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"Anti-glace", de Stephen Baxter

Publié le par Nébal

Anti-glace.jpg

 

 

BAXTER (Stephen), Anti-glace, [Anti-Ice], traduit de l’anglais par Pierre-Paul Durastanti, Saint Mammès, Le Bélial’, [1993] 2014, 270 p.

 

Tiens, ça faisait un certain temps que j’avais pas chroniqué un roman de SF, moi… et je le regrette un peu. Je n’ai guère pu m’y adonner ces derniers temps pour tout un tas de raisons, et je ressens comme un manque (si). Aussi, libéré des tolkieneries, et avant de me mettre au programme que je me suis moi-même imposé pour cet été qui passe bien vite, j’ai voulu m’accorder une friandise avec ce Stephen Baxter « nouveau ». Enfin, « nouveau », pas vraiment… Ce roman date en effet de 1993, mais n’a connu l’heur d’une traduction que tout récemment. Mais on n’est pas à ça près, n’est-ce pas ? Surtout quand, à l’instar de votre serviteur, et ainsi que vous avez peut-être pu le constater si vous avez l’étrange idée de parcourir ce blog régulièrement, on apprécie beaucoup Stephen Baxter.

 

Anti-glace n’est cependant pas un Baxter comme les autres. Rendant hommage au roman scientifique à la H.G. Wells et probablement plus encore (étrangement ou pas) à la Jules Verne, l’auteur anglais se livre en effet ici à l’exercice du pastiche steampunk. Certes, on avait déjà lu des choses dans ce goût-là chez lui avec l’excellent, l’indispensable même, Les Vaisseaux du temps, superbe et improbable « suite » à La Machine à explorer le temps, qui fut le premier roman de l’auteur que j’eus le bonheur de lire, et reste un de mes préférés. Mais le ton est cependant ici assez différent… pour le meilleur et pour le pire.

 

Nous sommes en 1870, sur une Terre où l’Empire britannique est plus puissant que jamais. Grâce à la découverte en Antarctique d’une étrange matière (qui a tendance à faire BOUM !) baptisée anti-glace, la technologie a connu un essor incroyable. On doit ainsi au professeur Traveller – ingénieur génial (et donc excentrique) qui emprunte beaucoup à nombre de héros de Verne – la mise en application de cette étrange substance dans des appareils divers, du terrible canon qui a mis fin à la guerre de Crimée au Phaéton expérimental, appareil volant destiné à un bien improbable voyage (dont je ne révèlerai pas ici la destination, même si, bon, hein, bon, je ne pense tromper personne…).

 

Et puis il y a le Prince Albert, immense et incroyable paquebot terrestre qui doit être lancé en Belgique. Se rend sur place notre narrateur, le jeune Ned Vicars, diplomate de pacotille, passablement couillon (en bon témoin vernien là encore), ce qui explique sans doute pour une part son héroïsme latent, accompagné du journaliste so British Holden. Même si, à vrai dire, c’est plus le joli minois d’une Française aussi ravissante qu’infecte qui attire notre héros sur place, que la perspective d’assister à un énième miracle de l’anti-glace. Las, ce voyage ne va guère se passer comme prévu, et, alors que le continent sombre dans la terrible guerre opposant la France à la Prusse, Vicars, Holden, Traveller et son valet (on ne peut plus vernien, décidément) Pocket vont se retrouver contraints à quitter de manière impromptue le théâtre des festivités…

 

J’ai le sentiment que ce bref résumé du début d’Anti-glace traduit déjà assez tant ce qui fait la force du roman de Stephen Baxter que ce qui fait sa faiblesse. En effet, on sent que l’auteur s’amuse beaucoup dans cet exercice du pastiche (assez lourd sur le pur plan du style, cela dit) et nous régale ainsi de joyeusetés steampunk diverses et variées, à propos desquelles il disserte à loisir, mais non sans un certain humour parfaitement réjouissant (qui n’empêche pas le roman de se montrer en définitive fort grave, lors d’une conclusion véritablement excellente – Baxter est décidément quelqu’un qui sait fort bien finir ses romans, à grand renfort d’images puissantes et de « sense of wonder » teinté d’horreur pure). Cependant, on est vite convaincu d’une chose : c’est que le roman est fait, du coup, de bric et de broc, enchaînant les tableaux amusants (ou tragiques sur le tard, donc) au prétexte d’une trame insipide, qui ne tient pas la route deux secondes.

 

D’où ce bilan contrasté : j’avais entendu un peu tous les sons de cloche à propos de ce roman, du meilleur au pire, mais ne peux pour ma part qu’adopter un jugement mitigé (ce qui équivaut sans doute, pour cet auteur que j’apprécie d’habitude énormément, à dire qu’Anti-glace est une œuvre franchement mineure, ce qui peut expliquer sa traduction si tardive). Ça fourmille en effet de bonnes idées, ça contient quelques images fortes typiques de l’auteur, c’est drôle et enlevé avant de devenir grave et même déprimant, c’est à n’en pas douter intelligent (l’occasion, notamment, de s’interroger sur l’impérialisme sous toutes ses formes, culturel, technologique, militaire… ce qui n’est bien évidemment pas innocent, l’empire britannique prenant ici la place des Etats-Unis), mais ça ne tient pas vraiment la route. Les chapitres s’enchaînent sans queue ni tête, leur seule « justification » tenant dans la promesse de nouvelles dissertations façon roman scientifique (et, si Baxter n’écrit ici « pas très bien », il aime de toute évidence beaucoup s’entendre deviser doctement…) ; on ne croit pas deux secondes à « l’histoire » (un bien grand mot…) vécue par Vicars et ses comparses, « McGuffin » trop gros pour être honnête, et qui donne une impression de mal foutu pour ne pas dire de bâclé. Ce qui est tout de même un brin fâcheux.

 

Cela ne fait pas d’Anti-glace un mauvais roman, et j’ai passé un bon moment à le lire, me régalant régulièrement des fascinantes trouvailles de l’auteur et frissonnant d’horreur devant cette conclusion puissante qui ne saurait laisser indifférent (même si son « prétexte », là encore, tient peu ou prou du foutage de gueule). Mais on est clairement loin ici des meilleurs Baxter (disons Les Vaisseaux du temps, donc, Voyage, Évolution et Exultant). Un roman mineur : pas désagréable, mais quand même mal branlé. Je parlais plus haut (en usant d’une métaphore culinaire convenue et par là même interdite, on me l’a fait remarquer, et c’est bien pourquoi j’insiste) de « friandise ». Ben oui, c’est ça, Anti-glace : une sorte de Haribo steampunk ; c’est sucré, et on tape dedans volontiers, mais on s’interroge en même temps quant à savoir si c’est effectivement bon, ou carrément de mauvais goût. Un plaisir coupable, qui ne prête pas à conséquence. Et de la part de Stephen Baxter, que je considère sans aucun doute comme l’un des plus brillants auteurs de SF du moment, c’est donc un peu décevant. Pas grave : on s’en remettra, et ça remplit quand même son office.

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