"Confessions d'un compositeur / A Composer's Confessions", de John Cage
CAGE (John), Confessions d’un compositeur / A Composer’s Confessions, [A Composer’s Confessions], traduit de l’anglais par Élise Patton, Paris, Allia, [1948, 1992, 2011-2012] 2013, 49 + 43 p.
Je plaide coupable : je n’y connais à peu près rien en matière de musique « savante » contemporaine, et n’ai quasiment jamais fait l’effort d’en écouter. Ce qui ne m’empêche pas de m’y intéresser sous un angle théorique, notamment en ce qu’elle a pu influencer considérablement des groupes et artistes « populaires » que j’apprécie tout particulièrement (en l’espèce, on pourra citer sans grand risque d’erreur Brian Eno, Throbbing Gristle, Einstürzende Neubauten ou encore Sonic Youth). Il y a de ça, ouf, au moins, un citoyen musicologue m’avait d’ailleurs prêté un ouvrage sur la question, que j’avais trouvé tout à fait passionnant (sur le plan théorique, donc), en dépit de mes lacunes en matière de composition et de technique musicales. Et, dans cet ouvrage, si je ne me sentais guère proche de certains compositeurs (notamment l’approche très mathématique de la musique dodécaphonique ou d’un Xenakis), d’autres me parlaient davantage.
Et parmi eux John Cage. Autant le dire de suite : je n’ai à peu près rien écouté de John Cage (à part, bien sûr, 4’33), et je doute que sa musique me parle totalement. Mais, là encore, c’est sous un angle théorique que j’entends l’approcher, et je trouve cela tout à fait passionnant. D’où l’acquisition et la lecture de ce petit ouvrage récemment paru chez Allia (où je m’étais également procuré il y a peu L’Art des bruits de Luigi Russolo – la parenté entre les deux est une évidence, et John Cage renvoie directement au manifeste futuriste dans ces Confessions). Ce fut pour moi l’occasion de remettre en cause certaines idées reçues sur le compositeur, d’ailleurs : j’ai ainsi appris, contrairement au souvenir que j’en avais gardé, que sa musique également avait de très fortes et très complexes bases mathématiques. Mais, pour le reste, j’ai retrouvé le « défricheur » qui m’avait tant séduit par son approche résolument inventive de la musique contemporaine ; et si ce texte – présenté ici en version bilingue – n’a pas le caractère révolutionnaire et indispensable de L’Art des bruits, il s’inscrit néanmoins dans sa filiation, et se révèle d’une lecture fort instructive.
Ce texte – publié initialement en 1948 – est bien loin de couvrir toute la carrière musicale de John Cage : à l’époque, il n’avait d’ailleurs pas encore « composé » son fameux 4’33 (il en annonce le projet dans les dernières pages, sous le titre A Silent Prayer). Mais les bases sont déjà là.
Si Cage s’est mis au piano assez jeune, il n’était de son propre aveu guère doué, et ne s’est tourné que tardivement vers la composition : on le voit d’abord chercher sa place dans des domaines artistiques aussi divers que la peinture ou l’architecture (ce qui est en soi révélateur, je suppose). Puis il franchit le pas ; il commence par faire une musique très mathématisée (donc), plus complexe encore que la musique dodécaphonique. Problème : celle-ci n’est pas forcément très « agréable » à écouter… Et si les bases mathématiques restent présentes tout au long des compositions exposées dans ces Confessions, il n’en reste pas moins que c’est en approchant les choses sous un angle différent que John Cage va se créer une place. Et, dans la lignée de L’Art des bruits, nous le verrons ainsi s’essayer à des compositions pour percussions seules, ou utiliser des radios dans ses compositions, voire les manipulations rendues possibles par le studio pour ses enregistrements. Plus tard, il y aura bien sûr le fameux « piano préparé » qui restera dans cette même optique. Sa musique tendra ainsi à faire usage d’une large gamme de sons, que l’on ne considérait pas « musicaux » en tant que tels jusqu’alors, mais qui le deviennent par le biais de la composition et de l’ordonnancement (même si j’imagine que 4’33, en tant que symbole ultime de « l’œuvre ouverte » – l’ouvrage éponyme d’Umberto Eco m’avait également été prêté, en même temps, par le citoyen musicologue évoqué plus haut –, témoigne d’une part de plus en plus importante de l’improvisation et du hasard dans la musique de John Cage).
L’approche de John Cage, dans ces différents aspects, me paraît des plus pertinentes et enrichissantes ; le caractère très novateur de ses « paysages imaginaires », etc., ne saurait faire de doute, et témoigne à mon sens de ce que la musique « savante » contemporaine peut produire de plus intéressant (du moins sur le plan théorique ; j’avoue parfois douter que le résultat soit « agréable » à l’écoute, mais…).
Mais il y a aussi un arrière-plan non négligeable dans la musique de John Cage, qui est sa portée « spirituelle » ; le compositeur y revient sans cesse, et semble y voir le cœur de sa musique, et, idéalement sans doute, de la « bonne » musique en général ; ce n’est sans doute pas un hasard, à cet égard, si 4’33 était donc désigné ici comme étant une « prière ».
On adhèrera ou pas à ces différentes conceptions de la musique. Peu importe : l’honnêteté implique d’admettre, d’une manière ou d’une autre, l’importance fondamentale de John Cage dans l’histoire de la musique contemporaine, et son rôle de pionnier, que ce soit dans la composition à proprement parler, dans l’usage d’instruments ou de sonorités incongrus, dans les techniques d’enregistrement, etc. J’apprécie tout particulièrement son ouverture d’esprit et son engouement pour les musiques orientales, le jazz, le bruit et les percussions, qui ont influencé son œuvre ; j’apprécie de même sa volonté de ne pas se contenter d’une musique « savante » réservée aux plus reclus et hermétiques des esthètes, mais de livrer ses compositions au public.
Aussi ai-je trouvé ce tout petit ouvrage fort instructif. Certes, il n’a pas le caractère indispensable – car séminal – de L’Art des bruits. Il est néanmoins éclairant et d’une lecture agréable. Alors – qui sait ? – peut-être un jour vais-je franchir le pas, et écouter « vraiment » du John Cage…
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