"Crypt of Cthulhu", no. 5
Crypt of Cthulhu, vol. 1, no. 5, Bloomfield, Cryptic Publications, Roodmas 1982, 44 p.
Crypt of Cthulhu, suite, avec un numéro qui m’a fait un peu peur au début, dans la mesure où son thème est « Lovecraft and Occult Cosmology ». Or « l’occultisme » chez Lovecraft, j’en ai franchement soupé avec les élucubrations du Necronomicon du mystérieux Simon l’imposteur (et dans une moindre mesure les derniers développements de L’Univers de Lovecraft de Philip A. Shreffler)… Mais on pouvait toutefois espérer que Robert M. Price et ses petits camarades sauraient éviter de tomber dans la lourdeur et l’ineptie ; et, effectivement, dans l’ensemble, ça va tout de même nettement mieux…
C’est d’ailleurs Robert M. Price qui ouvre le bal avec un article intéressant, « HPL and HPB. Lovecraft’s Use of Theosophy ». La théosophie de Madame Blavatsky est un mouvement de « pensée » (?) qui m’a toujours laissé pantois. Mais il est vrai que Lovecraft y fait régulièrement allusion, soit directement (comme dans le célèbre premier paragraphe de « L’Appel de Cthulhu », si je ne m’abuse), soit indirectement, par exemple en faisant référence aux Stances de Dzyan, à Shamballah ou aux « Seigneurs de Vénus ». Mais Lovecraft y voyait bien sûr un amusant et intéressant outil littéraire : il ne croyait évidemment pas un seul instant à ces fariboles, et, en définitive, quelle que soit la première impression que l’on puisse retirer de ses récits, notre auteur ultra-rationaliste se plaçait bien entendu en opposition complète avec cette « doctrine secrète »…
L’article suivant, toujours signé Robert M. Price, est dans la lignée directe du précédent (et m’a rappelé également certains développements de Michel Meurger dans Lovecraft et la S.-F. /1 et /2) : « Monsters of Mu. The Lost Continent in the Cthulhu Mythos ». Petite ballade en Atlantide, Mu ou Lémurie, donc. Mais l’originalité de l’article, c’est surtout de ne pas traiter que de Lovecraft (qui ne croyait pas davantage à tout cela qu’à la théosophie, et en faisait le même usage), mais d’envisager également ce thème chez d’autres contributeurs du Mythe, en l’occurrence feu Colin Wilson (qui nous a quittés le 5 décembre dernier, et dont deux romans lovecraftiens attendent dans ma volumineuse pile à lire de lovecrafteries) et Lin Carter, ouverture assez intéressante.
Robert M. Price encore, avec « Reincarnation in Lovecraft’s Fiction », où notre théologien d’auteur s’amuse à faire un peu de religion comparée. Il commence ainsi par distinguer cinq conceptions différentes de la réincarnation, avant d’en retrouver le thème dans les rêves de Lovecraft (partie un peu dangereuse ?) puis dans ses écrits. On retrouve ici la théosophie en bonne position, toujours dans la même optique (notamment dans sa collaboration avec E. Hoffmann Price « À travers les portes de la clé d’argent »). Cet article, intéressant, m’a toutefois paru un peu lacunaire ; j’ai tout de même le sentiment que le thème de la réincarnation (si ce n’est la réincarnation « au sens strict », c’est-à-dire selon les cinq définitions envisagées au début) est bien plus récurrente que cela dans l’œuvre de Lovecraft : quid de L’Affaire Charles Dexter Ward, par exemple ?
Charles M. Garofalo et (toujours) Robert M. Price poursuivent avec « Chariots of the Old Ones? », qui part des élucubrations d’Erich von Däniken pour étudier le thème des « astronautes » ayant apporté la civilisation sur Terre, voire purement et simplement créé l’humanité. Difficile, là encore, de ne pas penser aux passionnants articles de Michel Meurger dans Lovecraft et la S.-F. /1. Et c’est tout aussi intéressant, même si largement moins érudit et précis (forcément, vu le format…).
Jusqu’ici tout va bien, donc. La suite immédiate est hélas beaucoup moins convaincante… dans la mesure où Robert M. Price y cède la place à des gens nettement moins intéressants (et sensés ?) que lui. Ainsi dans « Lovecraft and Witchcraft » de Morgana A. LaVine ; je craignais la Wicca, j’avais hélas raison… Il ne s’agit guère que d’opposer la sorcellerie dans l’œuvre de Lovecraft à la « vraie » (aha) sorcellerie de la Wicca. Sans intérêt. Même chose, sur un thème assez proche, avec « l’occultiste » Ronald Shearer et « The Witches in « the Witch House » ».
Heureusement, Robert M. Price nous revient de suite (il s’est bien lâché sur ce numéro…), tout d’abord pour un article qui a sans surprise mis à mal mes facultés de compréhension : « Jung and Lovecraft on Prehuman Artifacts ». Bon, les développements sur Lovecraft, OK, pas de souci ; mais la philosophie psychanalytique teintée d’occultisme de Jung me dépasse, même s’il ne s’agit guère ici que de rapporter des rêves qu’il a compilés ; à vrai dire, je n’en vois pas vraiment l’intérêt… et cet article m’a donc laissé pour le moins sceptique.
Robert M. Price (eh oui) livre également « The Pseudo-Intellectual in Weird Fiction », qui s’éloigne un peu de la thématique du numéro, mais s’y raccroche tout de même par certains aspects. Il s’agit de savoir pourquoi la figure du « pseudo-intellectuel » (et donc notamment de l’occultiste) est si récurrente dans la littérature « weird » ; parce que l’auteur en est un ? parce que les « fans » en sont, cette bande de crétins ? ou bien parce que ces croyances sont des présupposés de l’histoire ? Mouais, pas vraiment convaincu, là…
Je ne m’étendrai pas sur deux brèves notes de Robert M. Price (…), « Who was « Metraton » ? » et « Dubious Chorazin », qui ne visent qu’à établir des points de vocabulaire à partir de la mystique juive dans le premier cas, et du Nouveau Testament dans le second.
On en arrive aux rubriques habituelles. Le « Fun Guy from Yuggoth » de ce numéro, c’est Sam Gafford, qui parle dans « Journey into Terror », non seulement de sa découverte de Lovecraft, mais aussi et surtout de son insertion dans le cercle des lovecraftiens tels que S.T. Joshi et (donc) Robert M. Price. Moui.
La « R’lyeh Review » de ce numéro est confiée à Charles Hoffmann et Marc A. Cerasini, dont le moins que l’on puisse dire est que je ne partage pas leur avis sur Conan le barbare de John Milius, qu’ils écharpent avec des mots très durs à tous les points de vue, poussant même jusqu’au légendaire point Godwin en parlant des responsables de tout ça comme étant des « concentration camp butchers masquerading as surgeons ». Qu’on n’aime pas ce film, notamment du fait des ses infidélités au personnage « canonique » créé par Robert E. Howard, je peux le comprendre, pas de problème. Mais avoir des mots aussi durs sur tous les aspects du film, absolument tous (« dreadful music », la superbe BO de Basil Poledouris ?!? Allons bon), et asséner à longueurs de lignes qui sont autant d’insultes que personne ne saurait aimer ce « navet », à ce stade, c’en est tout bonnement absurde…
Reste « Mail-Call of Cthulhu », qui se montre plus intéressant que d’habitude : il n’y a pas que des éloges, mais bien des choses plus substantielles, notamment dans les longues lettres de Frank Belknap Long, S.T. Joshi et Peter Cannon.
Ben finalement c’était bien. Numéro suivant : August Derleth. Décidément, Robert M. Price aime jouer avec le feu…
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