la « collaboration » (si si, j’vous jure, texto) et des Juifs (comme d’hab’), c’est quand même pas mal. Il faut dire que Maud Tabachnik va très loin dans l’amalgame : à Prague, Nathan apprend que le Golem n’est pas intervenu lors de la seconde guerre Mondiale, mais qu’il doit intervenir maintenant en France. Comparer la Shoah et ces émeutes a déjà de quoi laisser pantois ; et en tirer cette conclusion, ça me laisse franchement sans voix… Et cette comparaison absurde revient tout le temps, que ce soit dans les dialogues des personnages juifs, ou dans de nombreuses allusions impersonnelles à la « collaboration » des autorités, etc. Bon, à vrai dire, ce n’est pas la seule invraisemblance en la matière : la description que fait Maud Tabachnik des banlieues embrasées évoque quand même plus un mélange improbable de la Bande de Gaza et de l’Arabie Saoudite que le 9-3…
Alors on a parfois cherché à défendre Maud Tabachnik par rapport à cet étrange discours. Moi même, c’est ce que j’ai voulu faire, dans un premier temps : j’ai supposé tout d’abord que cette vision très contestable d’événements bien réels correspondait au regard biaisé de Nathan, paranoïaque qui succombe régulièrement à des hallucinations. Ce qui rendrait le discours acceptable, comme émanant d’un personnage torturé et anxieux, qui y aurait à vrai dire gagné une certaine humanité. Le problème est que très vite on ne peut plus accréditer cette lecture, du fait de la multiplication des points de vue : outre Nathan, d’autres personnages témoignent bientôt de la « véracité » de cette analyse des banlieues et de leur crise, et notamment les méchants terroristes islamistes caricaturaux au possible, et les flics français, tous jusqu’au dernier aussi convaincants que les protagonistes d’un épisode de Navarro. Bon, d’accord. Il s’agit alors de montrer que Maud Tabachnik n’a pas une vision manichéenne de ces événements. Il y a bien quelques brèves lignes, en fin de roman, qui vont dans ce sens. Et le titre aussi, sans doute (on notera d’ailleurs que le roman devait être intitulé dans un premier temps En lettres de feu…).
Sauf que je ne suis pas du tout convaincu. Tout, dans ce roman, est beaucoup trop caricatural. Et peu importe, au final, les discours éventuellement bien différents qu’a pu tenir Maud Tabachnik dans d’autres ouvrages, etc. Je ne saurais dire si ce résultat ne témoigne que de sa maladresse dans une entreprise de subversion louable, d’une provocation gratuite et sans fond, ou bien d’une conviction plus ou moins consciente. A vrai dire, et parce que j’aime bien faire des comparaisons débiles, je dirais que sur ce plan Tous ne sont pas des monstres m’a fait penser au pitoyable Cannibal Ferox d’Umberto Lenzi, où le prétexte anti-raciste emprunté (non, volé) au Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato se retrouve totalement invalidé par une affreuse collection de clichés tout droit sortis des pires exemples du cinéma colonial… Je trouve que c’est un peu la même chose ici : peut-être Maud Tabachnik a-t-elle sincèrement la conviction de prôner la tolérance et l’amitié entre les peuples et tout et tout ; dans les faits, elle se contente de montrer de méchants musulmans, typiques de la vision qu’en ont les partisans de Le Pen, Mégret, ou peut-être plus encore De Villiers (je rejoins tout à fait Thomas Day sur ce dernier exemple).
N’en déplaise à l’auteur, et en dépit du bref passage évoqué plus haut, tous les musulmans envisagés dans ce roman sont des islamistes : les « Barbus » (au fait, moi aussi je suis barbu, et je ne suis pas musulman pour autant, et même pas antisémite ! Impressionnant, non ?) viennent de « l’Etranger » (à la fin, on les y ramène en charters sous les applaudissements des électeurs) pour prêcher la haine de la France et des Juifs. Les jeunes caillera, de simples délinquants qu’ils étaient tous, deviennent tous des terroristes convaincus. Et la « seconde génération » de convertir la première. Tous, de tout âge, n’ont qu’Allah en tête, ils sont violents, haineux, antisémites et misogynes. Seule exception (qui confirme la règle) : Laya, victime du fanatisme de ses frères et de son père.
Qu’on ne se méprenne pas, je ne suis pas naïf au point de nier la véracité de certains de ces aspects. Oui, l’Islam tend, en France, à se radicaliser, la communautarisation n’arrangeant rien à l’affaire ; oui, il y a bien des imams qui viennent de l’étranger prôner un discours de haine ; oui, il y a probablement des cellules terroristes dormantes sur notre territoire ; oui, l’antisémitisme se développe terriblement, notamment chez les jeunes (petit aparté : bien que n’étant pas Juif, j’en ai malgré tout fait l’expérience, le jour où trois lascars se fondant uniquement sur mon apparence m’ont traité de « sale feuj ! » à la sortie d’une station de métro, ce qui m’a fait comme un choc…) ; oui, la condition de la femme est parfois terrible dans les banlieues, avec son lot d’insultes misogynes, de mariages arrangés, de violences conjugales et de « crimes d’honneur » (qui sont bien interdits en France, Madame Tabachnik, au passage…). Il faudrait être le dernier des crétins pour le nier. Ces problèmes sont bien réels, il ne faut pas se voiler la face. Et il faut y trouver une solution.
Ce que ne fait pas Maud Tabachnik dans Tous ne sont pas des monstres. Son « analyse » (un bien grand mot !) est unilatérale, caricaturale, et mensongère. Au mieux, simplement naïve ; au pire, islamophobe et xénophobe. Elle pue. Il s’en dégage – joli paradoxe ! – un sordide parfum de « complot musulman » pour la domination du monde, rappelant les pires obsessions sur le « complot juif ». Peut-être Maud Tabachnik pensait-elle sincèrement faire un roman prenant le prétexte de la littérature populaire pour livrer une analyse brillante et humaniste, et constituant au final un pamphlet en faveur de la tolérance ; moi, j’ai eu l’impression d’y lire ce qu’on pourrait appeler « Les protocoles des sages d’Islamabad ». Une caricature stupide et haineuse, se contentant de jeter de l’huile sur le feu, et faisant preuve d’un aveuglement qui a de quoi faire peur.
C’est en tout cas mon point de vue. Comme tous les compte rendus miteux que je fais sur ce blog miteux, il n’engage que moi. Ce qui m’autorise, à mon sens, à conclure par où j’ai commencé : ce roman est bel et bien une grosse merde.
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