"Trois nouvelles merveilleuses", de Robert Holdstock, John Crowley & Tanith Lee
HOLDSTOCK (Robert), CROWLEY (John) & LEE (Tanith), Trois nouvelles merveilleuses, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe Gindre, Monique Lebailly et Estelle Valls de Gomis, préface de Fabrice Colin, Paris, Editions du Seuil, coll. Points Fantasy, [1989, 1992, 1998, 2004] 2007, 116 p.
J’aime bien, moi, quand on m’offre des livres ; c’est toujours plus intéressant, comme outil promotionnel, qu’un spot à la con avec jingle insidieux… Une fort sympathique (mais néanmoins perfide) libraire de ma connaissance trouve ainsi régulièrement de quoi rajouter un petit volume à mes déraisonnables et tristement récurrentes courses dans son échoppe diabolique. La dernière fois, ce fut donc ces Trois nouvelles merveilleuses (dans tous les sens du terme, bien sûr), destinées à faire la promo de la collection Points Fantasy dirigée par Fabrice Colin.
Lequel a donc fort logiquement rédigé une « Préface » à ce petit recueil (pp. 9-21). M’est avis cependant qu’il aurait pu / dû s’en passer. Parce que cette supposée introduction à la fantasy est indigne de son talent. D’accord, il s’agit bien de faire de la pub, et de faire découvrir le genre ; je n’en attendais donc pas un chef-d’œuvre de finesse et d’honnêteté. Mais j’espérais tout de même mieux que ça : si Fabrice Colin souhaitait faire passer les amateurs de fantasy pour des handicapés mentaux pré-pubères, il ne s’y serait probablement pas pris autrement… Y’a même un bestiaire, horreur glauque ! On pourrait croire, du coup, et en dépit des définitions plus ou moins hasardeuses qui parsèment ces quelques pages, que la fantasy, ici, se retrouverait réduite aux pires sous-tolkieneries à base de nains et d’elfes (on nous précise d’ailleurs, p. 19, que « dans la plupart des cas, [le nain] n’aime pas les elfes » ; tenez-vous le pour dit !).
On pourrait, mais on serait bien naïf ; parce que les trois auteurs retenus sont loin d’être des manchots (ni des inconnus, d’ailleurs ; on notera au passage que ces trois nouvelles avaient déjà été publiées en France ; bon, j’étais passé à côté, alors je ne vais pas me plaindre, hein…), et que leur fantasy n’a rien d’héroïque ou d’épique. Pas de nains, pas d’elfes, pas de dragons dans ces trois nouvelles. Qui sont bien merveilleuses. Ouf.
On commence très bien avec « Les Selkies » de Robert Holdstock (pp. 23-62), intéressante variation sur les sirènes, ambiguë et cruelle, troublante et vaguement érotique. Pas parfait (le récit est peut-être un peu trop confus à mon goût), mais néanmoins intéressant ; de quoi donner envie de découvrir cet auteur. Ca faisait un bail que je comptais lire La forêt des Mythagos, et ça ne saurait tarder, maintenant.
On poursuit avec une nouvelle encore meilleure, « Missolonghi 1824 » de John Crowley (pp. 63-80). Le moins que l’on puisse dire est que l’auteur attaque en force, et saisit immédiatement le lecteur ; intéressant personnage que celui du conteur, un aristocrate anglais très byronien vagabondant en Grèce et amateur de petits garçons ; son récit, inévitablement, porte sur sa rencontre avec un satyre… L’ambiance est remarquable (et non dénuée d’ambiguïté, une fois de plus), l'usage du cadre grec bien vu, le ton émouvant et un brin troublant : parfait. De même que pour le précédent, je comptais depuis un petit moment déjà m’attaquer à l’œuvre de cet auteur : en attendant Le Parlement des fées puis éventuellement la somme Aegypt, L’Abîme et L’été-machine ont d’ores et déjà rejoint mon étagère de chevet (mission accomplie pour la promo de la collection, donc…), et j’en attends le plus grand bien.
Mais concluons déjà le compte rendu de ce mini-recueil avec « Je t’apporte l’éternité » de Tanith Lee (pp. 81-108). Une fantasy féminine, on insiste lourdement là-dessus ; bon, je me suis déjà exprimé à plusieurs reprises sur mon sentiment quant à la « SF féminine », inutile d’y revenir ici, je ne ferais que me répéter dans une variante mesquine… Et là n’est pas la question. Notons juste que cette fable façon Mille et une nuits sur l’immortalité, délicieusement archaïque, est tout à fait convaincante et émouvante, quand bien même elle ne brille pas forcément par l’originalité ; mais peu importe : le conte touche juste, passionne et séduit.
Très bon bilan, donc, si l’on excepte l’indigne préface (qui, heureusement, ne m’empêchera pas de continuer à lire Fabrice Colin dans ses œuvres : je vous parlerai bientôt de Comme des fantômes, gros et beau recueil de nouvelles publié tout récemment aux Moutons électriques, dans leur toute nouvelle toute belle collection de la Bibliothèque voltaïque).
Alors merci pour cet agréable moment ; et malédiction pour la nouvelle faille dans mon compte en banque qui en résulte…
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