"Custer et moi !", de François Darnaudet
DARNAUDET (François), Custer et moi ! (Le Fils de l’autobiographie fantastique), postface de Philippe Ward, Lyon, ActuSF, coll. Les Trois Souhaits, 2008, 64 p.
Une des choses qui rendent la collection des Trois Souhaits très sympathique à mes yeux est son aptitude à tirer parti de son format si particulier pour publier des livres « autres », sans doute impubliables ailleurs. L’exemple le plus frappant – même si pas forcément le plus pertinent – jusqu’à présent était probablement Appel d’air, mais j’aurais également envie de mentionner, dans cette ligne de petits recueils de nouvelles, London Bone de Michael Moorcock, petit bouquin unique en son genre qui m’a enfin fait apprécier l’auteur britannique, et m’a permis de découvrir ultérieurement ses plus grandes réussites, ou encore Le Miroir aux éperluettes, superbe occasion de découvrir enfin Sylvie Lainé en volume (au passage, ayé, je viens de commander son deuxième recueil, Espaces insécables ; je vous en recause très bientôt…). Avec un peu moins de réussite, on pourrait sans doute mentionner Le Voyageur solitaire de Jean-Marc Ligny, ou comment jouer la carte démesurée de « l’histoire du futur » dans un petit format, ou le H.P.L. de Roland C. Wagner, très bonne nouvelle, certes, mais dont le bilinguisme, s’il est audacieux, me paraît d’une utilité plutôt douteuse. Je ne reviendrai par contre pas sur le ratage de Thierry Marignac, passons, passons… Bref, si la réussite n’est pas toujours au rendez-vous, c'est quand même souvent le cas, et l’intention est de toute façon suffisamment intéressante pour susciter attention et sympathie.
Mais dans la catégorie des publications « bizarres », ce Custer et moi ! de François Darnaudet se pose là. On pourrait dire qu’il s’agit de… eh bien… heu… comment dire… humf… un « truc », voilà. Une « autobiographie fantastique », à en croire l’auteur. Ce qui se tient. Même si d’aucun préféreraient sans doute parler d’une novella mêlant auto-fiction et science-fiction (oui, parce que la nuance entre science-fiction et fantastique n’est pas forcément très nette, ici ; pour ma part, la classification SF serait plus appropriée, mais, bon, après tout, les étiquettes, hein…), ce qui n’est tout de même pas banal (même si, entre Dick dernière manière et Houellebecq… mais le rapprochement se ferait surtout avec le premier, j’imagine).
OK. Mais pas que. On pourrait y voir aussi, à le prendre totalement au sérieux, une sorte d’essai historico-physico-métaphysique farfelu, du genre à séduire les amateurs d’occultisme et de paranormal, mais avec suffisamment d’humour pour faire passer la pilule. Ou, plus prosaïquement, des notes de recherche, pour ne pas dire un brouillon, en vue d’une publication ultérieure. Les mauvaises langues parleraient même volontiers d’une sorte de teaser… Et, entre nous soit dit, elles n’auraient pas tout à fait tort, si l’on veut bien admettre que l’originalité du procédé comme la confidentialité de la chose le rendent tout de suite plus sympathique.
Bon, peu importe. En tout cas, ça se lit. Et c’est plutôt enthousiasmant en ce qui me concerne.
François Darnaudet – dont je ne n’avais jamais entendu parler jusqu’alors – est un scientifique de formation, auteur de polars, mais également de bouquins de SF/fantastique (voir plus haut), notamment chez Rivière Blanche (ce qui explique sans doute la postface amicale de Philippe Ward). Il nous livre ici une de ses obsessions, qui traverse plusieurs de ses œuvres ; et c’est d’ailleurs pourquoi il parle de « Fils de l’autobiographie fantastique », « L’autobiographie fantastique » à proprement parler, ou plus exactement sa première étape, figurant dans Le Regard qui tue (Rivière Blanche, 2005), et le deuxième épisode, « Le Retour de l’autobiographie fantastique », dans Le Papyrus de Venise (Nestiveqnen, 2006). L’obsession en question tourne autour du général Custer et de la bataille de Little Big Horn. Pourquoi pas, hein ?
François Darnaudet se présente volontiers comme un rationaliste forcené, ou, selon ses propres termes (p. 14), « un vrai con de matheux, méprisant les littéreux, anarchiste version Stirner, pas baptisé, complètement athée et allergique aux monothéistes de tout poil ». Mais voilà : deux événements étranges, au cours de sa vie, l’ont amené à admettre la possibilité d’une part d’irrationnel, au moins en apparence, de phénomènes dépassant l'entendement, voire de l’existence d’un univers autre. Il y eut le « dé volant ». Mais il y eut surtout ce souvenir troublant, ancré dans sa mémoire, d’avoir assisté à la bataille de Little Big Horn, et d’y avoir péri. Darnaudet serait-il donc la réincarnation d’un officier du 7ème de cavalerie ? Et de son idole Boris Vian, tant qu’à faire ? Il mène l’enquête. Avec sérieux et humour. « Vous rirez de moins en moins, mes gaillards ! » (p. 32).
Effectivement, on ne rit pas. Mais on sourit volontiers, et c’est avec plaisir qu’on se laisse entraîner dans cette thèse saugrenue, accumulant les « coïncidences troublantes », comme on dit… mais aussi les manipulations tortueuses et autres « oublis » providentiels de « détails » inconciliables… Le résultat est étrange, pas hyper convaincant certes – ce n’était pas vraiment le but, après tout ; enfin, j’espère… –, mais néanmoins passionnant, et même jubilatoire, pour peu que l’on accepte de jouer le jeu ; et c’est bien l’essentiel. Et en refermant ce curieux petit bouquin, on se dit qu’on en lirait volontiers davantage, avec, disons, « La Fiancée de l’autobiographie fantastique », dans une prochaine publication d’un Darnaudet plus obsédé que jamais…
Un regret, cependant : si tout cela se lit agréablement – bon, on va pas en faire un incontournable non plus, hein ; c’est une friandise, très sucrée, et qui ne se refuse pas, c’est tout… –, j’avoue avoir régulièrement soupiré devant deux pénibles écueils stylistiques qui parcourent tout le, heu, le « machin » : une ponctuation plus qu’hasardeuse – qui contamine même la postface de Philippe Ward (allez savoir ce qu’ils y mettent, dans leur Coca…) –, et un syndrome du Point d’Exclamation Proliférant, jusque dans le titre (moche, par ailleurs). Dommage… Je ne m’attendais certainement pas, en ouvrant Custer et moi !, à une merveille littéraire, mais bon, là, quand même…
Boarf. On s’en remettra. Ce très court texte – ça se lit en une heure, hein – m’a décidément bien plu, son originalité et sa fraîcheur l’emportant amplement sur ses maladresses stylistiques. Un petit bouquin curieux et sympathique, tout à fait appréciable.
Bon, je vous laisse, j’ai des recherches à faire : je finirai bien par vous prouver que je suis la réincarnation de Gilles de Rais (c. sept.-oct. 1404 – 26 oct. 1440), de Thomas More (7 février 1478 – 6 juillet 1535), d’Henri IV (14 décembre 1553 – 14 mai 1610), de d’Artagnan (c. 1611-1615 – 25 juin 1673), du marquis de Sade (2 juin 1740 – 2 décembre 1814), de Karl Marx (5 mai 1818 – 14 mars 1883), de Franz Kafka (3 juillet 1883 – 3 juin 1924) et de Philip K. Dick (16 décembre 1928 – 2 mars 1982). « Vous rirez de moins en moins, mes gaillards ! »
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