"Bardo or not Bardo", d'Antoine Volodine
VOLODINE (Antoine), Bardo or not Bardo, Paris, Seuil, coll. Points, [2004] 2005, 233 p.
Nouvelle lecture d'Antoine Volodine. Je n'ai hélas pas pu assister à la rencontre du 1er octobre à la Librairie Charybde, mais ce n'était certes pas une raison pour interrompre la découverte de cet auteur aussi excellent qu'hors-normes.
Après le fabuleux Des anges mineurs, j'ai donc continué de suivre les précieux conseils de Léo Henry & Jacques Mucchielli en enchaînant sur le très différent Bardo or not Bardo. Un « roman », nous dit-on. Plus exactement, le rassemblement de sept textes tournant autour du Livre des morts tibétain, le Bardo Thödol, que récitent ou entendent toute une kyrielle de Schlumm.
De l'exécution sommaire d'un révolutionnaire impénitent attaché jusqu'au bout à ses idéaux égalitaristes au suicide d'un gros clown qui ne faisait plus rire personne depuis bien longtemps, Bardo or not Bardo fait ainsi office de curieux cortège funéraire, où les morts se bousculent quand bien même ils n'ont jamais été aussi seuls. Car c'est bien seul que l'on doit en définitive traverser le néant du Bardo, le monde d'avant la naissance et d'après la mort, pendant quarante-neuf jours, au terme desquels le pèlerin trouve une nouvelle incarnation, peut-être aussi horrible qu'une araignée, tandis que les chances de se dissoudre dans la Lumière et de devenir Bouddha sont extrêmement faibles. Il est d'autant plus important de tendre l'oreille, jour après jour, en direction des litanies des bonzes récitants, qui accompagnent ainsi les défunts dans un murmure liturgique dont on ne sait trop s'il est véritablement apaisant, ou, bien au contraire, parfaitement angoissant.
On ne peut donc pas dire que la joie domine dans Bardo or not Bardo (en même temps, on ne s'y attendait pas vraiment...). Cela n'exclut pas cependant, et étrangement peut-être, un certain humour, noir comme la mort, forcément, reposant sur le burlesque et l'absurde, plus proche dès lors du génie d'un Kafka que d'un triste existentialisme teinté de mystique orientale.
Au long de ces sept récits, on voit ainsi défiler bien des avatars de la mort, et nombre de frais cadavres entamant la traversée périlleuse de cet entre-deux sinistre et obscur qu'est le Bardo. Le ton varie, dès lors, de l'éloge funèbre à la brève de comptoir – autant de moyens d'accompagner l'âme perdue jusqu'à sa nouvelle incarnation, aussi déprimante soit-elle. Ces histoires sont ainsi profondément marquées par d'émouvants liens d'amitié, voire de complicité.
Et puis, bien sûr, il y a la plume d'Antoine Volodine, riche en images fortes qui impressionnent durablement le lecteur. Le contraste entre les lamasseries enneigées et le noir impénétrable du Bardo n'est qu'un des très nombreux effets de lumière mis en œuvre par l'écriture imparable de l'auteur. Il est également très à l'aise dans l'art du portrait, parvenant, en quelques traits que l'on pourrait juger grossiers chez tout autre, à camper finement des personnages authentiques, avec un long passé derrière eux, un passé fait d'attentats voués à l'échec, de longs tabassages dans les camps, de pitreries dans des cirques vides.
Effet remarquable, donc, que celui produit sur le lecteur par ce Bardo or not Bardo original, fou en apparence mais profondément cohérent. Ce voyage au pays des morts a un sérieux goût de reviens-y... et je n'en ai décidément pas fini avec Antoine Volodine et le post-exotisme.
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