"Le Faiseur d'histoire", de Stephen Fry
FRY (Stephen), Le Faiseur d’histoire, [Making History], traduit de l'anglais par Patrick Marcel, postface d’Axel O.D., Lyon, Les Moutons électriques, coll. La Bibliothèque voltaïque, [1996] 2009, 428 p.
« Thou shalt not question Stephen Fry. »
Ne serait-ce que parce que Stephen Fry sait tout faire. Surtout connu chez nous en tant qu’humoriste (A Bit of Fry & Laurie, Black Adder…) et acteur (je me souviens notamment de sa performance dans Oscar Wilde – le rôle de l’écrivain lui allait comme un gant, faut dire), il est aussi, entre autres, écrivain. Et même, dans le cas du Faiseur d’histoire, écrivain de science-fiction. Ce qui fait beaucoup pour un seul homme. Mais cet homme est le so british Stephen Fry ; autant dire une institution.
Le Faiseur d’histoire, à première vue, ne brille pas par l’originalité de sa trame. Jugez plutôt : le narrateur, Michael Young (P’tit Chiot pour les intimes), est un jeune doctorant en histoire à Cambridge, qui vient tout juste de boucler sa thèse, son Meisterwerk, une biographie du jeune Adolf Hitler.
Le battement d’aile d’un papillon fou l’amène un beau jour (enfin, « beau »… il se fait quand même incendier par son directeur et larguer par sa copine) à faire la rencontre du professeur Léo Zuckermann, physicien de son état, et accessoirement (ou pas) obsédé par la Shoah.
La suite coule de source : les deux hommes vont se mettre en tête de réécrire l’histoire, en débarrassant le XXe siècle de la figure gênante du Führer. Pas en l’assassinant, attention ; mais en l’empêchant de naître.
Mais, bien évidemment, l’univers uchronique généré par leurs actes ne satisfera pas vraiment leurs attentes…
Rien de bien surprenant à vue de nez. À la limite, on aurait presque envie de dire (et ce dès la jolie couverture, un tantinet putassière, cela dit) : « Encooooooore une uchronie sur les nazis ? Pfff… » Oui, mais voilà, cette uchronie est de Stephen Fry. Et la banalité du pitch n’empêche pas l’auteur de nous livrer un roman fort sympathique, divertissant, et intelligent.
Déjà, sans surprise, le roman est porté par un humour tout ce qu’il y a de britannique, tout en understatement et nonsense, et du meilleur effet. On sourit régulièrement, on éclate de rire de temps à autre ; on pense souvent, à la lecture du Faiseur d’histoire, au meilleur de Douglas Adams (j’ai d’ailleurs cru comprendre que Stephen Fry devait écrire une suite au Guide galactique… ?). Le roman est donc drôle, et léger ; un bon divertissement.
Mais il n’est pas que cela, et c’est ce qui fait tout l’intérêt de cette énième uchronie. Stephen Fry sait, à l’occasion, se montrer plus grave, et même touchant (si, si), sans faire dans le pathos presse-bouton pour autant, notamment avec les personnages de Léo Zuckermann et de Steve. Il sait également poser les bonnes questions ; sur l’histoire, notamment (la discipline et sa pratique, mais aussi le sujet et sa signification) ; ou encore sur les différences culturelles entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis ; sur la guerre et sur la justice, sur le politiquement correct et l’ordre moral, etc. Ce qui fait du Faiseur d’histoire un roman à la fois drôle, juste et intelligent.
En outre, Le Faiseur d’histoire est un roman fort bien conçu. Si la trame est convenue, si certains rebondissements (pas tous, cela dit) sont pour le moins téléphonés, le roman est cependant astucieux et réfléchi dans son déroulement, très fluide. Les scènes « d’action » (enfin, on se comprend…) adoptent d’ailleurs souvent une narration cinématographique, déconcertante au premier abord, mais finalement plutôt bien vue. Les dialogues, pour leur part, sont souvent savoureux, et les personnages tout à fait réussis. Et notamment le principal d’entre eux : le narrateur Michael Young. Distrait, maladroit, un tantinet prétentieux, un brin puant même, il est avant tout très humain, et l’on s’identifie à lui sans peine (parole de doctorant, hum…). Un personnage attachant, même dans ses pires accès de ridicule. Mais Léo Zuckermann est également une belle réussite, de même que, à vrai dire, tous les autres personnages du roman, le jeune Adi (largement fantasmé) inclus, dont on suit la vie un chapitre sur deux au début du roman.
Enfin, Le Faiseur d’histoire est un bon roman de SF : si l’uchronie ne brille pas par son inventivité, elle est cependant pertinente et maîtrisée, et le roman s’autorise même à l’occasion quelques touches dickiennes (et là, je ne parle pas uniquement du Maître du haut-château, même si c’est le premier titre qui vient en tête…) franchement sympathiques.
Alors, certes, Le Faiseur d’histoire ne révolutionne rien. Il ne brille pas de mille feux, n’a rien d’un chef-d’œuvre ou d’une lecture indispensable. Mais il se lit tout seul, avec un plaisir constant, et, ma foi, c’est déjà pas mal.
PS : Euh, j'allais oublier... Broumf : dans mon exemplaire, les pages 225 à 256 sont manquantes, tandis que les pages 257 à 288 sont présentes deux fois... Alors je ne sais pas si c'est général ou pas [EDIT : a priori, non. Ouf.], mais au cas où, faisez gaffe, les gens... Hum, hum...
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