"Brûlons tous ces punks pour l'amour des elfes", de Julien Campredon
CAMPREDON (Julien), Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes, avant-propos de Dominique Bordes, [s.l.], Monsieur Toussaint Louverture, coll. Véloce, [2006] 2011, 157 p.
Je me dois sans doute de préciser que j’ai connu (si peu, mais connu quand même) Julien Campredon avant de lire ses livres.
Il y a de ça quelques années, en effet, l’énigmatique individu qui se faisait alors appeler sire Planchapain avait signé un bien curieux article dans lequel il vantait les mérites d’un bref recueil de nouvelles portant le titre non moins curieux de Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes, titre il faut bien le reconnaître très planchapinesque. Aussi ai-je cru dans un premier temps à un canular, de la part de ce triste sire qui se répandait parallèlement en éloges de Paul-Loup Sulitzer ou encore Francis Lalanne.
Mais non, le livre existait bel et bien, portait bel et bien ce titre saugrenu, et avait été édité par un certain Monsieur Toussaint Louverture, maison dont on ne parlait alors certes pas autant qu’aujourd’hui. Mais je n’ai été persuadé de la réalité de la chose que par une soirée toulousaine impromptue, au cours de laquelle le camarade Planchapain a ramené chez moi, en plus de bières, ledit Julien Campredon. Qui est quelqu’un de très sympathique, osons le dire, quand bien même occitan (et ça se sent) (personne n’est parfait).
Nous nous sommes recroisés de temps à autre en librairie après mon déménagement sur Paris, et il a bien fallu que j’achète le livre mentionné plus haut (dans une très jolie réédition, toujours chez le Monsieur), ainsi que L’Attaque des dauphins tueurs. Et puis le temps a passé sans que je trouve moyen de lire les deux petits ouvrages. Ça ne pouvait pas durer, mais il faut bien reconnaître que le fait que je connaisse, même si peu, Julien Campredon ne me facilitait pas la tâche – crainte de ne pouvoir parler « objectivement » (aha) des écrits du monsieur, que je les aime ou pas, et crainte aussi (nous vivons dans un triste monde tragique) que l’on remette en cause mon « objectivité » (aha) au prétexte que, hein, bon. Mais j’ai donc franchi le pas, en commençant par ce Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes.
(Moi j’aurais surtout envie de brûler tous ces elfes pour l’amour des punks, s’il en existait encore, mais c’est une autre histoire.)
Le recueil s’ouvre sur une prétendue « Note de l’éditeur » qui donne le ton, en phagocytant une excellente nouvelle expliquant les déboires de Julien Campredon avec « La Bibliothèque de Babel » de Jorge Luis Borges. Un texte aussi drôle que pertinent, lorgnant pas qu’un peu vers l’absurde, quelque part entre voyage nécessairement philosophique et bureaucratie nécessairement kafkaïenne ; c’est très drôle, c’est bien vu, et qui plus est c’est bien écrit. Si.
Et le reste du recueil est à l’avenant (à l’exception du vaudeville « De l’homme idéal de ma femme, d’elle et de ma maîtresse », qui m’a laissé de marbre, mais bon, un seul écueil, c’est assez peu pour être souligné). Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes regorge de nouvelles drôlement bizarres et bizarrement drôles, en forme de contes ou de fables, où la plume plus que sympathique de l’auteur s’en donne à cœur-joie, son imagination (nécessairement débridée) n’étant pas en reste, hou-là, non.
Je ne vais pas détailler par le menu ce petit livre, ça serait sans doute un peu absurde (mais bon, en même temps, l’absurde est ici un maître-mot…). Mais on y navigue agréablement entre satire sociale (avec une prédilection pour les ronds-de-cuir provinciaux) et fantaisie burlesque, avec de temps à autre aussi une touche d’émotion tout de même (ainsi dans « Tornar a l’hostal ou Les Mémoires d’un revenant », qui a réussi à me toucher malgré sa thématique de retour à la terre nécessairement occitane, ce qui n’est pas une mince performance).
La nouvelle donnant son titre au recueil en est une belle illustration, où des gardiens de musée (à l’accent prononcé con) massacrent à tour de bras, avec un arsenal à faire bander John Rambo, les hordes de prolos à iench’ qui risqueraient autrement de s’infiltrer dans le temple de la Kulture, et en y ramenant leurs bières, en plus. Autre jolie réussite, dans un genre assez proche, « Avant Cuba ! », ou la lutte sociale de nos jours, n’opposant plus glorieux prolétaires et abjects capitalistes, mais tristes chômeurs et odieux soixante-huitards en place ; aussi drôle que juste. J’ai également trouvé délicieuse « Jean-François Cérious ne répond plus », biographie belle et rigolote d’un politicard de campagne qui a pour principale qualité (…) de faire des discours chiants ; joli portrait de famille, destinée inattendue, c’est du tout bon.
Je m’arrête là – il y aurait sans doute bien des bonnes choses à dire sur le reste, également recommandable, que oui, mais à quoi bon ? Ce serait prendre le risque de réduire Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes à un vulgaire catalogue, ce qu’il n’est assurément pas. Que Julien Campredon se rassure, donc – et avec lui le libraire qui, et l’éditeur qui : ce livre est fort bon. Si. Pas besoin, donc, d’envoyer un message en recommandé avec accusé de réception de mon poing dans ta gueule pour obtenir remboursement dudit ; et l’auteur pourra se passer de manger du saucisson de foie (la drôle d’idée…).
Un jeune écrivain à suivre, donc ; je vous parlerai prochainement de L’Attaque des dauphins tueurs, autre recueil de chez Monsieur Toussaint Louverture dont j’attends du coup le plus grand bien. Et merci, sire Planchapain : vous avez vu juste. Bravo, bravo, bravo.
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