"Allez les mages !", de Terry Pratchett
PRATCHETT (Terry), Allez les mages !, [Unseen Academicals], traduit de l’anglais par Patrick Couton, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du cygne – Fantasy burlesque, [2009] 2010, 525 p.
Le football étant un sport parfaitement crétin (pléonasme ?), joué par des débiles uniquement surpassés en débilité par ceux qui les supportent, il était tout naturel qu’il débarque un jour sur le Disque-monde de Terry Pratchett. C’est chose faite avec cet Allez les mages ! (sale titre), roman touffu qui se paye plus d’une cible : en effet, la haute-couture y passe aussi, de même que, au hasard, la philosophie allemande ou le racisme. C’est un peu, d’ailleurs, et autant le dire de suite, le problème de ce 33e (!) tome des « Annales du Disque-monde » : une certaine tendance à la dispersion, qui explique une mise en place assez longue et pas toujours très convaincante, avant que les choses ne deviennent un peu plus claires.
Il y a donc le football. Pardon : le fouteballe (ou foute-la-balle). Une vieille tradition qui a bien dégénéré. À Ankh-Morpork, c’est devenu le règne de la bouscule (autant dire des supporters, et donc des hooligans). Et a priori, il n’y a pas spécialement de raisons pour que ça change. Sauf que l’inénarrable Cogite Stibon découvre un jour que le fouteballe était une tradition de l’Université de l’Invisible également, tradition oubliée depuis quelque temps ; sauf qu’il serait temps de s’en rappeler, dans la mesure où un legs important fait à l’Université dépend légalement de l’existence d’une équipe de fouteballe de l’UI. Il s’agit donc de s’y mettre, et fissa.
Et étrangement, en gros au même moment, le Patricien Vétérini (toujours aussi classe, voire plus que jamais) (même bourré), qui s’était jusque-là fait remarquer par son aversion pour le fouteballe, semble y trouver un nouvel intérêt…
Mais nous suivrons cette histoire essentiellement par le prisme de quatre nouveaux personnages (ce qui participe également de la longue mise en place que j’évoquais plus haut) : il y a tout d’abord Trevor Probable, fils de David Probable, une ancienne légende du fouteballe (pour avoir marqué quatre buts dans sa carrière avant de mourir sur le terrain) (oui, il y a un peu de Blood Bowl dans le fouteballe version Disque-monde) ; un raté complet, mais qui parvient à obtenir de jolis résultats en jouant avec une boite de conserve.
Il y a aussi, en provenance directe de la cuisine de nuit de l’Université de l’Invisible, la caractérielle Glenda, proclamée « reine des tourtes », et son amie d’enfance Juliette (…), d’une beauté incomparable, mais complètement stupide. Ces deux-là vont osciller entre plusieurs univers bien codifiés, de la bouscule à la mode (naine) (qui n’irrite pas), avec l’UI et sa cuisine pour port d’attache.
Enfin et peut-être surtout, il y a monsieur Daingue. Un gobelin (tiens, une nouvelle espèce). Relégué dans les bas-fonds de l’Université de l’Invisible pour des raisons mystérieuses, alors qu’il est à l’évidence d’une intelligence et d’une bonne volonté rares, qui lui vaudraient en temps normal bien du mérite. Mais il y a, voyez-vous, une histoire de naturel qui revient au canot… ou pas.
Autour de ce quatuor de nouvelles têtes, nous retrouvons bien sûr bon nombre de personnages classiques d’Ankh-Morpork, et de l’UI en premier lieu. Notamment – autre histoire qui vient se greffer sur un fond déjà passablement complexe – nous aurons l’occasion d’assister à la rivalité explosive entre l’archichancelier Ridculle et son ancien doyen, devenu archichancelier de l’université de Jusseuil, à Pseudopolis…
Et au milieu de tout ça, il y a le fouteballe. Nécessairement. Et qui dépasse nécessairement le cadre du fouteballe.
Le roman, donc, est plutôt long à démarrer. J’avoue m’être passablement ennuyé un bon moment, et avoir craint que cet énième volume des « Annales du Disque-monde » ne se révèle plutôt faible, comme un certain nombre des plus récents. Pratchett veut y mettre beaucoup de choses à la fois, et, pendant un certain temps, on ne sait pas trop dans quelle direction on va.
Mais, finalement, passée cette longue mise en place, Allez les mages ! se révèle plutôt une réussite. Notamment grâce à une caricature en définitive très bien vue du fouteballe et de tout ce qui gravite autour, et du fait des apports intéressants que sont Glenda et surtout monsieur Daingue (entre autres nouvelles figures), personnages très chouettes, ma foi.
Monsieur Daingue, à bien des égards, est le véritable héros de ce roman. On pouvait craindre, au début, qu’il ne se contente de figurer une nouvelle espèce, sans autre apport véritable qu’un retournement des clichés concernant les gobelins. Mais c’est pourtant un personnage très attachant (il fait tout pour ça, faut dire), et qui apporte vraiment quelque chose au roman.
Par ailleurs – et ce n’était pas forcément le cas, loin de là, pour certains des derniers romans du cycle, en « adulte » comme en « jeunesse » –, si l’on passe sur quelques gags lourdingues, voire scato, Allez les mages ! contient quelques passages fort drôles (je pense notamment au banquet de l’UI et au match final, tendu comme c’est pas permis), et, avouons-le, ça fait quand même du bien de se marrer avec Terry Pratchett (d’autant qu’on n’en aura semble-t-il plus très souvent l’occasion, mais c’est une autre histoire…).
Un roman double, donc. Il faut survivre aux premières pages (longues et pas très enthousiasmantes) pour arriver vraiment à ce qui fait le sel de ce roman, et en tirer un bilan plutôt positif, voire aller jusqu’à parler de bon cru. Ce n’est donc pas une réussite totale, mais on a lu bien pire dans le cycle, et on a quelques occasions fort réjouissantes de se fendre la gueule. Après tout, c’était le but, non ?
Aha.
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