"Cold City"
Cold City
Cold City est un jeu de rôle de Malcolm Craig publié en France par la Boîte à Heuhh (dont je découvre le travail à cette occasion). Il me faisait de l’œil depuis un petit moment déjà, essentiellement pour son cadre que je trouvais fort intéressant. Le jeu propose en effet de jouer des sortes d’agents secrets à Berlin en 1950, alors que la guerre froide, quand bien même récente, bat son plein, agents secrets qui ont maille à partir avec les reliques de la « science déviante » des nazis : Altérés (mutants, en gros), Intrus (entités extraterrestres ramenées sur Terre par des moyens occultes, disons) et ST (soldats morts-vivants). J’y voyais une belle opportunité de jouer de la lovecrafterie dans un esprit pré-Delta Green (ou plus encore « Laverie » et « A Colder War » de Charles Stross) et dans un cadre de toute beauté, ce qui me paraissait en soi une raison suffisante pour y jeter un œil. Après lecture, cette impression est confirmée.
Pourtant, c’est comme dans les X-Files : « La vérité est ailleurs. » Et ce qui fait l’intérêt majeur de Cold City, étrangement (ou pas), n’est pas sa belle ambiance (servie par une présentation que je qualifierais d’ « aux petits oignons » si j’aimais les oignons, mais les oignons c’est le Mal), mais bien sa mécanique de jeu, qui, pour être un tantinet déconcertante à mes yeux encore bien conservateurs de vieux donjoneux (entendre par là que c’est passablement narrativiste, ou peut-être plus exactement que ça joue beaucoup sur la narration et l’autorité partagées), est plus qu’à son tour tout à fait intrigante, enthousiasmante, stimulante, et autres termes positifs qui se finissent par « -ante ».
Je ne vais pas rentrer excessivement dans les détails, ce n’est à mon sens pas le lieu, mais voici quelques points qui m’ont paru essentiels.
Commençons par les personnages. Dans l’idéal, Cold City se joue avec un MJ (quand même) et quatre joueurs, représentant chacun une des puissances occupantes de Berlin (Américains, Britanniques, Français et Soviétiques ; on trouve un pré-tiré de chaque). L’accent est mis, donc, sur la nation d’origine du personnage, ce qui va de pair avec des préjugés sur les nations des autres (mais ce n’est pas à vous que j’apprendrais que les Français sont des couards arrogants, etc.). La nation va aussi définir un « objectif secret », qui sera complété par un « objectif personnel », tout aussi occulte. Il est à noter que, dans le cadre d’une partie ouverte, les autres joueurs peuvent être conscients des objectifs secrets du personnage ; à eux, dès lors, d’en tirer parti pour rendre le jeu intéressant. Un mécanisme essentiel de la fiche de personnage, en effet, outre la détermination de trois attributs (physique, influence, intellect) et celle de traits positifs comme négatifs (au libre choix du joueur), est la confiance : chaque joueur inscrit de manière chiffrée, à la fois la confiance que son personnage éprouve pour les autres personnages, mais aussi celle qu’il inspire à ces derniers. Ces deux échelles de confiance peuvent être utilisées pour « gonfler » la poignée de dés lors des conflits, qu’il s’agisse de collaborer… ou de trahir. Ambiance parano assurée.
Il n’y a par la suite pas de « jets de compétence » à proprement parler dans Cold City. L’important, donc, ce sont les conflits. L’idée est que, si l’action n’est pas à même d’apporter des conséquences narratives intéressantes et qu’elle est crédible, elle réussit, pas besoin de jet de dés. Dans les autres cas, il y a conflit, qui se résout par un jet de dés en opposition (toujours en opposition, oui, que ce soit avec un autre joueur, ou avec un PNJ ou même un objet géré par le MJ). Il s’agit alors de constituer une poignée de dés (à dix faces), qui commence par le choix d’un attribut (doublé si un objectif secret entre en jeu), augmenté éventuellement par des traits (positifs ou négatifs ; la différence se fera dans les conséquences) ou par de l’équipement, ainsi que par la confiance, donc. Le MJ ou l’autre joueur constitue de même une poignée de dés (moyenne de 5, a priori). On fait rouler les machins, et on retient les scores les plus élevés après élimination des égalités. Par exemple, si le PJ fait 1, 3, 5, 7, 8 et 10, et le MJ 2, 4, 8 et 10, après élimination des 10 et des 8, c’est le PJ qui gagne, avec deux dés de plus que le MJ. Dès lors, le « vainqueur » de cette opposition se voit attribuer des points de conséquences, positives ou négatives, qu’il s’agira pour lui de déterminer (par exemple, réduire un attribut à 0, ce qui revient à mettre l’adversaire « hors-jeu », ou encore « verrouiller » un trait pour éviter qu’il ne soit supprimé ultérieurement, etc.) et d’incorporer dans sa narration (si j’ai bien compris, hein ; corrigez-moi si je me goure, la lecture est fraîche).
Et tout cela, de l’élaboration des personnages à la résolution des conflits, me paraît diablement intéressant. Ces règles, ou mécanismes, occupent environ la moitié de l’ouvrage (de 160 pages). La seconde moitié est consacrée au cadre, et donc essentiellement à Berlin (même si l’on a quelques aperçus de lieux plus éloignés) et à la « science déviante », ce qui passe par des listes diverses d’organisations en jeu (de la CIA à la Stasi, etc. ; j’avoue avoir trouvé cet aspect un peu trop lapidaire, et je pense que le jeu ne prendra vraiment toute son ampleur que si le MJ complète ces premières données par des recherches personnelles – défaut que je retenais également pour B.I.A., par exemple) et toutes ces sortes de choses, un scénario d’introduction plutôt bien foutu, quelques pistes supplémentaires, des inspirations bibliographiques, rôlistiques et cinématographiques, etc.
Au final, sur le papier en tout cas, Cold City me paraît une jolie réussite, sacrément enthousiasmante (vous avez noté l’alternance entre « diablement » et « sacrément » ? Putain, je suis content de moi, là !). J’ai bien envie de tester la chose : entre ce cadre délicieux et ces mécanismes inventifs et parfaitement adaptés à la situation, je suis persuadé qu’il y a de quoi faire d’excellentes parties.
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