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"Noir duo", de Sylvie Miller & Philippe Ward

Publié le par Nébal

 

MILLER (Sylvie) & WARD (Philippe), Noir duo, Encino, Black Coat Press, coll. Rivière Blanche, 2007, 289 p.

 

L’autre jour, donc (j’aime bien commencer un articulet avec « donc », personnellement je trouve que c’est la classe), il y avait une fort sympathique séance de dédicace à l’indispensable librairie Album à Toulouse, à l’occasion de la sortie de Crépuscule Vaudou de Jean-Marc Lofficier ; lequel était présent, donc (en même temps vous me le dites, si je suis lourd, hein), accompagné de Guillaume Lebeau, auteur et codirecteur de la collection du Club Van Helsing. L’originalité de la chose, c’était, puisque Jean-Marc Lofficier est également codirecteur de la collection Rivière Blanche, d’en profiter pour faire une séance de dédicace croisée entre les deux collections, en conviant également Randy Lofficier (la madame du monsieur, auteur elle aussi) et Philippe Ward, auteur et codirecteur de Rivière Blanche. Donc.

 

« Rivière Blanche ? C’est bizarre, mais ça me dit quelque chose… »

 

Ben c’est pas étonnant, puisque c’est bien une allusion limpide au Fleuve Noir, et plus particulièrement à la collection Anticipation, dans laquelle se sont illustrés bon nombre d’auteurs de SF français (versant populaire clairement assumé) il y a de cela, ouf, quelques années, tout de même (tenez, lisez par exemple ça, et plus encore les suites). Jusqu’au visuel qui est repris, ma bonne dame. Bon, à la base ce positionnement clairement « SF populaire » n’est pas forcément ce qui me séduit le plus, mais le fait est que la collection a une ligne éditoriale cohérente et clairement affichée, tout en s’autorisant à l’occasion de fort sympathiques audaces (j’y reviendrai) ; et quelques titres m’ont l’air hautement recommandables (je jetterais bien un œil, par exemple, aux romans de Thomas Geha, A comme Alone et Alone contre Alone… en attendant une anthologie hommage à Philip K. Dick sous la direction de Richard Comballot, en principe pour bientôt).

 

Mais reprenons. Bon, pour Guillaume Lebeau, hop, Cold Gotha, et pour Jean-Marc Lofficier, hop, Crépuscule Vaudou. Ca, c’est fait. Mais… et les deux autres ? Je farfouille. Je trouve un roman de SF co-écrit par Jean-Marc et Randy Lofficier chez Rivière Blanche (donc) : je feuillette, je lis la quatrième de couv’… Mmmh, non, à l’évidence, c’est pas pour moi. Zut. Tant pis. Désolé… Et Philippe Ward ? Là, je vois passer une certaine C.M., que je sais bien informée (mais perfide). L’air de rien, hop, je lui demande, vi, b’jour M’âme M., heu, voilà, ben, Philippe Ward, jamais lu, heu, conseil, quoi ? « Ah ben j’ai plus d’exemplaires de ses romans, zut. Ah, mais attends, mon Nébal, il y a ça, là », dit-elle en me tendant (perfidement) un exemplaire de Noir duo, frais sorti du carton. « C’est des nouvelles écrites avec Sylvie Miller, c’est plutôt du fantastique. » Ah oué, tiens. Et… c’est bien ? Le regard pétillant de la (perfide) vendeuse qui a ferré son Nébal : « Ah oui, c’est bien… c’est très très bien, même… C’est même vraiment bien… » Marché conclu. Hop. Et une sympathique dédicace de plus (avé quelques fôte, mais je suppose que c’est à cause de la Marquise ; très bonne, la Marquise ; et costaud, le Bloody Mary… perfide !).

 

Philippe Ward, donc. Un pseudonyme, of course, et qui en dit long : oui, Philippe Ward aime Lovecraft (et il a bien raison), il s’intéresse surtout au fantastique, et il écrit depuis quelques temps déjà. Ce Pyrénéen jusqu’au bout des ongles a rencontré Sylvie Miller (du 9-3) sur le ouèbe. Elle, elle était surtout attirée par la science-fiction ; elle n’écrivait pas encore, mais traduisait, par contre (de l’anglais, et de l’espagnol ; au sein de Rivière Blanche, elle défend ainsi la science-fiction ibérique et latino-américaine, largement méconnue en France, avec ses anthologies semble-t-il très recommandables Dimension Espagne et Dimension Latino). Quand elle a souhaité se mettre à l’écriture, elle a contacté Philippe Ward… et ils se sont retrouvés à écrire « Le mur » à quatre mains. Expérience convaincante, qui a fait des petits, sans empêcher pour autant les deux auteurs de mener une carrière en solo. Noir duo est le premier recueil du couple (strictement littéraire, hein, ho, les potins, ça va comme ça, hein), comprenant donc des nouvelles de Sylvie Miller, des nouvelles de Philippe Ward, et des nouvelles de l’entité indicible et non-euclidienne Miller & Ward (ou Ward & Miller, enfin, comme vous voudrez). La plupart ont déjà été publiées ici ou là, mais il y a aussi quelques inédits dans le tas.

 

Ah, j’oubliais : Philippe Ward est en fait un Dieu Ours pyrénéen, et Sylvie Miller a quinze personnalités.

 

Autant dire qu’on est en droit d’attendre quelque chose d’un peu dingue. On n’est pas déçu… En effet, les deux fiers auteurs, bien conscients qu’une préface, ça ne servait à rien, ont décidé d’en mettre 113, hop, là, comme ça (« Préfaces », pp. 7-69, ah oui, tout d’même), de Jean-Pierre Andrevon à Joëlle Wintrebert, en passant, entre autres, par Ugo Bellagamba (petite merveille que sa réface !), Francis Berthelot, Pierre Bordage, Jean-Daniel Brèque, David Calvo, Fabrice Colin, Alain Damasio, Thomas Day, Catherine Dufour, Jean-Claude Dunyach, Pierre-Paul Durastanti, Claude Ecken, Mélanie Fazi, Olivier Girard, Johan Heliot, Eric Henriet, Eric Holstein, Sylvie Lainé, Serge Lehman, Jean-Marc Ligny, Jean-Marc Lofficier, Patrick Marcel, Xavier Mauméjean, Sylvie Miller (p. 49 : « Ben oui, c’est une auto-dédicace, et alors ? C’est mon recueil, j’fais c’que j’veux ! »), Olivier Noël (en forme), Pierre Pelot et Jérôme Vincent, pour n’en citer que quelques-uns parmi ceux dont au sujet desquels que j’ai déjà pu en causer à propos d’eux sur mon blog miteux, sinon c’est que ça va pas tarder. Ouf. Evidemment, dans le tas, il y a des petits pouèmes ou éloges sans grand intérêt (y compris émanant de gens qui reconnaissent n’avoir jamais lu Miller et Ward, heu…), mais aussi quelques textes qui valent franchement le détour (je vous ai dit que la réface d’Ugo Bellagamba était très bien ? entre autres ?).

 

Tout le monde sait que ce qui suit la réface n’est d’aucun intérêt. Mais bon, parce que c’est vous, je vais en parler quand même (je suis trop bon). En faisant un sacrilège, pour la peine : je vais dissocier Miller et Ward. Si. Chiche. En notant que chaque nouvelle est précédée d’un petit commentaire.

 

Commençons donc par les nouvelles écrites à quatre mains (enfin, deux, voire quatre, pattes griffues et trente mains délicatement féminines). On commence très logiquement avec la toute première, « Le mur » (pp. 71-84). Un récit fantastique à la thématique relativement traditionnelle, à la frontière entre les mondes, mais assez émouvant et juste pour toucher le lecteur. Effectivement, essai transformé, ça valait bien le coup de prolonger l’expérience. « Le survivant » (pp. 99-112) poursuit dans le fantastique classique et intimiste, en se concentrant sur la malédiction (ou bien… ?) d’un vieux guitaristes de blues. Ca marche très bien, sans être exceptionnel. On change radicalement d’atmosphère avec « Un futur inimitable » (pp. 137-157), expérience potache de SF fromagère, dans l’ensemble très drôle dans son pompage éhonté de références hollywoodiennes, mais hélas un peu lourdingue, voire beauf, par moments : bon, un délire potache, quoi… Retour à quelque chose de plus sérieux, et de bien autrement réussi à mon goût, avec « Mau » (pp. 186-217), excellente nouvelle cairote à base de chats sacrés au service de Bastet, d’enfer personnel et de seconde chance à saisir ; l’atmosphère assez lovecraftienne (on pense inévitablement – et c’est voulu – aux « Chats d’Ulthar ») autorise quelques scènes d’horreur très réussies, mais le texte est également porté par une dimension plus typique de la fantasy urbaine et une justesse de ton qui en font une des grandes réussites du recueil. Et puis zob, j’aime les chats, moi (ces sales boules de poils arrogantes, sadiques et fainéantes sont les vrais maîtres de la Terre). « After Midnight » (pp. 228-239), nouvelle apocalyptique sur la dead line, m’a paru hélas bien moins convaincante… Je préfère donc passer directement à « Pas de pitié pour les pachas » (pp. 243-275), où l’on retrouve le cadre égyptien (qui réussit décidément aux auteurs !) pour une uchronie policière déjantée et hilarante où les dieux font rien qu’à faire suer les pauvres humains qui ne leur ont rien demandé, et notamment notre héros, superbe spécimen de loser à chapeau mou qui boit pour oublier que la vie est une salope ; pas parfait (l’univers n’est pas toujours cohérent), mais très drôle, très efficace, et donc très bon. On conclura enfin avec la « Post-Face » (pp. 279-289), écrite par « M’âme Miller et ses quinze avatars, revue et corrigée par Artahe, l’ours pyrénéen », présentation du duo façon générique de série TV ; c’est potache à nouveau, mais mignon, aussi, alors ça va.

 

Et maintenant, on coupe. Squik.

 

Honneur aux dames. De Sylvie Miller toute seule comme une grande, nous avons tout d’abord « Un choix réfléchi » (pp. 85-93). Nouvelle très classique dans le fond – surtout après « Le mur », on sent comme qui dirait une obsession… –, mais remarquablement maîtrisée, saisissante et émouvante (m’a beaucoup parlé, moué…), titulaire d’un très mérité Prix Masterton 2002 de la meilleure nouvelle fantastique francophone. Ca commence fort, donc. Ca se poursuit un peu inégalement, de manière finalement inévitable. Ainsi avec « L’ombre » (pp. 113-123), nouvelle de SF contant le tragique sort d’une expédition terrienne sur Mars ; c’est très triste, très dur, mais surtout très personnel… et un peu déjà lu, en même temps (‘fin, je trouve). « Ventres d’airain » (pp. 164-174) est bien plus réussie à mon goût ; cette nouvelle tirée de l’anthologie (Pro)Créations est très triste et cruelle, très efficace du coup – peu importe, dès lors, qu’elle ne soit pas très vraisemblable : elle fait son petit effet… Ensuite, « Tout s’achète et tout se vend » (pp. 225-227)… et tout est dans le titre ; un cri de colère très légitime et parfaitement compréhensible, mais, il faut bien le reconnaître, sans grand intérêt… Il en va de même pour « Lettre d’un futur amer » (pp. 240-242), short story destinée à l’origine, semble-t-il, à une anthologie qui avait été proposée par l’Oxymore en réaction à l’arrivée du sinistre Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle le 21 avril 2002 : un pré-Appel d’air en pire, en quelque sorte ; à nouveau trèèèèèèèèès triste et légitime, mais d’un intérêt littéraire pour le moins limité. Bref, deux très bonnes nouvelles, une correcte, et deux short stories relativement dispensables. Et le tout est tout de même trèèèès trèèèès noir.

 

Passons à Philippe Ward, qui joue dans un registre un tantinet différent, quoique. On commence avec « Martha » (pp. 94-97), vilaine blague éminemment lovecraftienne ; c’est amusant, mais ça ne casse pas trois tentacules à un Grand Ancien. « Les chemins de l’esprit » (pp. 124-136), courte nouvelle au fantastique très diffus et subtil, est bien plus intéressante : le pèlerinage de cet ancien repris de justice sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle autorise de très belles pages, cruellement émouvantes : un des sommets du recueil. « Les vignes du Seigneur » (pp. 158-163), à l’instar de « Martha », tient un peu de la vilaine blague à chute hautement prévisible, mais avec davantage d’intérêt ; Ward y communique ô combien efficacement son bien compréhensible amour du Sauternes, tout en s’amusant bien, de même que le lecteur. « Le fils de l’eau » (pp. 175-185) m’a par contre laissé un peu perplexe : très beau cadre pyrénéen et beau portrait tout en introspection, de même que dans « Les chemins de l’esprit », mais là ou cette dernière m’a immédiatement touché, les thématiques abordées ici – tradition, filiation – m’ont plutôt laissé de marbre… à moins qu'elles n'aient suscité chez moi un certain recul pavlovien. Bon… Avis très personnel, donc. « Prorata temporis » (pp. 219-224) est assez convaincante, sans être exceptionnelle ; là encore, le lecteur connaît la chute dès les premières lignes ; mais Philippe Ward se montre à mon sens plus subtil que sa consœur dans l’expression de ses frustrations, et cela fonctionne finalement plutôt bien. Bref, tout ça se lit très bien.

Que ce soit en solo ou en tandem, Philippe Ward et Sylvie Miller nous livrent donc tout au long de Noir duo bien des textes intéressants, et le tout est finalement assez cohérent quand bien même très varié. Des nouvelles de fantastique francophone ? Allons bon ! Ben oui. Et c’était pas mal du tout, ma foi. M’en vais suivre la carrière des deux zoziaux avec un peu plus d’attention, désormais…

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M
ça y est, il a passé la barre des deux par jour. Mais arrêtez-le !!
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