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"Clefs pour Lovecraft", de S.T. Joshi

Publié le par Nébal

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JOSHI (S.T.), Clefs pour Lovecraft, suivi d’une Bibliographie des textes critiques par Jean-Luc Buard, [Starmont Reader’s Guide n° 13. H.P. Lovecraft ; A Look At Lovecraft’s Letters], ouvrage composé et traduit [de l’américain] par Joseph Altairac, introduction et postface de Joseph Altairac, Amiens, Encrage, coll. Travaux, série Cahiers d’études lovecraftiennes, [1982, 1987] 1990, 158 p.

 

Ce deuxième Cahier d’études lovecraftiennes donne la parole à S.T. Joshi, qui est, rappelons-le, probablement ZE spécialiste mondial de Lovecraft à l’heure actuelle, et était déjà un exégète renommé il y a 20 ans de cela, lors de cette publication française (quand bien même, à l’époque, il n’avait pas encore livré sa monumentale biographie I Am Providence, que je viens tout juste de me procurer, et dont je vous causerai le moment venu).

 

Il s’agit pour l’essentiel d’un guide de lecture passionné (et passionnant) publié dans le Starmont Reader’s Guide n° 13, et complété pour ce qui est de la correspondance (le grand dada de Joshi, rappelons-le) par l’article « A Look At Lovecraft’s Letters ». Joshi s’y montre un ardent défenseur de l’œuvre de Lovecraft sous toutes ses formes, prenant ainsi le contre-pied d’un Lyon Sprague de Camp, par exemple (là encore, je lis sa biographie prochainement). L’auteur y insiste notamment sur la richesse philosophique de cette œuvre (sans faire l’impasse sur ses aspects « gênants », mais en les relativisant ; pour un point de vue « légèrement » moins enthousiaste sur la culture philosophique de Lovecraft, se référer à la postface aux Lettres d’Innsmouth ; on notera que Joshi parle, à mon sens de manière bien excessive, d’une adhésion de Lovecraft au « socialisme » sur le tard, quand il ne s’agissait guère pour lui que de se rallier au New Deal… voire, de manière plus frontale, au fascisme) et sur les qualités stylistiques à son sens sous-estimées du Maître de Providence (et peu importe l’abondance d’adjectifs, ou plutôt si, mais elle est envisagée positivement). Un guide de lecture « amoureux », donc.

 

Après avoir situé l’homme dans son temps, Joshi présente ainsi les différentes facettes de son œuvre (envisagée globalement, notamment pour des raisons philosophiques, donc). Les fictions, tout d’abord, sont rassemblées dans différentes catégories. Sont ainsi évoqués la « veine dunsanienne » (l’occasion pour moi de préciser que je vais enfin, très prochainement, lire du Lord Dunsany), puis les histoires « de Nouvelle-Angleterre », ensuite celles relevant de ce que Joshi préfère appeler « Mythe de Lovecraft » plutôt que « Mythe de Cthulhu », et enfin les autres textes, révisions incluses. Tout cela ne révolutionne pas forcément l’exégèse lovecraftienne, mais se lit fort bien, et se montre souvent convaincant.

 

La non-fiction est ensuite évoquée à son tour. Un premier chapitre traite des essais et poèmes, Joshi insistant sur leur volume respectif (mais il se montre assez sévère à l’encontre de la polésie lovecraftienne, et ce n’est certainement pas moi qui lui jetterai la pierre…). Mais, surtout, j’en retiens le chapitre – extérieur, donc – consacré à la correspondance, pour laquelle l’auteur se montre particulièrement enthousiaste ; il faut dire que, ne serait-ce que par son volume, cette partie de l’œuvre de Lovecraft (car il s’agit bien, pour Joshi, d’une œuvre) a de quoi chambouler bien des prénotions. Et Joshi de succomber à l’exclamationite aiguë, emporté par son enthousiasme… Cela dit, c’est bien compréhensible. Et l’on ne peut que regretter que l’entreprise initiée par Bourgois de publication de lettres choisies (et éventuellement abrégées, du moins je le suppose, puisque c’est le cas dans les volumes publiés outre-Atlantique) n’ait pas connu de suite… Quoi qu’il en soit, ce chapitre est probablement le plus intéressant de ce petit ouvrage, et Joseph Altairac a certes très bien fait de l’intégrer dans ce guide de lecture, où il a tout à fait sa place.

 

Je passerai sur la conclusion, très pro-lovecraftienne donc, mais qui ne fait guère que synthétiser les développements antérieurs.

 

Ces Clefs pour Lovecraft sont complétées, tout d’abord, par une « Bibliographie des textes critiques. H.P. Lovecraft : Matériaux pour un répertoire de la littérature secondaire, de provenance, de sujet ou de langue française (1936-1990) » signée Jean-Luc Buard. Nécessairement obsolète aujourd’hui (de l’eau a coulé sous les ponts… mais je note que l’auteur présentait ce texte comme une première esquisse, destinée à être complétée ultérieurement, et je ne sais pas ce qu’il en est…?), je ne doute cependant pas qu’elle me sera d’une grande utilité.

 

Joseph Altairac livre ensuite un portfolio d’illustrations (pour « Les Montagnes Hallucinées » et « Dans l’abîme du temps ») de Howard V. Brown ; j’avoue ne pas y être réceptif, c’est le moins qu’on puisse dire… Je retiens par contre son éloquent article « Lovecraft a-t-il été traduit ? – À propos des traductions chez Denoël », qui prend l’exemple des « Montagnes Hallucinées » pour montrer à quel point Lovecraft a été massacré par Jacques Papy (et autres), invalidant avec brio l’étrange assertion de Cocteau selon laquelle le style de Lovecraft « gagne encore à être traduit en français »… Si l’on y ajoute les nombreuses notes du même Oncle Joe au guide de lecture de S.T. Joshi, on est plus que convaincu de la nécessité de retraduire Lovecraft par rapport aux anciennes éditions en « Présence du futur » (il faut donc que j’arrête de dire des bêtises pingres à ce sujet, que ce soit pour  Les Contrées du Rêve ou  Cthulhu. Le Mythe ; et vivement la prochaine publication chez Mnémos des Montagnes Hallucinées !).

 

Un petit ouvrage intéressant, donc. Pas le plus révolutionnaire de l’exégèse lovecraftienne, mais néanmoins tout à fait recommandable.

CITRIQ

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J
Je dois dire que l’affirmation suivante m’a laissé perplexe : « Joshi parle, à mon sens de manière bien excessive, d’une adhésion de Lovecraft au « socialisme » sur le tard, quand il ne s’agissait<br /> guère pour lui que de se rallier au New Deal… voire, de manière plus frontale, au fascisme. »<br /> Il suffit de lire la correspondance de Lovecraft pour voir que ce raccourci est faux : L’adhésion au fascisme, c’était dans les années 20. Le support au New Deal, c’est au début des années 30.<br /> Finalement, le 3 février 37 il reconnait lui-même : « Oui, mes opinions, en matière de politique et d’économie, ont évolué progressivement vers la gauche au cours des dernières années — au point<br /> que je crois pouvoir me classer définitivement comme socialiste, au niveau des principes ultimes. »
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N
<br /> <br /> Je plaide coupable, je n'ai pas lu la correspondance de Lovecraft... Et je ne doute pas de la très grande qualité du travail effectué par Joshi à ce sujet. C'est la pertinence du terme qui me<br /> laisse perplexe quant à moi - à m'en tenir, certes, aux fictions lovecraftiennes.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> J'ai relu récemment, dans la nouvelle traduction de David Camus, Les Montagnes Hallucinées, et j'y ai effectivement relevé deux occurrences du terme "socialisme" pour caractériser les<br /> "utopies" antédiluviennes de l'auteur, dans le récit-titre, et dans "Dans l'abîme du temps" - mais il me paraît révélateur que, dans ce dernier texte, qui figure parmi les plus tardifs, ledit<br /> socialisme est mis en parallèle avec le fascisme (et nous sommes en 1935).<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je ne prétends certes pas détenir la vérité à cet égard, mais cette question m'intéresse tout particulièrement ; je ne faisais ici état que d'une relative perplexité quant à l'affirmation de S.T.<br /> Joshi, qui me paraissait peut-être un brin péremptoire (et, si ma mémoire est bonne, le préfacier et traducteur Joseph Altairac, également grand connaisseur de Lovecraft, émettait lui aussi<br /> quelques doutes à cet égard).<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Mais je ne demande qu'à être convaincu de mon erreur - et sans doute faudrait-il effectivement pour cela que je lise la correspondance de Lovecraft ; un jour, peut-être...<br /> <br /> <br /> <br />
C
Petite question: est-ce que cet ouvrage est uniquement un livre sur Lovecraft, ou est-ce qu'il inclue également certains de ses textes?
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N
<br /> <br /> C'est un livre sur Lovecraft. Certains de ses textes sont brièvement cités, bien entendu, mais c'est un ouvrage de critique littéraire.<br /> <br /> <br /> <br />
A
Hola camarade,<br /> <br /> Beau compte-rendu, et belle initiative que ce Bifrost spécial Lovecraft. En tant que traducteur (j'ai bossé sur le Bragelonne), je ne peux que me ranger du côté de ceux qui considèrent de nouvelles<br /> traductions nécessaires (je trouve par exemple la démarche de Camus très intéressante : peut-être faudrait-il qu'un seul traducteur se charge de toute l'œuvre, ce qui permettrait de fournir un<br /> instantané de Lovecraft en français à un temps "t". Peut-être en Pléiade - quoi, on peut rêver, non ?). De toute façon, l'arrivée de HPL dans le domaine public va multiplier les éditions plus ou<br /> moins pertinentes de son œuvre.<br /> Mais puisque tu parles de Papy, j'aimerais quand même signaler cet article : http://wiki.hplovecraft.eu/doku.php?id=bibliographie:jacques_papy_traducteur_maudit qui tente de le réhabiliter. La<br /> critique d'Altairac est juste, mais minimise tout de même l'importance de la traduction historique de Lovecraft. Je ne saurais pas comment l'expliquer, mais après de nombreuses lectures des<br /> nouvelles depuis mon adolescence, il me semble que Jacques Papy avait "compris" Lovecraft. Qu'il existe entre les deux hommes une affinité, sinon intellectuelle, du moins stylistique, et que Papy<br /> s'est plu à rendre le texte lovecraftien.<br /> Alors oui, il a charcuté les "Montagnes...", oui, il a pris des libertés, mais il faut voir aussi le niveau de déontologie de la profession à l'époque (voir du côté de la série noire), surtout pour<br /> un auteur de fantastique relativement obscur tiré du néant par un Bergier au sommet de son influence. Et en tant que trados, je ne peux que baver devant la carrière de ce monsieur qui a, à son<br /> tableau de chasse, Lewis Carroll, Bierce, Stevenson, Frederic Brown, Milne et Lovecraft, boudiou !
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N
<br /> <br /> Merci pour ce très enrichissant commentaire.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> J'avoue être toujours un peu mal à l'aise quand il s'agit de juger de la qualité d'une traduction... Mais là, l'évidence du sabrage a fait que.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Et, oui, rêvons !<br /> <br /> <br /> <br />