"Le Seigneur de Samarcande", de Robert E. Howard
HOWARD (Robert E.), Le Seigneur de Samarcande, illustrations de Stéphane Collignon, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Patrice Louinet, Paris, Bragelonne, 2009, 574 p.
Après les intégrales de « Conan » et de « Solomon Kane », Bragelonne poursuit aujourd’hui son édition des œuvres howardiennes avec Le Seigneur de Samarcande, gros recueil de récits « historiques » et « orientaux » dénués du moindre élément fantastique. On change un peu la donne, donc, mais avec des aventures immédiatement antérieures, voire contemporaines, de la création de Conan, et qui ne sont pas sans annoncer à l’occasion le plus fameux des héros de l’auteur texan.
Des textes, aussi, et c’est sans doute là un des plus gros défauts de ce recueil – on y reviendra –, qui se montrent assez répétitifs, reposant systématiquement sur un même canevas : la confrontation, souvent – mais pas toujours – lors des croisades, d’un héros « barbare » et occidental (généralement Irlandais ou Normand… ou les deux) au monde oriental voire extrême-oriental, sous sa forme « civilisée » et/ou « barbare ». Ce schéma se retrouve dans la plupart des nouvelles de ce recueil, ce qui peut lasser un brin… Mais il n’en est pas moins – au contraire, même – révélateur des intentions d’Howard, et, si l’on ose dire, de sa « philosophie ». Là encore, ces nouvelles présentent ainsi bon nombre de traits que l’on retrouvera dans les aventures de Conan le Cimmérien.
Mais c’est déjà l’occasion pour Howard de créer un nouveau personnage, assez réussi, et qui sera d’une grande influence sur sa production ultérieure : le Normand-Gaël Cormac FitzGeoffrey, héros des deux premières aventures de ce recueil (et d’une nouvelle inachevée en appendice, franchement ratée…). Le volume s’ouvre ainsi, après une intéressante « Introduction » de Patrice Louinet (pp. 9-14), sur « Les Faucons d’Outremer » (pp. 15-50), la première apparition du personnage : une aventure très classique dans le fond – on pense énormément à Conan –, mais assez efficace, portée par ce beau personnage de sempiternel banni à la morale douteuse et par un style assez chatoyant (caractéristique de l’ensemble de ces nouvelles, d’ailleurs). Si l’histoire en elle-même n’a rien de bien singulier, on notera tout de même ce beau final, confrontant le « barbare » Cormac FitzGeoffrey au chevaleresque Saladin, de manière très révélatrice.
La sauce prend moins bien avec la deuxième et dernière aventure achevée de Cormac FitzGeoffrey, « Le Sang de Belshazzar » (pp. 53-89). Une nouvelle étrange, dotée d’une belle ambiance (superbe entrée en matière, d’ailleurs : ce recueil aura maintes fois l’occasion de démontrer que Howard était un maître pour ce qui est de l’introduction de ses textes), avec même une étonnante petite touche lovecraftienne dans un bref passage, qui tranche sur le fond historique du recueil ; hélas, le récit se montre excessivement confus et verbeux, et ne convainc donc en définitive pas. On notera cependant que cette nouvelle est la première du recueil à faire figurer un flamboyant personnage mongol, ce qui sera souvent le cas par la suite.
Exit Cormac Fitzgeoffrey, les aventures suivantes se focaliseront chaque fois sur un héros « différent » (mais en fait très proche dans l’esprit). Le recueil se poursuit donc avec « Les Épées rouges de Cathay la Noire » (pp. 91-127), une nouvelle écrite en collaboration (limitée, semble-t-il) avec Tevis Clyde Smith. Le héros « barbare » se trouve cette fois confronté à rien de moins que le grand Gengis Khan en personne ! Un récit assez correct dans l’ensemble, riche en belles scènes de bataille… mais dont la fin se montre franchement peu crédible, tout en donnant à l’ensemble de la nouvelle une fâcheuse allure de « prologue » laissé en plan. Dommage…
On passe ensuite à « Les Cavaliers de la tempête » (pp. 129-177), nouveau récit de croisade, dont le héros est cette fois Cahal, le « roi » d’Irlande. Une assez bonne nouvelle, transcendée une fois encore par une belle figure historique – celle de Baïbars, cette fois –, mais dont la fin m’a paru un brin gâchée par un rebondissement plutôt grotesque…
Nouveau récit mongol ensuite avec « Le Seigneur de Samarcande » (pp. 179-222), focalisé cette fois sur la charismatique figure de Tamerlan. Mais cela n’empêche pas le récit de se montrer un peu bancal, avec là encore une fin plus ou moins convaincante, entre grotesque et tragique.
Suit une nouvelle assez singulière dans ce recueil, puisque « La Route d’Azraël » (pp. 223-269) est la seule du volume à être écrite à la première personne (par un narrateur oriental, d’ailleurs). Sur le strict plan de l’écriture, c’est d’ailleurs incontestablement une belle réussite… mais l’histoire se montre totalement délirante, bien trop pour convaincre le lecteur.
Après quoi « Le Lion de Tibériade » (pp. 271-306) commence à franchement lasser : encore une « princesse » à sauver… Un récit bancal et maladroit dans sa dimension tragique, qui ne convainc vraiment pas. On passe.
… et on fait bien, puisque suit immédiatement ce qui constitue à mes yeux le point d’orgue du recueil, avec « L’Ombre du vautour » (pp. 309-357), unique apparition du personnage de Sonya la Rousse, personnage secondaire mais flamboyant (qui n’a décidément rien à voir avec ce qu’en ont fait les comics, sans parler du, hum, « cinéma »). Mais, au-delà de cette anecdote, ce récit du siège de Vienne par Soliman le Magnifique est de toute façon une vraie réussite, portée par de belles scènes de bataille, un final chatoyant et grandiloquent (qui m’a fait penser à Salammbô, si, si) et, ce qui ne gâche rien, pas mal d’humour… À mes yeux la meilleure nouvelle du volume, et de loin.
Suit « La Voie des aigles » (pp. 359-397), un récit « cosaque » qui laisse un peu sur sa faim… Il y a de bons moments, et la description de la tribu est riche, mais la chute, franchement too much, gâche un peu tout. On passe.
On ne s’attardera guère, de même, sur « Des faucons sur l’Égypte » (pp. 399-444), nouvelle qui débute très bien, mais qui sombre ensuite dans un classicisme franchement lassant, témoignant encore une fois du caractère très répétitif de ce recueil.
La « dernière » nouvelle, « Les Portes de l’empire » (pp. 445-488), se montre un peu plus convaincante, notamment du fait de son héros très réussi, le soiffard et menteur Giles Hobson. Là encore, un peu d’humour ne gâche rien… mais la fin se montre un chouia frustrante.
Suivent des appendices d’intérêt variable. On ne s’attardera pas sur les « Textes de jeunesse » (pp. 490-494), totalement dénués d’intérêt pour le lecteur, et pas davantage, donc, sur la nouvelle inachevée de Cormac FitzGeoffrey (pp. 495-518) et son synopsis (pp. 519-520). Suivent trois textes inachevés, sans titre. Le premier (p. 521) n’est qu’une brève mais jolie description. Le deuxième (pp. 522-541) est un nouveau récit de croisade, assez correct. Le dernier, enfin (pp. 542-557), séduit par son cadre antique original.
Comme d’habitude, le recueil s’achève sur une passionnante postface de Patrice Louinet (« De Jérusalem à Samarcande : les récits historiques de Robert E. Howard », pp. 558-573), dont la lecture se montre très éclairante.
Mais, au final, on ressort donc de ce recueil avec une impression mitigée : les textes (qui débutent généralement très bien… et se finissent moins heureusement) oscillent entre le bon et le médiocre, avec quelques sursauts d’excellence. Mais, surtout, le recueil se montre extrêmement répétitif et, si l’on peut en recommander la lecture, je suggérerais pour ma part d’y aller par petits bouts, de picorer de temps à autre, sous peine d’overdose.
Cela dit, on ne remerciera jamais assez Patrice Louinet et Bragelonne pour cette édition des œuvres howardiennes qui ne s’arrête pas au seul « Conan ». Devrait suivre un volume consacré à Bran Mak Morn. M’étonnerait pas qu’il atterrisse dans ma pile à lire, celui-là, malgré tout…
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