"BlueBob", de BlueBob
BLUEBOB, BlueBob.
Tracklist :
01 – 9-1-1
02 – Rollin’ Down (To My House)
03 – Thank You, Judge
04 – I Cannot Do That
05 – Factory Interlude
06 – Blue Horse
07 – Bad Night
08 – Mountains Falling
09 – Go Get Some
10 – Pink Western Range
11 – Marilyn Monroe
12 – City Of Dreams
Ça me troue un peu le cul de commencer cette chronique par un tel lieu commun, mais le fait est que les cinéastes ont de tout temps entretenu des rapports variés avec la musique de leurs films. Si certains semblaient s’en foutre royalement, ce n’était heureusement pas le cas de tous. À partir de là, il me semble que l’on peut distinguer trois tendances majoritaires – non-exclusives – chez ceux qui, partisans du cinéma comme « art total », accordent une attention certaine à la bande-originale de leurs films : il y a ceux qui, tel Stanley Kubrick le plus souvent (mais pas toujours), puisent dans la musique préexistante ; il y a ceux qui, tels Charlie Chaplin ou John Carpenter plus récemment, composent eux-mêmes la musique de leurs films ; enfin, il y a ceux qui s’offrent les services d’un compositeur « attitré » (et on pourrait ici citer bien des duos : là, par exemple, juste en regardant ma discothèque, Alfred Hitchcock – puis Brian DePalma, comme de bien entendu… – et Bernard Herrmann, Sergio Leone et Ennio Morricone, Steven Spielberg et John Williams, David Cronenberg et Howard Shore, Tim Burton et Danny Elfman, Takeshi Kitano et Joe Hisaishi, Hideo Nakata et Kenji Kawai, etc.).
Mais, comme je l’ai déjà précisé, ces tendances ne sont – heureusement – pas exclusives : Kubrick a eu recours à de la musique originale, Carpenter a laissé la place à Ennio Morricone pour la B.O. de The Thing, et les « couples » d’artistes ont connu de nombreuses infidélités : Herrmann et Hitchcock se sont séparés en très mauvais termes après Pas de printemps pour Marnie, Howard Shore a fait la B.O. du très bon Ed Wood de Tim Burton en lieu et place de Danny Elfman, etc.
Et David Lynch, dans tout ça ? La question se pose d’autant plus que le monsieur, on le sait, attache une attention toute particulière à la bande-son de ses films (si je ne m’abuse, Michel Chion a pas mal écrit là-dessus). À qui en douterait, je suggèrerais de (re)voir l’éprouvant mais splendide Eraserhead, superbe film « industriel » (peut-être le sommet du genre avec le Tetsuo de Shinya Tsukamoto), dont la bande-son, remasterisée tant qu’à faire, est, avec celle de THX 1138 (remasterisée THX tant qu’à faire – et merci monsieur Walter Murch) la plus phénoménale qu’il m’ait été donné d’entendre dans un film (si quelqu’un a mieux, je suis preneur).
Eh bien, Lynch est un peu à la croisée des chemins : il a régulièrement utilisé de la musique préexistante (voyez – pardon, écoutez – l’excellente bande originale de Lost Highway, produite par Trent Reznor, s’il n’en faut qu’un seul exemple), a depuis Blue Velvet un « compositeur attitré » en la personne d’Angelo Badalamenti… et, de temps à autre, met lui-même la main à la pâte, ainsi sur quelques pistes des excellentes B.O. de Twin Peaks – Fire Walk With Me et Mulholland Drive.
D’où la sortie en 2001 de ce BlueBob, signé BlueBob, c’est-à-dire David Lynch et John Neff. Un projet qui n’a pas eu de suite pour le moment, mais, sait-on jamais… ? Quant à dire à quoi cela ressemble… Eh bien, euh… Le mieux, comme d’habitude, sera de vous laisser en juger par vous-mêmes ; mais pour ma part, je qualifierais ça de « blues dub industriel ». Et franchement, ça sonne bien à mes oreilles décadentes… Guitares saturées lentes et grasses, batterie et/ou boites à rythmes minimalistes, ambiances lourdes et moites, bruits de machines, musique répétitive, voix trafiquées… mmmh… miam !
Mais commençons à décortiquer. L’album s’ouvre sur le très bon « 9-1-1 », qui donne le ton… tout en étant dans l’ensemble bien plus rythmé que la majorité de ce qui va suivre. Mais le son, l’atmosphère sont déjà là. Et sur moi, ça marche très bien.
Après quoi l’on passe à « Rollin’ Down (To My House) », encore assez rythmé. Une suite logique de ce qui précède. On reste dans la même veine, avec peut-être une touche industrielle plus prononcée, et à l’occasion une très vague touche country. Et des paroles d’une naïveté confondante…
« Thank You, Judge » (morceau pour lequel, paraît-il, Lynch avait tourné un clip avec lui-même, John Neff, Naomi Watts et Eli Roth ; je n’ai hélas pas pu mettre la main dessus…) ralentit la cadence, et accentue la dimension bluesy et grasse de la musique de BlueBob, pour un résultat très efficace.
Suit le premier morceau à m’avoir véritablement scotché, sans surprise, puisque, avec « I Cannot Do That », on est dans de l’indus pur et dur, machines à l’appui. Noir, gras, lourd… parfait. On expédiera par la même occasion le très bref « Factory Interlude » qui suit, simple transition.
On passe ensuite, avec « Blue Horse », aux morceaux plus « dub » de l’album. Un long instrumental, très planant, et une vraie réussite.
Mais ce n’était qu’une pause avant un retour au blues le plus lourd et crade que l’on puisse imaginer, avec « Bad Night ». J’adore.
Suivent deux morceaux que vous connaissez sûrement même si vous n’avez pas écouté BlueBob… pour la bonne et simple raison qu’ils figuraient déjà dans la bande originale de Mulholland Drive ; deux perles en leur genre, à nouveau relativement « dub » : « Mountains Falling » (le plus long morceau de l’album), puis le très bel instrumental « Go Get Some ».
Après ces longues errances dans les ténèbres, « Pink Western Range » accélère subitement le rythme… mais, on l’avouera, sans laisser un souvenir impérissable.
On lui préférera le chaloupé et naïf « Marilyn Monroe ». Allez, tous en chœur :
Marilyn
Monroe
Marilyn
Monroe
Marilyn
Monroe
I love you
I love you so
Et de conclure sur un « City Of Dreams » assez bruitiste, mais plus ou moins convaincant sur la durée.
Cela dit, si l’on excepte ces quelques réserves finales, BlueBob est bel et bien un album tout ce qu’il y a de sympathique, et qui a surtout pour lui cette qualité rare : celle d’être assez unique en son genre ; difficile en effet de trouver quoi que ce soit qui ressemble véritablement à BlueBob. En ce qui me concerne, c’est là un atout de taille.
C’est à croire que ce monsieur Lynch a tous les talents !
Et en plus, il est beau.
C’est trop injuste.
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