Joyeuses Apocalypses, de Jacques Spitz
SPITZ (Jacques), Joyeuses Apocalypses, postface de Joseph Altairac, Paris, Bragelonne, coll. Les Trésors de la science-fiction, [1938, 1951] 2009, 429 p.
Ma chronique se trouvait sur le défunt site du Cafard cosmique... La revoici.
Ces derniers temps, Jacques Spitz revient à la mode, et l’on ne saurait s’en plaindre. Après la réédition récente de L’Œil du purgatoire chez L’Arbre vengeur, c’est au tour des éditions Bragelonne de rappeler à notre bon souvenir l’auteur de « romans fantastiques » avec cet étonnant omnibus comportant trois courts romans dont un inédit, six nouvelles pour la plupart inédites, et une intéressante postface de Joseph Altairac confrontant l’auteur français à H.G. Wells.
Le recueil s’ouvre en fanfare sur La Guerre des mouches, roman saisissant repris ici dans sa version originale de 1938 : pessimiste, cynique, misanthrope, grinçant, grotesque, hilarant... tout cela et plus encore. L’apparition d’une nouvelle espèce de mouches intelligentes dans le Sud-Est asiatique y sonne peu ou prou le glas de l’humanité ; au fil des pages, le jeune scientifique Jules-Évariste Magne assiste à la lutte perdue d’avance de l’Homme, combattant d’abord sceptique puis bien vite dépassé par la nouvelle espèce dominante. Un récit catastrophiste suscitant nombre de tableaux apocalyptiques lorgnant vers le surréalisme, qui se teinte d’une impitoyable satire sociale, d’un cynisme délicieusement horrible. Un chef-d’œuvre, et la meilleure des entrées en matière.
La suite est tout aussi palpitante et fascinante. L’Homme élastique traite à son tour, dans un sens, de la disparition de l’Humanité, mais en jouant sur un tout autre registre. Un savant - misanthrope, comme il se doit -, le docteur Flohr, y développe un procédé permettant de modifier la taille de l’homme : la flohrisation produit aussi bien des géants que des homuncules, et les applications de cette extraordinaire découverte ne manquent pas. Dès lors, à travers son journal, puis les mémoires de sa fille, c’est à une révolution que l’on assiste. Jacques Spitz se complait dans les tableaux les plus grotesques et les plus fous, dressant une liste exhaustive des utilisations de la flohrisation et de leurs conséquences à moyen terme. La dérision domine dans ce merveilleux roman à l’originalité frappante et d’une inventivité phénoménale, confinant au délire.
La Guerre mondiale n°3, le roman inédit de ce recueil (et le seul à avoir été écrit après la Deuxième Guerre mondiale), est plus classique en apparence, et - relativement - moins bon, dans la mesure où il s’agit d’un énième récit de guerre future. Sans surprise, les belligérants ne sont autres que l’Union soviétique et les Etats-Unis. Mais l’auteur joue avec une grande adresse de ce canevas simpliste, en conférant à son roman une dimension satirique, et en multipliant les inventions militaires saugrenues, parfois visionnaires, parfois délirantes, qui sont autant de surprises dans cette sinistre et grinçante course à la destruction.
Ces trois romans suffisent à faire de Joyeuses Apocalypses un recueil éminemment recommandable. Mais il faut aussi compter avec six courtes nouvelles, pour la plupart inédites, rassemblées sous le titre Six Machines à fabriquer l’avenir : de nouvelles apocalypses « condensées », tout d’abord, avec cette lumière qui ralentit dans « Après l’ère atomique », la mer qui disparaît dans « Le Nez de Cléopâtre » et les extraterrestres d' « Interview d’une soucoupe volante », ramenant l’homme à sa juste place dans l’univers ; mais aussi des nouvelles plus légères et humoristiques - un cran en-dessous du reste, sans doute -, « L’Énigme du V 51 » racontant les premiers pas de l’homme sur la Lune, et « Les Vacances du Martien », tableau cocasse et abondamment détaillé d’une Terre future réduite en parc d’attractions pour touristes spatiaux ; reste enfin « Le Secret des microbes », récit plus intimiste et davantage dans la lignée de L’Œil du purgatoire, dans lequel un homme a poussé si loin la misanthropie qu’il s’est découvert une sympathie unique pour les microbes...
Dans l’ensemble de ces récits, la plume de Jacques Spitz, élégante, d’une préciosité parfois désuète qui ne la rend que plus agréable, se montre toujours d’une efficacité remarquable. On rit jaune, bien sûr ; mais on rit beaucoup, dans l’ensemble de ces récits, de la bêtise de cet homme qui se dit « sapiens », mais qui ne semble avoir d’autre but dans l’univers que de courir à sa perte. Un miroir judicieusement déformant, une image grotesque mais impitoyablement juste de l’humanité.
Il faut se jeter sur cet excellent recueil, indispensable témoignage du talent d’un auteur que l’on a trop vite oublié, mais que l’on peut bien envisager aujourd’hui comme un des plus grands pionnier de la science-fiction française.
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