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"Gagner la guerre", de Jean-Philippe Jaworski

Publié le par Nébal


JAWORSKI (Jean-Philippe), Gagner la guerre. Récit du Vieux Royaume
, Lyon, Les Moutons électriques, coll. La Bibliothèque voltaïque, 2009, 684 p.

 

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 55 (pp. 78-80).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…
 

 

EDIT : Hop :

 

 Jean-Philippe Jaworski avait gagné le prix du Cafard cosmique 2008 pour son premier ouvrage, Janua Vera, excellent recueil de nouvelles de fantasy réaliste publié aux Moutons électriques (et récemment repris en Folio SF). Le volume, d’une richesse impressionnante et d’une qualité d’écriture remarquable pour une première parution, nous contait avec brio quelques récits du Vieux Royaume, un univers puisant avec talent dans l’Europe médiévale et de la Renaissance, qui autorisait bien des développements ultérieurs. Et c’est avec un plaisir certain que l’on retrouve aujourd’hui, avec Gagner la guerre, ce cadre fascinant et, mieux encore, un héros singulier et attachant en la personne de Don Benvenuto Gesufal, assassin de son état, superbe fripouille que l’on avait déjà eu l’occasion de suivre dans la longue nouvelle intitulée « Mauvaise Donne », dont le roman constitue bien une suite (quand bien même il se lit parfaitement de manière indépendante).

 

 Et pour son premier roman, raconté à la première personne par ladite canaille, Jean-Philippe Jaworski et les Moutons électriques ont vu les choses en grand : Gagner la guerre est un énorme pavé de près de 700 pages denses et resserrées ; pas exactement le genre de roman que l’on plie en une soirée… Notons au passage que c’est un très bel objet, orné d’une superbe couverture d’Arnaud Cremet… mais qu’il n’est guère d’un maniement aisé.

 

 Nous y retrouvons le très beau cadre de Ciudalia, Cité-État faisant irrésistiblement penser à Venise, et plus largement à l’Italie de la Renaissance, celle de Machiavel et de Guichardin, avec quelques emprunts à la Rome antique à l’occasion. Il s’agit bien d’un monde de fantasy, mais notons d’ores et déjà que, de même que dans Janua Vera, le surnaturel et le fantastique y sont rares ; les sorciers, s’il y en a, ne courent pas les rues ; quand aux elfes et aux nains, s’ils existent, ils sont peu nombreux et on ne les évoque qu’en passant, ou presque. Gagner la guerre relève de la fantasy la plus réaliste, et aussi, d’une certaine manière, de la « fantasy de mœurs », à l’instar du très bon À la pointe de l’épée d’Ellen Kushner.

 

Mais posons le point de départ. Depuis « Mauvaise Donne », Don Benvenuto est devenu l’assassin personnel et le chef des renseignements de la plus puissante autorité politique de Ciudalia, le podestat Leonide Ducatore. Belle ascension, pour cet homme de la plus basse extraction. Alors que Ciudalia vient de remporter une victoire décisive dans la guerre contre Ressine (royaume qui évoque tout naturellement l’Empire ottoman, quand bien même son « Sublime Souverain » porte le titre persan de Chah), Don Benvenuto, qui n’a guère le pied marin, se voit confier une mission de la plus haute importance… Mais l’on n’en dira pas davantage, de peur de déflorer prématurément l’intrigue haute en couleurs et riche en rebondissements de ce passionnant pavé…

 

Les complots politiques capillotractés abondent en effet tout au long de ce roman exigeant mais irrésistiblement prenant ; c’est qu’il s’agit, au-delà des seules batailles navales, de gagner enfin la guerre contre Ressine, mais aussi celle, plus feutrée en apparence, qui sévit à Ciudalia même, entre les différentes familles sénatoriales, désireuses de s’emparer du pouvoir suprême. Bref, Don Benvenuto, l’assassin devenu peu ou prou personnage public, aura du pain sur la planche, et les ennuis ne cesseront de l’accabler ; il est vrai que ce zélé serviteur, le cas échéant, ferait un bouc émissaire adéquat…

 

Si la trame est d’une complexité rare, elle reste cependant toujours lisible, servie par le style à la fois coloré et fluide de l’auteur, qui fait preuve d’une maîtrise impressionnante pour un premier roman. En effet, si l’on peut bien tiquer ici ou là sur quelques brutaux changements de registre (les insultes et jurons, notamment, sonnent très « modernes », ce que l’on peut regretter), la plume de Jean-Philippe Jaworski est le plus souvent délicieuse de cynisme et d’efficacité, et emporte facilement le lecteur dans son univers intriguant et dans les ramifications les plus obscures de la politique ciudalienne. Les morceaux de bravoure, par ailleurs, ne manquent pas, et l’auteur se montre aussi à l’aise dans les scènes d’action débridées que dans les tractations politiques les plus complexes, dans les descriptions savoureuses que dans les méditations introspectives.

 

Quel plaisir, enfin, de lire un pavé de fantasy dans lequel rien, absolument rien, ne se montre gratuit ! Là où la mode est hélas à la « big commercial fantasy » s’étendant sur des tomes et des tomes en dilatant excessivement l’action et en faisant du tirage à la ligne un art, Jean-Philippe Jaworski, pour sa part, nous livre en un roman unique et prenant (à peine si l’on peut noter une brève baisse de régime passée environ la moitié du récit) une saga entière dans laquelle rien n’est laissé au hasard, et tout se trouve à sa juste place (presque trop, à la limite…). Impossible de s’ennuyer dans ce pavé, qui demande – mais obtient sans souci – une concentration de tous les instants. L’auteur a su puiser aux meilleures sources de la fantasy et du roman-feuilleton une puissance et une efficacité narratives tout simplement bluffantes.

 

On peut bien le dire : avec Gagner la guerre, Jean-Philippe Jaworski a passé haut la main la délicate épreuve du passage au premier roman. Surpassant toutes les attentes, pourtant élevées, que l’on pouvait placer en lui depuis Janua Vera, il nous fournit tout simplement, et de loin, un des meilleurs romans de ce début d’année 2009. Aussi ne saurait-on véritablement le qualifier, comme il est d’usage, d’auteur « prometteur » : avec Janua Vera et Gagner la guerre, Jean-Philippe Jaworski a déjà tenu bien des promesses, et se pose d’entrée de jeu comme l’un des meilleurs auteurs français de fantasy à l’heure actuelle. Rien de moins, et peut-être plus encore.

CITRIQ

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A
<br /> Je ne les aie pas lu (beaucoup entendu parlé, surtout le premier). J'aurais dû écrire : meilleur moment de lecture francophone !<br /> <br /> A.C. de Haenne<br /> <br /> <br />
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N
<br /> <br /> Je te les recommande franchement, c'est trop d'la boulette, comme c'est qu'y disent les djeuns. <br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Je peux te dire, maintenant que j'ai capté que Bertrand Bonnet et Nebal ne forme qu'une seule entité, que ta critique parue dans le Bifrost a grandement contribué à mon achat (à 28€, il était loin<br /> d'être compulsif) de cet œuvre à mon avis indispensable. Ça a été pour moi mon meilleur moment de lecture de 2009 ! J'en ai moi-même fait une critique sur la Yozone...<br /> <br /> A.C. de Haenne<br /> <br /> <br />
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N
<br /> <br /> Ah ben heureux si ça a pu te décider et d'autant plus heureux si ça ne t'a pas déçu ensuite (parce que j'avoue avoir encore cette crainte, des fois...) ! <br /> <br /> <br /> C'est vrai que j'en fais moi aussi un de mes meilleurs moments de lecture 2009. Mais peut-être pas le meilleur, parce qu'il y avait tout de même aussi World War Z et<br /> Océanique...<br /> <br /> <br /> <br />