"La Nuit des morts-vivants", de John Russo
RUSSO (John), La Nuit des morts-vivants, [Night of the Living Dead], d’après le scénario de John Russo et George Romero, postface de George Romero, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Vincent Pelletier, Paris, Bragelonne – Milady, [1974] 2008, 211 p.
Bon, maintenant que je me suis étendu orgasmiquement sur l’indispensable film de George A. Romero, il m’est possible de vous causer rapidement de sa novélisation par John A. Russo, co-scénariste du film (et y figurant, dans un très bref cameo – le premier zombie poignardé au visage…) ; un roman sorti en 1974 outre-Atlantique, et qui fut en 1985, dans une traduction charcutée (aha), le premier titre de la « mythique » collection « Gore » du Fleuve Noir ; il ressort aujourd’hui chez Milady dans une nouvelle traduction, intégrale cette fois.
…
Oui, je sais.
Mais, que voulez-vous, c’est plus fort que moi. Des fois, je suis pris d’une curiosité maladive et un brin perverse, qui me pousse à l’achat compulsif de choses étranges, qui s’annoncent probablement pas très bonnes (notamment en matière d’horreur).
Et puis j’aime les zombies.
J’adooooooore les zombies.
Alors, quand j’ai vu ce titre chez Milady, j’ai eu beau me dire que la novélisation est un exercice a priori totalement inutile, et que ça risquait de ne pas être très glorieux (*aheum*), j’ai quand même craqué. Pis comme ça, j’aurais lu un Milady (parce que, honnêtement, vu le catalogue à l’heure actuelle, fouyayaye… à part peut-être Carbone modifié de Richard Morgan, faut voir… bon, bref).
…
Oui, je sais.
Je suis faible.
Mais bon, la curiosité est une jolie qualité.
Et de toute façon, 211 pages, le calvaire – si calvaire il devait y avoir – ne serait pas interminable (les dix dernières pages étant en outre consacrées à une postface de Romero revenant sur la genèse du film, où il se montre égal à lui-même). Allez, hop.
…
Purée, ça commence mal ! Voyez vous-mêmes (pp. 5-6) :
« Quand on pense à tous ces gens qui ont vécu, qui sont morts, et qui jamais plus ne verront ni arbre, ni herbe, ni soleil…
» Tout cela semble si fugace et si vain… Pas vrai ? Vivre quelque temps, et puis mourir, ajouter pas grand chose à presque rien…
» Et pourtant, en un sens, on pourrait presque les envier, les morts.
» Ils en ont fini de vivre, fini de mourir.
» Ils en ont de la chance d’être morts, d’avoir derrière eux leur agonie et de ne plus avoir à vivre. D’être simplement sous terre, sans rien ressentir… Plus de peine, plus d’angoisse.
» Ils ne sont plus obligés de vivre, ni de mourir, ni de subir la douleur.
» Ni d’accomplir quoi que ce soit.
» Ni de se demander quoi faire après.
» Ni de se demander ce que ça va leur faire de crever.
» Pourquoi l’existence nous semble-t-elle si laide ou si belle, si triste et pourtant si précieuse le temps qu’elle dure, et si insignifiante quand elle est finie ?
» Les flammes de la vie couvent un instant, puis s’éteignent, alors que les tombes attendent patiemment d’être remplies, et bien que la mort soit au bout du chemin, chaque nouvelle vie l’emprunte gaiement avec désinvolture, sans connaître ni se soucier de celles qui l’ont précédée, jusqu’à ce qu’à son tour elle aille les rejoindre.
» Et sans relâche, ce cycle inéluctable remplit tombe après tombe. Les êtres vivent – bien ou mal, c’est selon – mais finissent toujours par mourir, et la mort seule peut les réduire à leur plus petit dénominateur commun.
» Qu’est-ce qui fait si peur dans la mort ?
» Pas la douleur – pas toujours : la mort peut être instantanée et indolore. Et la mort elle-même est la fin de toute douleur.
» Alors pourquoi donc les gens ont-ils si peu de mourir ?
» Que pourrions-nous apprendre de ceux qui sont passés par là, s’ils trouvaient le moyen de revenir vers nous ? S’ils revenaient de là-bas ?
» Reviendraient-ils en amis ? En ennemis ?
» Pourrions-nous nous entendre avec eux ?
» Nous qui n’avons jamais vaincu notre terreur de la mort ? »
…
Oh, putain.
Je me suis mis à craindre 200 pages du même tonneau. Un calvaire interminable, tout compte fait.
…
Oh, putain.
Bref, j’ai failli refermer le bouquin illico, le balancer contre le mur le plus lointain de ma chambre, et passer immédiatement à autre chose, qui ne pouvait être que meilleur.
Et puis je me suis dit que je ne pouvais pas juger l’ensemble du bouquin sur ces deux atroces pages d’introduction, et j’ai continué (de toute façon, je n’abandonne qu’exceptionnellement les livres, même les plus mauvais ; après tout, j’ai bien lu en entier Le Monde des Ā et Léviatown… Oui, outre la curiosité malsaine et perverse, on peut bien parler de masochisme…).
Alors j’ai continué.
On passe ensuite directement à la scène dans le cimetière avec Barbara et Johnny. C’est pas glorieux, mais pas scandaleux non plus. Bon…
Les pages défilent.
Barbara se réfugie dans la maison, et est rejointe par Ben. Tiens, ça s’améliore.
Et, oui, à partir de ce moment-là, ça devient tout à fait lisible, en fait. Le style de Russo, s’il reste minimaliste, n’a plus rien à voir avec cette calamiteuse introduction adolescente. L’introspection est rare ou discrète, le roman privilégiant action et tableaux horrifiques, avec un sens du rythme indéniable. Et, du coup, ça se lit tout seul. Et, parfois, ça marche vraiment très bien ; certes, le fait que je connaisse le film de Romero par cœur ou presque y est sans doute pour quelque chose, mais j’ai retrouvé dans cette novélisation, ce qui n’était certainement pas gagné, l’ambiance, la tension et parfois même la force dudit chef-d’œuvre. Des images marquantes, et qui font toujours leur petit effet…
Une novélisation très fidèle dans l’ensemble, d’ailleurs. On compte juste quelques variantes ici ou là, quelques approfondissements surtout : la dimension science-fictive est sans doute un peu plus flagrante (on est plus loquace sur le satellite), on s’interroge plus clairement sur l’origine de la menace en renvoyant à la paranoïa antisoviétique, on côtoie davantage les chasseurs, aussi (ce qui, dans le film, aurait très clairement été une erreur, et, ici, introduit tout de même un changement de point de vue un peu perturbant… pas totalement inintéressant, cela dit). Ah, sans surprise, c’est beaucoup plus gore, aussi…
Et au final ça donne un divertissement tout à fait correct. Si, si. Bon, je dis peut-être (probablement ?) ça en tant que fan décérébré (zombifique ?), mais, après l’abomination des premières pages, j’ai finalement lu ce roman avec plaisir, et très vite. Comme un bon roman de gare… Rien de plus, mais rien de moins.
Problème : en-dehors de crétins dans mon genre, qui ce livre pourrait-il bien intéresser ? Fondamentalement, comme la quasi-totalité des novélisations, c’est un machin totalement inutile. Ceux qui connaissent le film pourront allègrement s’en passer. Ceux qui ne connaissent pas le film doivent le voir, et plus vite que ça (non mais oh). Ça ne laisse pas beaucoup de marge… Et, honnêtement, je ne peux conseiller la lecture de ce roman à personne.
J’ai parfaitement conscience de cette inutilité, et de ce peu d’intérêt dans l’absolu. Mais, au final, je ne peux m’empêcher de penser que ça a été plutôt une bonne surprise…
Bizarre.
Bon…
Russo a écrit des suites (les « Gore » n° 6 et 9), qui, cette fois, n’ont plus rien à voir avec les films de Romero, du moins je suppose. Si Milady les ressort, je ne serais pas surpris que ma curiosité malsaine, perverse, masochiste, etc., m’amène à retenter l’expérience.
Parce que la chair est faible.
(Et que j'aime les zombies. Oh, oui.)
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