"Une rose pour l'Ecclésiaste", de Roger Zelazny
ZELAZNY (Roger), Une rose pour l’Ecclésiaste, [A Rose for Ecclesiastes], introduction par Theodore Sturgeon, traduit de l’américain par Michel Deutsch, Paris, J’ai lu, coll. Science-fiction, [1967] 1980, 253 p.
Roger Zelazny fait partie de ces grands classiques de la science-fiction que je n’ai quasiment pas pratiqués. Mais, cette fois, outre mon jeune âge, ma flemme et mon inculture crasse, cette méconnaissance s’explique probablement en partie par la réputation excessive à mes yeux conférée à un pan unique de son œuvre, qui a tendu à reléguer quelque peu le reste dans l’ombre ; un peu comme pour Moorcock, dans un sens (je ne parle que de mon ressenti personnel, hein…). De même que pour Moorcock, d’ailleurs, j’ai en effet découvert Zelazny par le biais du jeu de rôles, et donc par le volumineux « cycle des Princes d’Ambre », entamé quand j’avais 11 ou 12 ans, si je ne m’abuse. Or, si les deux premiers volumes, Les Neuf Princes d’Ambre et Les Fusils d’Avalon, m’avaient bien plu, j’avais davantage peiné pour la suite ; un nouvel assaut, deux ans plus tard, m’a conduit, sans trop de difficultés, mais avec un intérêt vacillant, jusqu’au bout du premier cycle, celui de « Corwyn » (les cinq premiers tomes) ; mais, en dépit de plusieurs tentatives, je n’ai jamais pu me lancer véritablement dans le « cycle de Merlin », tant son premier volume (et donc le sixième du cycle global), Les Atouts de la vengeance, me tombait des mains. Une vilaine daube en ce qui me concerne… J’ai ainsi abandonné Zelazny ado sur une impression plutôt fâcheuse : celle d’un écrivain surestimé, dont le chef-d’œuvre supposé ne m’avait pas pleinement convaincu, avant de me faire chier purement et simplement…
Du coup, depuis, je ne suis pas retourné à Zelazny (une seule exception, mais d’un genre particulier : sa « collaboration » avec le Divin Philip K. Dick, Deus irae). Je savais bien, pourtant, que, de même que les elriqueries ne constituent pas l’ensemble de l’œuvre de Moorcock, Zelazny ne saurait être réduit à « Ambre ». Pour Moorcock, ainsi que les plus pervers d’entre vous ont pu le constater en temps réel, j’ai fini par franchir le pas et réviser mon jugement ; pour Zelazny, je n’en avais toujours pas trouvé le courage. Pourtant, je ne pouvais cacher une certaine curiosité pour ses œuvres de science-fiction souvent imprégnées de mythologie, et notamment pour ses nouvelles, généralement plus plébiscitées que ses romans, quand bien même les opinions à son encontre pouvaient être très variables (allant du « Lisez Zelazny, je le veux, il est grand et fort et beau » à « Laissez donc ce brontosaure dans ses oubliettes, c’est nul »). Aussi, je pensais attendre les prochaines rééditions du monsieur en Lunes d’encre ; on verrait bien…
Puis il y eut le Cafarnaüm. Parmi les ouvrages apportés figurait Une rose pour l’Ecclésiaste, recueil de quatre longues nouvelles, semble-t-il de très grande qualité. En dépit de cette couverture signée Boris, construite autour d’un voluptueux cul féminin qui attire immanquablement le regard, ne venez pas prétendre le contraire. Je ne sais plus qui l’avait apporté, pardon pardon… Je sais en tout cas que je ne suis pas reparti avec, m’emparant quant à moi de l’excellent Journal de nuit de Jack Womack, apport de Turtle (qui nous avait également gratifié d’un très bon cake). Bon, raté, essayez encore… Deux jours plus tard, sortant de ma première session d’investigation aux Archives nationales, je rencontre le sieur Tétard. Or Tétard est généreux. Très généreux. Voilà-t-y pas qu’il m’offre deux bouquins, là, comme ça… dont Une rose pour l’Ecclésiaste. Dingue, non ? Ça sent la manipulation divine, extraterrestre, communiste ou judéo-maçonnique, moi j’dis. Je le note. Donc : 1°) Merci beaucoup, ô généreux Tétard, de m’offrir ainsi le moyen d’expier mes fautes ; 2°) Sache que tu figures d’ores et déjà sur mon fichier EDVIGE perso (avec les mentions entrevues précédemment, et aussi celles, peut-être pires encore, de « bourdieusien » et « d’anarchiss’ »).
Adonc, Une rose pour l’Ecclésiaste. Quatre longues nouvelles, qui nous renvoient semble-t-il au début de la carrière de Roger Zelazny. Ce qui explique sans doute cette « Introduction » de (rien moins que) Theodore Sturgeon (pp. 5-13), inévitablement en forme d’éloge, mais pour le coup probablement excessive, en dépit de l’admiration que j’éprouve pour l’auteur de Cristal qui songe et autres merveilles. Autrement dit, oui, Une rose pour l’Ecclésiaste, c’est bien ; c’est même très bien. Mais exceptionnel, grandiose, fantabuleux, indispensable, orgasmique et supra-cool ? Honnêtement, je ne peux pas aller jusque-là. C’est bien, oui ; c’est même très bien ; ça n’en est pas moins critiquable par endroits, plus ou moins séduisant, parfois frustrant, et plus ou moins convaincant sur le pur plan du style : Zelazny, à n’en pas douter, fait preuve d’une bien plus grande ambition que la plupart de ses confrères à l’époque ; cela dit, c’est d’autant plus casse-gueule, et je crains que la traduction de Michel Deutsch n’arrange guère les choses (en tout cas, m’est avis qu’elle mériterait un sacré dépoussiérage). Mais c’est bien, oui ; c’est même très bien.
(C’est vraiment très très bien.)
(Ah oui, c’est épatant.)
… Décortiquons. Une excellente entrée en matière : « Les Furies » (pp. 15-68), ou la traque menée par trois êtres exceptionnels, répondant aux noms improbables de Sandor Sandor, Benedick Benedict et Lynx Links, d’un autre être exceptionnel, le capitaine Victor Corgo, qui, écœuré par les atrocités qu’il était amené à commettre au nom de l’humanité, a finalement trahi cette dernière et sombré dans le terrorisme. Superbe et saisissante histoire de vengeance(s) tournant à la fable, personnages fascinants, atmosphère remarquable, des bonnes idées à la pelle : très très très bonne nouvelle. Juste un bémol : une fin peut-être un peu expédiée et didactique, en tout cas moins convaincante que les toutes premières pages, présentant les divers protagonistes, que j’ai trouvées absolument bluffantes.
Et la suite est encore meilleure : « Le Cœur funéraire » (pp. 69-149) constitue à mon sens le sommet du recueil. Impressionnante et pertinente, cette plongée dans une jet-set futuriste en quête d’une pseudo-immortalité : les « heureux » (?) élus – cooptés… – ne vivent plus qu’un jour de temps à autre, passant les semaines, mois ou années intermédiaires dans un cercueil cryogénique ; et, quand ils se réveillent, dans un monde qu’ils ne comprennent plus, c’est pour s’enfermer dans des fêtes toujours plus absurdes et mécaniques, et s’offrir au regard du commun. Un récit poignant et subtil, très bien vu, bien construit, et doté de personnages forts. Là, je parlerais volontiers de chef-d’œuvre.
Par contre, très honnêtement, « Les portes de son visage, les lampes de sa bouche » (pp. 150-200) ne m’a pas vraiment convaincu. De belles idées, oui ; des personnages attachants, d’accord ; mais cette rivalité amoureuse d’une chasseuse et d’un appât humain traquant sur Vénus une énième variation de Moby Dick m’a laissé assez froid…
Heureusement, « Une rose pour l’Ecclésiaste » (pp. 201-254) est bien plus séduisante, quand bien même, en ce qui me concerne, elle n’est pas aussi forte que les deux premières nouvelles. Nous y suivons un Terrien du nom de Gallinger, poète surdoué d’une arrogance peu commune, dans son étude d’une civilisation martienne uniquement féminine et condamnée à brève échéance. La révolte prométhéenne de Gallinger est intéressante (et la fin poignante), la dimension « ethno-SF » de même. Mais le canevas peu vraisemblable, l’amourette un peu convenue entre le Terrien et la Martienne (probablement la callipyge de la couverture ?) et la polésie parfois lourde m’ont empêché d’adhérer totalement à cette dernière novella.
Quoi qu’il en soit, Une rose pour l’Ecclésiaste est effectivement un très bon recueil, qui vaut assurément le détour. Pas aussi exceptionnel que ce que prétend Sturgeon, mais néanmoins très recommandable, et largement au-dessus du lot.
Alors merci Tétard. Re.
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