"Outrage et rébellion", de Catherine Dufour
DUFOUR (Catherine), Outrage et rébellion, Paris, Denoël, coll. Lunes d’encre, 2009, 385 p.
Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 54 (pp. 98-99).
Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.
En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…
EDIT : Hop :
Pour son nouveau roman (en Lunes d’encre, cette fois, sous une couverture d’un Daylon qu’on a connu plus inspiré, figurant un incongru fan de Tokyo Hotel) situé dans l’univers sino-glauque du très bon et justement plébiscité Le Goût de l’immortalité (mais on ne parlera pas vraiment de « suite » pour autant), Catherine Dufour délaisse les yourcenareries pour faire dans le nettement moins distingué, mais non moins efficace.
Cette fois, on oublie les subjonctifs et autres tournures alambiquées, au profit de témoignages crus et gouailleurs, débordant de sexe, de drogue et de rock’n’roll (et de pisse et de vomi) (et de prothèses et de clones). La forme (quasi) épistolaire laisse la place à une succession d’entretiens, façon documentaire (mentions légales et générique de fin inclus), entièrement dénués de descriptions, de monologues intérieurs, etc.
Bref, exeunt les Mémoires d’Hadrien ; Catherine Dufour fait cette fois l’éponge avec l’indispensable Please Kill Me de Legs McNeil et Gillian McCain, « histoire non censurée du punk » américain des origines à la décadence (enfin, on se comprend…), où des Lou Reed, Iggy Pop, Ron Asheton, Dee Dee Ramone et autres (producteurs, musiciens, groupies, journalistes…) nous entretiennent avec candeur et outrance de leurs frasques de gamins débiles (et somme toute fort peu de musique…).
Catherine Dufour fait quelque peu l’éponge, oui ; elle ne s’en est jamais cachée, d’ailleurs, mais il est vrai que cela pourrait lui être nuisible à terme… Mais pas pour le moment. Car si Outrage et rébellion s’inspire largement de Please Kill Me, il n’en constitue certainement pas une adaptation servile, ni a fortiori un plagiat. Si Catherine Dufour emprunte au volumineux essai sa structure et quelques anecdotes ici ou là, elle n’en fournit pas moins un considérable travail d’écrivain en en faisant un roman. Un vrai roman, inventif dans la forme comme dans le fond, et qui se dévore et enthousiasme comme un riff des Ramones, avec la saleté de production des Stooges, et une outrance plus vraie que nature.
Car c’est là à vrai dire le tour de force de l’auteur. En nous contant l’épopée de marquis, de ses potes et des requins et margoulins divers et variés qui profitent de leur talent contestable, le tout dans un contexte science-fictif d’une noirceur organique et horrifique quelque part entre Ballard et Cronenberg, Catherine Dufour parvient à humaniser son propos, et à donner un sens aux idioties juvéniles des branleurs géniaux qui l’ont inspirée. marquis et ses zicos sont non seulement plus humains, tout en étant sensiblement plus trash, que leurs illustres modèles, mais, au delà, leur péripéties se voient ainsi conférer un sens, une portée immédiate, politique et cinglante, qui, quoi que le mythe ait pu en dire, faisait défaut au punk des origines.
Outrage et rébellion (tout est dans le titre) est donc bel et bien un (excellent) roman, fort de sa singularité, d’une humanité et d’une vivacité exemplaires, et autrement plus profond qu’il n’y paraît au premier abord.
Et c’est aussi, sans surprise de la part de Catherine Dufour, un roman superbement écrit. On a souvent eu l’occasion de le constater : il n’y a rien de pire que le pseudo-argot que les écrivaillons du dimanche se sentent obligés d’infuser dans leurs dialogues pour faire « populo ». Mais, ici, l’auteur maîtrise parfaitement sa technique, use des néologismes et barbarismes ave un naturel effarant, et le tout coule tout seul, avec une aisance verbale, une authenticité, rares dans un roman. Les interventions des divers personnages, tantôt écœurantes et déprimantes, tantôt (souvent) à hurler de rire, sont toujours d’une extrême justesse qui force le respect. Aussi Outrage et rébellion se lit-il avec un plaisir constant, et une aisance permanente comme on en a rarement vue.
Chef-d’œuvre, alors ? Non, quand même pas. Si Outrage et rébellion est bien un excellent roman, chaudement recommandé, il n’en est pas moins régulièrement victime de menus défauts qui l’empêchent d’accéder tout au sommet de la pyramide. Ainsi, si les emprunts et clins d’œil, nombreux, se montrent souvent jouissifs, il est à craindre que certains puristes ne jasent devant le procédé et le jugent quelque peu artificiel (sans parler des culs serrés à même de s’offusquer de la – oh mon Dieu – « vulgarité » du roman, mais ceux-là, n’est-ce pas, on les empapaoute, alors, bon…). Mais il y a plus gênant : notamment, si les très nombreux personnages sont tous aisément identifiables, solidement construits et cohérents, la structure même du roman en rend parfois le déroulement quelque peu confus. Et c’est à mon sens particulièrement vrai, et d’autant plus regrettable, pour ce qui est de la fin du roman, laquelle ne m’a à vrai dire pas convaincu : trop abrupte, trop confuse, et pas vraiment crédible… Dommage. Il s’en fallait de peu.
Mais, bordel, on parle de punk, que diable ! Alors ce n’est certainement pas le moment de faire la fine bouche. Dans l’ensemble, il ne saurait faire de doute qu’Outrage et rébellion est un excellent roman, qui vaut largement le détour ; il est même probablement meilleur que son illustre prédécesseur. Alors l’adage se vérifie encore une fois : Catherine Dufour, c’est bon, mangez-en.
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