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"Les Morts concentriques", de Jack London

Publié le par Nébal

 

LONDON (Jack), Les Morts concentriques, textes choisis et présentés par Jorge Luis Borges, [s.l.], FMR – Panama, coll. La Bibliothèque de Babel, [1948, 1973, 1975, 1977-1978] 2008, 145 p.

 

Chose promise, chose due : retour sur la Bibliothèque de Babel avec cette fois un petit recueil consacré à Jack London. Une fois de plus, il ne s’agit pas toujours (pas vraiment ?) de fantastique à proprement parler ; mais, à la différence du recueil consacré à Chesterton, Les Morts concentriques, au travers de ses cinq nouvelles, est une occasion de choix pour envisager l’auteur du Talon de fer (classique que je n’ai pas lu, honte sur moi) dans une large palette de genres et de styles.

 

Car Jack London saurait difficilement être cantonné à un unique registre, et, au cours de sa vie brève et aventureuse, il s’est exercé dans bien des domaines différents. Pour dire les choses comme elles sont : il est loin de n’être que l’auteur de L’Appel de la forêt (bouquin non négligeable, cela dit : en ce qui me concerne, je crois bien que c’est mon premier grand souvenir de lecture). Les Morts concentriques en témoigne assurément.

 

Décortiquons donc un peu la bête, en commençant par la nouvelle titre, « Les Morts concentriques » (pp. 17-39 ; nouvelle autrefois traduite littéralement sous le titre « Les Favoris de Midas »). Pas de fantastique à proprement parler, non, mais à coup sûr une ambiance horrifique, dans cette sorte de thriller avant l’heure nous racontant du point de vue bourgeois le terrible chantage organisé par une société secrète anarchiste. La nouvelle est d’autant plus efficace qu’elle sait conserver une certaine ambiguité avec cette question du point de vue, et est indubitablement inspirée du terrorisme anarchiste de la fin du XIXe siècle. Un récit sombre et glaçant sur la violence politique, annonciateur d’une horreur inéluctable si les deux camps continuent à se traiter ainsi par le mépris ; triste prophétie du XXe siècle débutant, terrible et remarquable.

 

On passe à tout autre chose (ou bien ?) avec « L’Ombre et la chair » (pp. 41-67), puisqu’il s’agit cette fois d’une nouvelle de science-fiction, basée sur la thématique de l’invisibilité. Mais c’est à nouveau une histoire d’affrontement, entre deux rivaux qui se ressemblent trop pour ne pas se haïr. De là à en tirer à nouveau un sous-texte politique…

Les trois dernières nouvelles, quoique variées, ont néanmoins ceci de commun qu’elles jouent la carte de l’exotisme, voire de l’ethnologie (le point de vue étant généralement celui de l’indigène, traité avec le mépris que l’on sait par le blanc « civilisé ») ; ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait quel grand voyageur fut London. On connaît, notamment, ses aventures en Alaska, et les deux nouvelles suivantes empruntent ce cadre on ne peut plus authentique.

 

Il y a tout d’abord « La Loi de la vie » (pp. 69-81), texte très poétique nous contant les derniers instants d’un vieillard. On ne parlera guère de « récit » pour cette prose très picturale, et belle assurément.

 

« La Face perdue » (pp. 83-107), tout en conservant ce cadre, retrouve cependant l’atmosphère d’horreur et de violence des « Morts concentriques », puisque tout y commence par une horrible scène de torture. Le point de vue est celui de la prochaine victime, un Polonais exilé, et quelqu'un de tout sauf recommandable… On retrouve avec plaisir et effroi l’ambiguité de la première nouvelle dans cette réussite incontestable.

 

Mais le bijou du recueil est probablement sa conclusion, « La Maison de Mapouhi » (pp. 109-146), nouvelle qui emprunte cette fois un cadre polynésien. Une fable à la fois burlesque et cauchemardesque, drôle et terrifiante, plus fantastique que tout ce qui a précédé, et décrivant avec un talent rare les pérégrinations d’une perle incomparable passant de main en main tandis qu’un ouragan surnaturel menace de submerger une île. Notons, au passage, un très beau personnage féminin, dans une conclusion tout simplement parfaite.

Vous l’aurez compris : Les Morts concentriques m’a bien davantage convaincu que L’Œil d’Apollon. C’est l’époque des bonnes résolutions, paraît-il : je comptais déjà me remettre à Borges ; mais il va aussi falloir que je prolonge l’expérience de la Bibliothèque de Babel, et que je me remette à Jack London… ou plutôt que je m’y mette, puisqu’il s’agit bien là d’un remarquable exemple de ces auteurs que l’on croit connaître, mais dont on ne sait finalement rien ou presque.

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