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Alan Moore, tisser l'invisible, de Julien Bétan (dir.)

Publié le par Nébal

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BÉTAN (Julien) (dir.), Alan Moore, tisser l’invisible, Lyon, Les Moutons électriques, coll. Bibliothèque des miroirs – BD, 2010, 307 p.

 

Cette chronique se trouvait originellement sur le beau site du Cafard cosmique...

 

ALAN MOORE EST DIEU. Ceci étant posé, rien de plus naturel que les Moutons électriques consacrent un volume de leur « Bibliothèque des miroirs », dont tout un pan est consacré aux auteurs de BD, au génial scénariste (entre autres) britannique. Mais, direz-vous, il y avait déjà L’Hypothèse du lézard ? Très bonne remarque, ce fut même un des premiers titres de l’éditeur lyonnais. Et, autant le dire de suite pour les possesseurs du susdit « quasiment épuisé », les ovins survoltés, écolos par nature, ont fait dans le recyclage, et cet Alan Moore, tisser l’invisible en est largement une réédition « augmentée », moins la nouvelle titre (il est vrai que ce n’était pas ce que Moore avait fait de mieux). Une bonne part du matériel de ce « nouvel » ouvrage provient en effet de « l’ancien »… Ce qui a de quoi faire grogner un peu, et friserait l’escroquerie, n’était l’avant-propos de Julien Bétan, qui en fait mention d’emblée. Cette précision nécessaire ayant été apportée, voyons un peu ce que contient ce beau volume (mais en noir et blanc, pourrions-nous bourgeoisement regretter… surtout après les chatoyantes quatre premières pages).

 

Où l’on commence comme de bien entendu par un très long (une centaine de pages, soit le tiers du volume) et, disons-le tout de go, très bon article biographique de François Peneaud & Jean-Paul Jennequin (« Panorama d’une œuvre ») ; ici, vraiment rien à redire, c’est de la très belle ouvrage. Tous, y compris ceux qui avaient l’outrecuidance de prétendre s’y connaître un peu, apprendront pas mal de choses dans ce passionnant papier, très exhaustif, qui envisage l’homme Alan Moore sous toutes ses coutures et son œuvre sous tous ses aspects. On y parle bien entendu beaucoup de comics, mais aussi de littérature, de magie, de musique, bref, de plein de choses, et c’est tout à fait intéressant.

 

Passée cette gouleyante entrée en matière, il est possible de distinguer trois types de documents dans cet Alan Moore, tisser l’invisible : des entretiens avec le Maître, des témoignages divers et variés, et enfin des études ou articles de fond.

 

Commençons par les entretiens. Le premier est dû à Johan Scipion (« Ainsi parlait Alan ») ; assez bref, il est essentiellement focalisé sur From Hell, et n’est que moyennement intéressant. Celui de Sara Doke (« C’est presque comme le sexe », seul entretien qui ne figurait pas déjà dans L’Hypothèse du lézard) est déjà plus riche et instructif, d’autant que Moore s’y montre plus enjoué et bavard. Mais on appréciera également celui de Laurent Queyssi (« Au coin du feu avec Oncle Al »), qui aborde bon nombre de sujets du plus grand intérêt. Cela dit, ces entretiens, pour nous apporter la parole divine, ne sont clairement pas le point fort de l’ouvrage…

 

Et les témoignages ne le sont pas davantage. La plupart du temps, ils sont bien trop courts pour apprendre quoi que ce soit au lecteur ; dans le cas de l’intervention d’Eddie Campbell (« En direct de l’Enfer », un bien trop bref entretien de Johan Scipion), c’est particulièrement frustrant… Michael Moorcock (« Hommage à la corne d’abondance ») et Paul Di Filippo (« Top Cop », sur sa poursuite de Top 10) ne se livrent guère qu’à un cirage de pompes effréné, bien compréhensible, certes, mais qui n’apporte pas grand-chose… Une exception, mais de taille, heureusement : le passionnant témoignage de Stephen R. Bissette (« Monsieur Moore et moi »), incomparablement plus long que les autres, et très riche d’enseignements sur sa collaboration avec le scénariste sur Swamp Thing ; il semblerait pourtant qu’il s’agisse d’une « version abrégée », à en croire une note en fin de document (mais pourquoi donc ?). Quoi qu’il en soit, on trouvait déjà tout ça dans L’Hypothèse du lézard

 

Restent donc les articles de fond, et c’est essentiellement ici qu’on trouvera du « neuf ». Ne reste ici de L’Hypothèse du lézard (deux autres articles ont été « supprimés » pour des raisons qu’explique le directeur d’ouvrage dans son avant-propos) que l’excellent article de Pascal Blatter « Lumineuse redéfinition du super-héros », consacré à Suprême : cet anti-Watchmen y est très joliment analysé.

 

David Camus a rédigé deux articles : le premier, « L’Art du scénario », est d’un intérêt très limité, pour ne pas dire nul ; en commentant le déjà ancien – entendons par-là antérieur aux plus grandes réussites de l’auteur – Alan Moore’s Writing for Comics, il ne se livre guère qu’à une paraphrase vide de sens, quand il n’enfonce pas des portes ouvertes. On préfèrera, sur le mode de la présentation enthousiaste, son article sur Top 10 « Métro, boulot, super-héros (Banalité du super-héros dans Top 10 ?) », même s’il est parfois critiquable sur le fond.

 

Landry Noblet, avec « Killing Joke, Watchmen et le poids du passé », se penche en fait surtout sur la célèbre confrontation entre Batman et le Joker. C’est assez intéressant… mais il n’en reste pas moins, et il en est bien conscient, que Killing Joke est une œuvre de Moore mineure, qu’il a plus ou moins reniée, ce qui réduit quelque peu la portée de l’article.

 

On s’intéresse ensuite à la fabuleuse BD pornographique Filles perdues au travers d’un article d’Alexandre Mare : « « Gentil coquelicot, Mesdames » (Quelques suggestions à propos de Lost Girls) ». C’est dans l’ensemble très pertinent, et plutôt convaincant ; un bel article, pour un très bel ouvrage.

 

Guillaume Laborie, avec « Des mondes sans dieux ni maîtres ? », s’intéresse à la politique dans l’œuvre d’Alan Moore. Un article assez déconcertant : les passages consacrés à Swedenborg sont plus ou moins convaincants… mais surtout, parler de politique chez Moore en ne consacrant que cinq lignes à Watchmen – pour ne citer qu’un exemple frappant…–, c’est tout de même un joli tour de force.

 

On poursuit dans la voie des articles étranges avec Anthony Lioi et « La Cité radieuse (New York en tant qu’écotopie dans Promethea, Livre V) ». Pointu ! Sauf qu’on se demande un peu, tout au long de l’article, ce que l’écologie vient faire là-dedans ; et les développements sur Le Corbusier, s’ils sont intéressants, paraissent eux aussi un peu hors-sujet.

 

Reste enfin le déconcertant – et un brin pédant – « Jack l’Éventreur dans la planète Mars (Références littéraires et citation du réel chez Alan Moore) » de Harry Morgan & Manuel Hirtz. Déconcertant du fait de sa tendance – blasphématoire ! – à cracher dans la soupe. Certes, on évite ainsi l’écueil de l’hagiographie. Mais était-ce bien à propos pour autant ?

 

Au passage, on pourra regretter l’absence de véritables articles de fond consacrés pleinement à Watchmen, V pour Vendetta, From Hell et La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, ces piliers de l’œuvre de Moore, qui, finalement ne sont guère évoqués qu’en passant (et encore ! tout juste pour La Ligue…). Comme si ces œuvres étaient trop connues pour mériter qu’on en parle ? C’est là une position éminement critiquable. De même, les autres activités de Moore en dehors de la BD ne sont finalement évoquées qu’au cours de l’article biographique, et parfois dans les entretiens ; là encore, il y a peut-être une lacune à combler…

 

Reste néanmoins un bel ouvrage, qui se lit agréablement. L’article biographique à lui seul rattrape bien des défauts, et le témoignage de Stephen R. Bissette, de même que certains articles, valent le détour. Maintenant, si vous avez déjà L’Hypothèse du lézard, à moins d’être atteint de collectionnite aiguë, sans doute feriez-vous mieux de réfléchir à deux fois avant d’investir dans cet ouvrage…

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