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"Chromozone", de Stéphane Beauverger

Publié le par Nébal

BEAUVERGER (Stéphane), Chromozone, Paris, La Volte – Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [2005] 2008, 421 p.

 

Après la fort sympathique lecture que fut Le Déchronologue, je m’étais promis de lire davantage de Stéphane Beauverger. Or, davantage de Stéphane Beauverger, à l’heure actuelle, cela veut en gros dire la « trilogie Chromozone », composée de Chromozone, Les Noctivores et La Cité nymphale. Va donc pour ce premier volume, récemment ressorti en poche chez Folio-SF, de même que le deuxième (et le troisième ne devrait pas tarder, j’imagine, à moins qu’il ne soit déjà sorti ?).

 

Chromozone, donc. Un univers passablement glauque, au carrefour du post-apo et du cyberpunk. La Terre a été balayée par un virus informatique (Chromozone, donc...), qui a foutu un sacré bordel, en anéantissant en gros tous les processus de communication informatiques. Les États-nations et autres centres traditionnels du pouvoir, a fortiori dans les pays dits développés, se sont balkanisés et repliés dans un enfer communautariste, basé sur l’appartenance ethnique, la religion ou l’idéologie ; un sacré cauchemar en ce qui me concerne, au-delà, bien sûr, des simplifications médiatiques se cantonnant à la paranoïa ethnocentrique obsédée par « l’envahisseur » supposé menacer « l’identité » ; le vrai problème, à mes yeux, est bien celui du repli sur soi, du retour de bâton national ou local (identitaire, donc…) contre toute velléité cosmopolite ou simplement fédérative. Et étrangement, mais je dis peut-être des bêtises, je n’ai pas l’impression que ce thème ait été si traité que ça en SF (empreinte de « l’État mondial » des origines, et des méga-corporations du cyberpunk ?) ; c’est à n’en pas douter en ce qui me concerne un des gros points forts du roman.

 

Dans ce cadre terriblement pas glop (où, paraît-il, « il n’y a plus de place pour la bêtise », mais on est en droit d’en douter…), nous suivons essentiellement trois personnages dans trois villes.

 

Marseille. Le colosse Teitomo est, étrangement (ou pas) si l’on prend en compte son passé révolutionnaire, un flic. Il gère les choses à sa manière, et c’est pas évident. Surtout à l’heure actuelle, alors que les communautés s’affrontent, ce qui pourrait bouleverser la carte politique locale (tout est envisagé du point de vue local). Et puis il y a Khaleel, l’ancien mentor de Teitomo, devenu à peu de choses près un ordinateur vivant (et un prophète…), dans ce monde où les anciens réseaux informatiques infestés par le Chromozone ont été remplacés par la communication par phéromones…

 

Ouessant. Pardon, Enez Eussa. L’île bretonne est un camp de réfugiés sous la coupe des Keltiks, d’infects nazillons celtillons dirigés par le Tore. Mais le jeune Gemini ne reconnaît pas cette autorité (et il a de très bonnes raisons pour ça…). Avec la bande de la maison-tortue, il entend constituer une alternative ; même si, dans l’immédiat, leur préoccupation essentielle est la simple survie. Quel qu’en soit le prix.

 

Berlin. Justine est un ponte de Karmax (aha), un de ces grands consortiums qui refont surface, grâce au génie de son époux Peter Lerner. Mais d’autres consortiums, et notamment Zentech, sont à l’affût…

 

Évidemment, ces trois trames sont amenées à se rejoindre… plus ou moins bien. J’aurais en effet tendance à dire que le roman ne rattrape pas tous ses boulons, ce qui donne à l’occasion un léger sentiment d’artifice, et qu’il peut laisser un tantinet sur sa faim… Mais ce n’est après tout que le premier tome d’une trilogie, on verra bien si la suite permettra de revenir sur ces défauts.

 

Mais, au-delà de cette critique globale, le fait est que c’est pas mal du tout. On se laisse volontiers prendre par la plume débutante de Stéphane Beauverger (pas exempte de défauts dans ce premier roman, cela dit : il en fait parfois un peu trop, et a un usage déconcertant du point d’exclamation ; mais le style est dans l’ensemble fluide et intéressant), et c’est avec plaisir qu’on tourne les pages de ce Chromozone. Si certains pans de l’intrigue sont largement prévisibles, si le postulat technologique n'est pas spécialement intéressant ou inventif, on adhère pourtant à cet univers finalement plus original qu’il n’y paraît, et à ces personnages plutôt bien campés.

 

Avec ses défauts, Chromozone n’en est pas moins un roman de SF tout à fait recommandable, à la fois prenant et intelligent, et où fond et forme sont également travaillés. Certainement pas un chef-d’œuvre, mais néanmoins quelque chose de fort intéressant. L’émergence d’une « voix », très personnelle. Et c’est à bon droit que l’on pouvait voir en Stéphane Beauverger, à la seule lecture de Chromozone, un auteur « prometteur ».

On verra bientôt ce qu’il en est pour Les Noctivores.

CITRIQ

Commenter cet article

C
<br /> Le repli communautaire fait aussi penser à l'age de diamant de Neal Stephensen et ses phyles<br /> <br /> <br />
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E
Merci Nebal pour cette chronique sympathique. Je note cette référence pour une lecture future et je file de ce pas chez Arutha pour voir son point de vue.<br /> <br /> Côté Brunner, je te conseille le Troupeau aveugle... a faire froid dans le dos !
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A
A la grande époque (celle durant laquelle je ne lisais que de la sf) Brunner était mon numéro deux (derrière Dick). Tous à Zanzibar reste l'incontournable du monsieur. Mais il y a tout de même, il est vrai, deux ou trois petites autres choses de lui à découvrir (La ville est un échiquier, troupeau aveugle ...)
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S
Nebal a écrit : "La Schismatrice, ça me paraît un peu différent, par contre, dans la mesure où il y a bien deux grands groupes... ?"<br /> <br /> Pas tant que ça, selon moi, quand on y regarde d'un peu plus près. Certes, au début, il y a les mécanicistes et leurs adversaires (mais même au début, on voit qu'il existe déjà une caste de scientifiques rénégats,une mafia, des pirates, etc), mais au fil du roman, les blocs se fractionnent (à l'apparition des Investisseurs extra-terrestres, en fait), et des groupes d'expérimentation sociale in vivo se mettent à grouiller : l'essaim de Czarina, les Homards, la Clique de Minuit (je crois que c'est le bon nom, me souviens plus très bien), etc. Chacun de ces groupes prone une doctrine et une manière radicale d'envisager la post-humanité.<br /> <br /> Sinon : bonne lecture des "Noctivores" :)
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S
Arutha a écrit : "pour le repli communautaire il y a peut-être des choses à voir chez un Brunner"<br /> <br /> Et comment ! "L'Orbite déchiquetée", par exemple.<br /> Ou bien chez Sterling, dans "La Schismatrice".<br /> <br /> Deux références qui n'ont pas quitté mon cortex pendant que je travaillais sur "Chromozone", je le confesse volontiers ^^
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N
<br /> Brunner est décidément un auteur qu'il faudrait que je lise davantage (seulement Tous à Zanzibar jusque-là, honte sur moi...). Je note, je note.<br /> <br /> La Schismatrice, ça me paraît un peu différent, par contre, dans la mesure où il y a bien deux grands groupes... ?<br /> <br /> Bon, en attendant, j'attaque Les Noctivores, tiens.<br /> <br /> <br />
L
Lus les deux premiers tomes, j'ai beaucoup aimé, et j'attends le 3è tome en poche pour septembre ! Je frétille d'impatience !
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A
Je suis en plein dedans en ce moment (moitié du premier tome). Et je partage, grosso modo, ton point de vue : globalement original (pour le repli communautaire il y a peut-être des choses à voir chez un Brunner), écriture sympa, personnages complexes. Reste que mon intelligence étant très limitée, je n'ai pas tout compris au pourquoi du comment du chose. Entre autres Chromozone et les ersatz de communication basés sur les phéromones. Mais passons, le tout est intelligent et facile à lire.
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P
Septembre pour le tome 3. Content que ça t'ait plu.
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