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"Eden Norifumi", de Jean-Marc Rivet

Publié le par Nébal

 

RIVET (Jean-Marc), Eden Norifumi, Saint-Sauvy, AMG2, coll. S.F. – Porn-fiction – Norifumi, 2008, 207 p.

 

Je dois me rendre à l’évidence : je ferais sans doute un très mauvais cyber-détective. A la recherche de renseignements sur les éditions AMG2, j’avoue n’avoir pas trouvé grand chose ; tout ou presque (y compris un certain nombre de pages beaux arts / cul) renvoyait à Jean-Marc Rivet et à sa série « Norifumi ». Ce qui sent un peu le compte d’auteur, mais il semblerait qu’il paraîtrait qu’on avance dans les milieux autorisés que, en fait, non… Bref, je n’en sais pas plus qu’avant. Si ce n’est que ledit Jean-Marc Rivet aurait commencé à publier chez AMG2 avec le « beau livre » Identité X, avant de livrer 6 opus de sa série SF « Norifumi », dont chacun peut être lu séparément. Au passage, pas trouvé dans mes vagues pérégrinations sur le ouèbe un seul bouquin de SF, ou plus largement de littérature, chez AMG2 qui ne soit pas de Jean-Marc Rivet. Bon… J’ajouterai enfin que la réputation de l’éditeur comme de la série n’est pas terrible, pour rester poli, mais qu’une chronique du n°5, 9999 Norifumi, par les abominables gauchiss’ (particulièrement en forme) de la Salle 101, m’a laissé supposer, moi le bon prince / crétin / naïf / masochiste, qu’il pouvait malgré tout y avoir des choses intéressantes là-dedans. Pourquoi pas, après tout ? Dans tous les cas, ça ne pouvait pas être pire que Léviatown, non ? Allez hop, tentons.

 

Norifumi, comme son nom l’indique, est donc le héros de la série de Jean-Marc Rivet. C’est un humain, dans un futur indéterminé et passablement baroque ; un télépathe, accessoirement (ou pas). Autre personnage récurrent : sa compagne Léa. On complète la famille avec leur charmant bambin Garance, née semble-t-il dans l’épisode précédent, et le robot Buster, qui adooooore faire la nounou pour le petit bout d’chou.

 

Et là, attention. L’éditeur vous prévient gentiment, sous une exergue empruntée à George Orwell (p. [7]) :

 

« Attention, certaines pages de ce livre contiennent des descriptions explicites susceptibles de choquer certaines sensibilités. »

 

Le genre d’avertissement qui me met de mauvais poil. Mais alors vraiment… Groumf.

 

Bon, bref : dès la première page, Norifumi et Léa baisent. Voluptueusement, longuement, amoureusement, dans plein de positions. Problème : ces petits malins, pour leur séance forcenée de zigounettopiloupilisme, se sont rendus dans un hôtel détenu à leur insu par le magnat du porno Kipling. Qui filme, et qui diffuse… Quelques jours plus tard, Norifumi et Léa apprennent donc que la vidéo de leurs ébats circule sur l’infosphère, et a beaucoup de succès : ils sont devenus bien malgré eux des stars du porno… Chatouilleux sur le plan de l’intimité (ce qui est certes compréhensible), le jeune couple se lance donc sur la trace de Kipling, car une petite explication s’impose.

 

Voilà pour le point de départ. Comme le nom de la collection l’indique assez, Jean-Marc Rivet aurait donc pour ambition, avec Eden Norifumi, de concilier science-fiction et porno (c'est du moins ce qu'il me semble, hein...). Initiative à la fois louable et dangereuse, et donc courageuse : on a souvent eu l’occasion de constater (quelques heureuses exceptions mises à part) que ces deux genres cohabitent mal, pour reprendre le cri d’amour du crapaud. Pour ne pas dire qu’ils divergent carrément, et divergent, c’est énorme ! Cela dit, ce n’est pas rédhibitoire. Et dans « rédhibitoire », n’y a-t-il point « rédhi » ? Entre autres ?

 

(Oui, certes, en ce moment je suis à fond dans Desproges. Oui, je sais, je suis lourd. D’accord, promis, j’arrête tout de suite.)

 

A cela s’ajoute une autre difficulté, qui probablement n’engage que moi : l’érotisme, la pornographie, c’est dur.

 

(Oui mais bon, arrêtez vous aussi avec vos blagues poussives, sinon, on va jamais y arriver, hein. Y venir non plus, certes.)

 

C’est un exercice difficile, quoi. Parler correctement de cul, c’est-à-dire de manière à la fois crue, sensuelle, intelligente, excitante, délicieusement choquante éventuellement, ou, en un mot, adulte, ce n’est pas donné à tout le monde. Un fossé sépare les merveilles du genre (disons, en ce qui me concerne, et pour en rester à la littérature, l’intégrale de Sade, ou encore Crash! de Ballard, ce qui nous rapproche un peu plus de la SF ; ah, et puis, en BD, Filles perdues d’Alan Moore et Melinda Gebbie, petit, non, gros bijou dont je vous causerai sous peu) du tout-venant porno-coquin, affligeant de bêtise et de (mauvaise) vulgarité, pas besoin de vous faire un dessin. Ici, d’ailleurs, je ne vise pas forcément tant le sous-monde qui va d’Elvifrance à Marc Dorcel en passant par Scrotuma, qui a au moins le mérite de la franchise, que les innombrables pseudo-artistes intellectualisants livrant hypocritement leurs pathétiques étrons de cul simili-trash branchouille pour navrants bobos qui se croient subversifs quand ils ne sont que mesquins. Il n’est pas donné à tout le monde de revendiquer « l’obscénité » à la manière d’un Oshima… Au-delà du porno à proprement parler, d’ailleurs, il en va de même des inévitables écrivaillons qui cassent hypocritement du sucre sur le dos d’un Houellebecq, et croient faire aussi bien que lui en saupoudrant leurs navets de virées dans des clubs échangistes pour nantis ex-soixante-huitards et de considérations faussement lucides sur le sexe, quand ils n’ont pas le centième de son talent. Sans parler des scènes de cul en mode automatique qui parsèment inutilement les romans de gare. Bon, bref : bien que, je plaide coupable, d’une pudeur maladive confinant presque au puritanisme (diraient les mauvaises langues), je suis pas contre, quoi, mais j’ai mes exigences.

 

Pour en revenir à Eden Norifumi et à ces épineuses questions, on commencera par noter que, en fait de porno, on n’a finalement pas grand chose à se mettre sous la dent (ou sous ce que vous voudrez) : trois, quatre scènes hot, comme on dit, et c’est à peu près tout (je ne compte évidemment pas dans cette catégorie la, heu, troublante mais pas pour les bonnes raisons publicité pour le sex toy (i)nouï, p. [211], dont le « design by Jean-Marc Rivet » vous garantit, Mesdames, que « vous mouillerez comme jamais » ; au passage, le roman est entrecoupé de simili-pubs pour ledit vibromasseur, ce qui est tout de même sacrément post-moderne, dirais-je pour rester poli – ou pas). Bref, en dépit de l’avertissement sus-mentionné, de son prologue qui attaque en force et des prétentions supposées de la collection, Eden Norifumi n’est en rien, pour reprendre le mot du Divin Marquis, « un livre qui se lit d’une seule main ». On notera par contre – et cette fois c’est tout à son honneur – que, dans ces passages périlleux, Jean-Marc Rivet s’en tire pas mal du tout ; enfin, de manière relativement honnête, en tout cas. Disons qu'on a lu pire...

 

Et pour ce qui est de la SF ? Ben, ça dépend. Tout au long des pages de ce court roman, on navigue entre une foultitude de clichés du genre (avec notamment, surtout dans les deuxième et troisième parties, un gros syndrome de Frankenstein revu et corrigé par Asimov et Blade Runner) et quelques idées plus originales, et franchement pas inintéressantes : si le lapidaire point de départ peut sembler un peu creux, qu’on s’y arrête deux secondes, et on verra qu’il y a finalement de quoi faire ; de même avec la planète Eden et sa religion du sexe, les orgasmes robotiques, la bible nietzschéenne des robots, ou encore ces personnages plutôt corrects que sont la Madone, 2S et Solt (là où Norifumi et Léa sont par contre tristement plats ; Norifumi, en outre, a parfois du fait de son aptitude télépathique d’intempestifs éclats de surhomme à la Gosseyn plutôt risibles – et en toute logique, il a probablement une ENORME bite). Il y a donc de temps à autre dans Eden Norifumi quelques (rares) idées intéressantes (si si, je vous jure).

 

Pourtant, c’est pas glorieux, mais alors pas du tout. Et pour ainsi dire frustrant, du coup.

 

Premier souci : ça part dans tous les sens. En fait de roman, on a plutôt l’impression de lire un fix-up mal branlé, regroupant maladroitement trois récits qui n’ont pas grand chose à voir entre eux (oui, comme chez Van Vogt) (oui, cette référence était un peu gratuite, mais je fais ce que je veux, d’abord). Du coup, les bonnes idées ne sont qu’esquissées, et, à grands coups de queues de poisson et de deus ex machina, on passe sans véritable transition d’un récit à l’autre. Les trois parties du « roman » sont ainsi des nouvelles pas achevées, ce qui est bien dommage. Et franchement saoulant au bout d’un moment…

 

Second souci, et le plus terrible : c’est atrocement mal écrit. Hou la la. Aïe. Pitié. Mes yeux et mes oreilles saignent…

 

Jean-Marc Rivet ne manque pourtant pas d’ambitions stylistiques à l’occasion. En maints passages, il expérimente, il poétise. Je plaide coupable : je n’adhère pas pour ma part à la polésie. Je me méfie des pouètes, et plus encore de ceux qui se prétendent pouètes ; ces derniers font partie de ceux qui partiront dans les premiers convois quand je deviendrai Empereur-Dieu de la galaxie (ils sont prévenus). Or Jean-Marc Rivet a parfois des velléités de pouète. Et étrangement… ben il s’en tire plutôt bien, dans ces passages-là. Pas grandiose, mais correct.

 

Non, le problème, c’est surtout le reste, le « normal ». Jean-Marc Rivet est en effet (ici, en tout cas ; ce n'était semble-t-il pas le cas dans 9999 Norifumi) un adepte de la phrase longue ; Nébal aussi, diront les plus perfides d’entre vous. Certes. Mais pas comme ça. Faire gaffe à la ponctuation, M. Rivet. Aux temps. Au déroulement de l’action. Et là, ça passe. Eden Norifumi, non. Parce que ce n’est qu’une succession abominablement indigeste de propositions qui auraient gagné à être indépendantes. Partout, tout le temps, des « alors que », « tandis que », « pendant que », « au moment où », « avant de », « après quoi », « simultanément », « ensuite », « en train de », « occupé à », etc., et, partout, tout le temps, des gérondifs en veux-tu non, en voilà quand même. C’est confus, pour ne pas dire illisible. Les sujets se paument, le temps se dilate, le lecteur souffre. Le résultat est doublement calamiteux : c’est souvent incompréhensible, et toujours moche. Quelques exemples ? Attachez vos ceintures :

 

« L’équivalent d’une céphalée rendait sa diction hésitante mais la scène filmée à Eden continuait à le fasciner car, au sens propre, Léa et Norifumi s’y désagrégeaient, mélangés l’un dans l’autre puis transformés en atomes tandis que les ondes qui l’agressaient devenaient plus dangereuses, ciblant les actrices, les acteurs et les techniciens qui, inconscients du danger, ne sentaient pas non plus ces ondes psychiques être sur le point de les désagréger. » (p. 24)

 

« Et elle afficha sur son persoc de poignet les informations dont elle disposait, rassurée de voir que Norifumi la croyait mais furieuse contre elle-même d’avoir agi comme elle l’avait fait, jurant à Léa qu’elle ne le ferait plus en s’asseyant sur la banquette arrière de cette limousine qui rejoignit l’hôtel où, pour surveiller Garance, Buster se vit attribuer l’une des deux chambres que Norifumi venait de réserver. » (pp. 45-46)

 

« Sans le savoir, le hasard avait bien fait les choses car il la connaissait, heurté par le sentiment qu’elles lui donnaient toutes les deux de vouloir déshabiller son âme… pour lui de la pure pornographie tandis que cette journaliste cherchait à connaître le nom de l’inconnue choisie par le hasard. » (p. 50)

 

« La Madone ferma les yeux pour tenter d’oublier son visage, son torse, ses bras et sa queue, fascinée par le reflet de sa silhouette dans le miroir de sa chambre en regrettant pour la première fois la promesse qu’elle s’était faite au début de leur relation de ne jamais le forcer à l’aimer, désireuse de lui laisser son libre arbitre pour être sûre qu’il ne resterait avec elle que parce qu’il l’aimait. » (pp. 68-69)

 

« « Arrête ça tout de suite ! » hurlait-elle par holo en s’insurgeant contre le lien étrange qui l’unissait à celle qui, les joues baignées de larmes, assise à même le sol, n’avait pas entendu Léa et Norifumi rentrer dans sa cuisine, figés devant son comportement de petite fille, ses doigts couverts de bave et ses mains plongées dans la nourriture pendant qu’elle pleurait et qu’ils repartaient sans se montrer, déstabilisés par le comportement de cette poupée qu’ils venaient de surprendre dans la lumière blanche de l’armoire frigorifique qu’elle vidait pour s’empiffrer. » (p. 145)

 

N’en jetez plus, c’est ignoble. J’ai mal à la têêêêêêêêête… J’y comprends zob… Aïe.

Bilan franchement négatif, donc. Le fond pouvait être intéressant, il l’est à l’occasion, mais la forme le plus souvent désastreuse achève d’anéantir chez le lecteur toute envie de prolonger indéfiniment le calvaire. Eden Norifumi, à mesure que l’on tourne les pages, devient toujours plus pénible, et toujours plus désolant. Frustrant, en même temps. Dommage… mais c’est franchement pas top. Pas totalement mauvais, mais mauvais quand même.
 

CITRIQ

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V
écrire à propos de sexualité n'est pas la chose la plus simple à réaliser, si l'on appartient d'ores et déjà à la classe des auteurs "confirmés", dans ce cas c'est ad libitum et à ses risques, dans les autres cas, c'est selon la tendance du moment, Pivot, à une époque pas très lointaine, n'admonestait pas la pornographie, le faisait_il sur commande ?
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N
Disons qu'il y a suffisament d'exceptions pour justifier l'existence d'une règle.
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G
J'osions me poser la question: le titre Nebal lit de bons livres ne serait-il pas parfois exagéré voire mensonger?
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N
Pouvions pas dire, j'avions jusque-là jamais tenté Aubenque... Y me fait peur...
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T
Pour tout dire, je crois que Alexis Aubenque a désormais un vrai rival...
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E
Bonjour Monsieur BONNET<br /> <br /> Evidemment, votre article ne nous a pas fait plaisir mais nous vous remercions néanmoins du temps que vous avez passé à lire le roman et à rédiger cette critique. Je dois dire que la rapidité avec laquelle tout cela a été fait continue à nous impressionner. Nous sommes une petite maison d'édition qui, en publiant des livres d'art, a rencontré un auteur ( JMR ) et a pris goût à son univers. Vous avez donc raison d’écrire que c’est le seul auteur de SF que nous publions à ce jour. Mais si vous connaissez d’autres auteurs à la recherche d’une maison d’édition, pourquoi ne pas nous les envoyer ? <br /> Votre bibliothèque ne ressemble pas à la nôtre. Certains des titres qui vous séduisent nous font bailler et les livres que nous publions vous semblent être écrits avec les pieds. Mais malgré nos goûts différents, soyez assuré de notre respect.<br /> <br /> P BENOIT<br /> Editions AMG2
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N
Sans doute. D'ailleurs, une de plus pour la route (p. 17, hop) :<br /> <br /> "... mais les machines n'avaient pas son parfum. Et le sien avait sur elle, en plus sexuel (car tout passait chez elle par le vagin) les mêmes effets que, sur Proust, les miettes d'une madeleine trempée dans une tasse de thé."
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G
Cela me semble proustien, au moins par la complexité syntaxique, à lire les citations, surtout la troisième.
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N
KQ : N'est-ce pas ? Quel talent, messieurs dames...<br /> <br /> Epikt : la série, non. Mais la référence revient plusieurs fois pour celui-ci, il y a "l'avertissement" fatidique de même que, semble-t-il, dans "9999 Norifumi", et la mention rattachant ces deux-là à la collection "Porn-fiction" (enfin, c'est que nous dit la bibliographie, la mention, cette fois, ne figurant pas sur la couv, ni nulle part ailleurs...). Quand j'ai farfouillé, cette appellation revenait de temps à autre... Du coup... Sinon, oui, effectivement, c'est mauvais, très mauvais, même ; avec quelques trucs plus corrects qui surnagent de temps à autre, mais dans m'ensemble, yeurk...
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E
Hum... j'ai pas l'impression que cette série ait pour vocation de concilier SF et porno. Je ne pourrais rien dire sur 'Eden Norifumi', mais fut un temps j'ai lu 'Ecce Norifumi' (le 3e ou 4e tome de la série, paru avant les premiers mais c'est pas grave car les tomes peuvent se lire indépendamment nous rappelle-t-on toutes les 3 pages) et y avait pas de cul dedans, en tout cas pas au dela de ce que la morale réprouve. Par contre, moué, c'était quand même hyper mauvais.
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