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Dimension Philip K. Dick, de Richard Comballot (dir.)

Publié le par Nébal

 

COMBALLOT (Richard) (éd.), Dimension Philip K. Dick, anthologie dirigée par Richard Comballot, avant-propos de Richard Comballot, préface de Xavier Mauméjean, Encino, Black Coat Press, coll. Rivière Blanche, 2008, 245 p.

 

 

Ma chronique se trouvait sur le défunt site du Cafard cosmique... La revoici.

 

 

L’influence considérable de l’œuvre de Philip K. Dick sur la science-fiction mondiale, et notamment la science-fiction française, n’est plus à démontrer. Nombreux sont d’ailleurs les auteurs qui ont honoré leur dette d’une manière ou d’une autre, par l’allusion ou le pastiche (ainsi K.W. Jeter avec Dr Adder, ou encore Michael Bishop avec son Requiem pour Philip K. Dick] ; avec Dimension Philip K. Dick, Richard Comballot réunit treize écrivains parmi les plus notables de l’imaginaire francophone, qui viennent à leur tour rendre hommage au génial auteur d’Ubik.

 

Un projet de longue haleine - Richard Comballot l’a mis sur pied aux environs de 2002. Il aura pourtant fallu attendre six ans pour que ce recueil unique en son genre voie enfin le jour, dans la collection Rivière Blanche ; c’est qu’il y eut entre temps bon nombre de refus et revirements de la part d’éditeurs plus « classiques », qui se sont montrés frileux et sceptiques sur la viabilité du projet... d’où un avant-propos relativement acerbe de l’anthologiste.

Cela dit, on reconnaîtra sans peine que cette entreprise, si elle était parfaitement à même de séduire les dickiens fanatiques dans mon genre (et ils sont nombreux !), pouvait très légitimement paraître risquée sur le plan éditorial : on a assez dit et répété que les recueils de nouvelles se vendaient mal, a fortiori s’ils étaient francophones... Et il faut ajouter ici l’hostilité affichée par certains lecteurs à l’égard de cet exercice très particulier qu’est l’hommage ou le pastiche, jugé au mieux vain, au pire nécrophage, et en tout cas souvent - paradoxalement en l’espèce ! - tristement mercantile, l’amalgame tentant, quand bien même injuste, avec certaines « prolongations » posthumes de classiques de la science-fiction n’arrangeant sans doute rien à l’affaire. Bref : l’amateur de Dick devrait se contenter des seuls textes de Dick, et de même pour Michael Moorcock ou Jack Vance, pour citer quelques projets comparables récents ; et le pastiche serait par nature illégitime.

Certes, il est quelques travers que l’on peut très légitimement craindre devant chaque entreprise du genre, et on admettra que Dimension Philip K. Dick n’en est pas totalement exempt : la parodie potache et éventuellement lourdingue, notamment - ce qui est plus ou moins le cas, ici, du
« Dieu venu du néant » de Bruno Lecigne, délire paranoïaque d’un intérêt littéraire plus que douteux, mais néanmoins relativement amusant pour peu que l’on soit bon public -, ou encore l’hommage paresseux, simple redite n’apportant rien de neuf, plus ou moins fidèle, et en tout cas guère pertinente - ainsi Daniel Walther avec « Les Oubliettes du Haut-Châteaus », nouvelle aussi vide et creuse que son titre, à mon sens le gros ratage de cette anthologie.


Heureusement, ce ne sont là que des exceptions, et l’on peut d’ores et déjà affirmer que ce Dimension Philip K. Dick est un recueil de très haute tenue, riche en excellents hommages et pastiches, tantôt drôles, tantôt profonds et émouvants, et étonnamment variés en dépit de la récurrence de certaines thématiques. Cette anthologie présente en effet quelques particularités qui la distinguent de certaines des précédentes entreprises de Richard Comballot : il ne s’agit en effet pas vraiment ici de reprendre un univers et des personnages (comme cela avait pu être le cas pour Les Ombres de Peter Pan, Mission Alice ou Elric et la porte des mondes) ; certes, les allusions abondent aux œuvres les plus fameuses de DICK (Blade Runner en tête, mais aussi, bien sûr, Ubik, Le Maître du Haut-Château, Le Dieu venu du Centaure, Glissement de temps sur Mars, Substance Mort, SIVA...], et l’on croisera bien, au détour d’une page, Deckard ou M. Tagomi. Mais il s’agit avant tout pour les auteurs, et chacun à leur manière, de traiter des obsessions fétiches de l’écrivain californien, et notamment ces deux interrogations incontournables : qu’est-ce que l’humain ? et qu’est-ce que la réalité ?

Enfin et surtout, s’il est un personnage récurrent dans la plupart de ces nouvelles... c’est bien Philip K. Dick lui-même, dont on a souvent dit que la vie ressemblait fort aux romans (mais c’est sans doute raisonner à l’envers...). On croisera ainsi régulièrement tout au long du recueil l’auteur devenu personnage de fiction, mais aussi ses proches et ses parents... et en premier lieu, à plusieurs reprises, sa sœur jumelle Jane, dont le décès après seulement six semaines de vie fut pour Dick un traumatisme terrible qui l’a marqué tout au long de son existence, et qui l’a pour une part déterminée. Ici, j’avouerai d’ailleurs qu’une bonne connaissance, non seulement de l’œuvre de Philip K. Dick, mais aussi de sa vie, me paraît un plus incontestable pour apprécier pleinement nombre des meilleurs nouvelles de ce recueil : sans en faire un préalable indispensable, la lecture de l’excellent essai biographique de Lawrence Sutin Invasions divines, ou à défaut de la biographie « romancée » d’Emmanuel Carrère Je suis vivant et vous êtes morts, me paraît tout à fait recommandable.


On appréciera ainsi d’autant mieux certaines nouvelles tout à fait remarquables, comme par exemple 
« Glissement de temps sur Manhattan », de Pierre Stolze : l’auteur se met lui-même en scène, rencontrant Philip K. Dick... au sommet du World Trade Center dans la matinée du 11 septembre 2001. Un jeu dangereux, dont l’auteur se tire fort bien. Il en va de même pour Laurent Queyssi, qui, avec la collaboration d’Ugo Bellagamba, nous rapporte dans « 707 Hacienda Way » la rencontre émouvante d’un journaliste largement inspiré de Paul Williams avec son idole, le fameux écrivain de science-fiction Jane Dick, quasi-gourou d’un squat de jeunes paumés... La collaboration s’inverse plus tard de manière tout aussi remarquable avec « Le Syndrome de la chouette en plein jour », nous décrivant un Philip K. Dick uchronique... ayant pris sa retraite dans le Massif Central ! On mentionnera également les deux belles nouvelles d’Alain Dartevelle, « Fictif K. Dick », et surtout « La Déesse venue du froid », superbe et déchirante « lettre à la mère »... Et tant qu’à rester dans le kafkaïen, on en profitera pour mentionner, dans un tout autre registre, « Substance 82 », de Jean-Pierre Hubert : la convocation de Nanceter au niveau zéro n’est en effet pas sans rappeler l’arrestation de Joseph K. ; heureusement (ou bien... ?), il y a hoopik : Sauternes 82, excellent millésime !

La confrontation de Philip K. Dick avec d’autres auteurs est d’ailleurs assez fréquente tout au long du recueil... et ce dès la jubilatoire préface de Xavier Mauméjean,
« Je pense donc je flippe », ou comment lire Descartes à travers Dick. Ou le contraire. Un texte très réjouissant, et bien plus convaincant à mon sens que la nouvelle ultérieure « Dankon-club » Dankon-club, qui aurait servi de matrice pour la novella « Poids mort », pas mauvaise, mais pas exceptionnelle non plus... même si voir un Philip K. Dick plus ou moins mort engager un privé du nom de Deckard n’est pas sans saveur. Jacques Barbéri, quant à lui, mêle « La Patrouille du temps » de Poul Anderson à l’univers dickien avec « Les Amants du paradis artificiel », très bonne nouvelle totalement frappadingue à base de Christ et de wub que l’on avait pu lire récemment dans Bifrost, et qui a également été reprise dans L’Homme qui parlait aux araignées. Autre jolie réussite : « La Dernière Valse de Philip K. », où Johan Héliot reprend un élément de Dr Bloodmoney pour faire s’entretenir Dick avec ses confrères et parfois amis Stanislaw Lem, K.W. Jeter, Tim Powers et Harlan Ellison ; une nouvelle très pertinente, émouvante et élégante dans sa simplicité, voire son évidence.

Restent trois nouvelles portant de manière plus générale sur l’impact de l’œuvre dickienne ; si Jean-Pierre Vernay s’en tire plutôt bien avec l’astucieux
« Parce que mon nom est Légion », Richard Canal (« Les Clones rêvent-ils de Dolly ? ») et Philippe Curval (« Malédicktion ») peuvent laisser un peu plus sceptique : les deux nouvelles pèchent en effet un peu à mon sens par excès de références, celle de Curval, très hermétique, étant en outre assez ennuyeuse... jusqu’à sa remarquable conclusion qui vient indéniablement relever le niveau.


On ne boudera donc pas notre plaisir : Dimension Philip K. Dick est bien dans l’ensemble un recueil de très grande qualité, qui satisfera amplement les amateurs du grand Philip K. Dick : à travers ce recueil, la science-fiction française rend un très bel hommage à celui qui fut l’un des plus importants écrivains du XXe siècle.

 

« Las, Philip K. Dick n’est plus / Dieu va prendre mon pied au cul » ? Dans l’uchronie de Michael Bishop, peut-être... Mais Dimension Philip K. Dick, à l’instar du bijou de M. Tagomi, soulève l’espace d’un instant le voile, et laisse entrapercevoir la réalité derrière l’illusion : Dick est vivant, et bien vivant, tout au long de ce très bon recueil. On ne va pas s’en plaindre !


 

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