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"Cthulhu : Ombres sur Filmland"

Publié le par Nébal

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Cthulhu : Ombres sur Filmland

 

NB : Il s’agit là d’un compte rendu de lecture, et non d’un test. En outre, mais faut-il le préciser, ce compte rendu s’adresse aux MJ, dans la mesure où il contient des spoilers…

 

Ombres sur Filmland (écrit par Kenneth Hite et Robin D. Laws, mais hélas toujours aussi mal traduit et édité) entend, sur environ 150 pages, conjuguer l’horreur cosmique lovecraftienne et l’horreur gothique des films en noir et blanc produits par Universal et RKO dans les années 1930 et des poussières. Ce qui, mine de rien, n’est pas si évident que cela. En témoigne un bref mais fort intéressant chapitre introductif, « Double séance », pointant les ressemblances et points de divergence entre ces deux modes de l’horreur apparus à la même époque, et qui, pour emprunter largement à des sources similaires – les gothiques anglais, Poe, etc. –, n’en ont pas moins développé chacun de leur côté leurs propres codes, éventuellement contradictoires, à tel point que, pendant fort longtemps (voire toujours ?), Lovecraft et le cinéma n’ont pas fait bon ménage… Autant dire que les scénarios que propose ce supplément, ou qu’il suggère de bâtir à partir de son décor gothique, risquent de détonner quelque peu par rapport aux investigations classiques de Cthulhu « système Gumshoe ».

 

Le chapitre suivant est donc consacré à la description d’un « décor gothique » abstrait, ne figurant pas sur les cartes. Si les lieux communs du genre sont finement analysés, ce qui est plutôt intéressant, ce chapitre, hélas, tend surtout à noircir des pages pour pas grand-chose. Il est en effet constitué pour l’essentiel de « séquences en stock » destinées au MJ, à mes yeux totalement inutiles et qui risquent d’être plus ridicules qu’autre chose… Plus utiles, mais à peine, on trouve également quelques descriptions de PNJ et, en fin de chapitre, quelques accroches de scénarios, dans l’ensemble assez peu intéressantes (avec une exception notable, « La Malédiction Derensberg » : là, il y a quelque chose à faire…).

 

Suivent douze scénarios, très variés. « Mort au-delà du Nil », comme son titre le laisse assez supposer, joue avec la figure classique de la momie ; en l’occurrence, il s’agit ici de toute une troupe de goules momies, venues régler une sordide histoire d’amour au-delà des millénaires, l’un des investigateurs étant la cible de la passion de l’ancienne reine Nitocris. Le scénario contient bon nombre d’éléments intéressants, mais il demande pas mal d’investissement de la part tant du MJ que des PJ (et a fortiori de l’investigateur-cible… sauf qu’il n’est pas supposé savoir qu’il est dans cette délicate position !). Assez libre dans un premier temps, le scénario devient par contre de plus en plus dirigiste et bourrin au fur et à mesure des séquences, avec parfois des retournements de situation et autres « énigmes » un peu too much. Correct, sans plus.

 

« Le Bokor blanc », comme son nom l’indique, s’inspire du cultissime film de Victor Halperin avec Bela Lugosi Les Morts-vivants, plus connu sous son titre original de White Zombie ; il en constitue même une suite directe… mais à la sauce Romero. Autant dire qu’en fait de scénario de Cthulhu, on est en fait en présence d’un délire survivaliste très bourrin et frénétique, très court aussi, riche en action et pauvre en investigation, pas vraiment approprié au « système Gumshoe », donc. Bien que très fan de Romero, vous aurez compris que ce scénario me paraît d’un intérêt plutôt douteux… On notera cependant que l’on y trouve un nouveau grimoire, Le Culte des morts d’Hugues Caverne (1661, français).

 

« Dr. Grave Dust » s’inspire bien évidemment de Frankenstein, mais à vrai dire surtout de « Herbert West, réanimateur », dont il constitue dans un sens une suite, simplement transposée dans le décor gothique, qui trouve là sa première utilisation. Le scénario commence par une enquête policière relativement simple mais à l’atmosphère intéressante, avant de devenir plus dirigiste et un tantinet bourrin pour un final apocalyptique. Pas mal, ceci dit.

 

« Les Rêves de Dracula » s’inspire de… Dracula, oui, bravo (celui de Tod Browning avec Bela Lugosi, of course), avec une pincée de « L’Affaire Charles Dexter Ward ». Le problème, cependant, encore plus flagrant que dans le scénario précédent, est que tout le monde connaît Dracula, et que le nom du comte vampire est lâché très tôt… Cela demande à mon sens aux joueurs de faire trop « semblant », et rend le scénario vraiment trop peu intéressant, d’autant qu’il ne s’éloigne vraiment guère des canons du genre. Mieux vaut donc le laisser de côté. On notera cependant la présence d’un grimoire, la Bibliotheca Chimica de Petrus Borellus (1671, latin).

 

« Le Grand Singe vert » s’inspire bien évidemment de King Kong. Par voie de conséquence, c’est un scénario très pulp, et, autant le dire de suite, très dirigiste et bourrin. Ca ne serait pas forcément dramatique… si les implications du Mythe ne donnaient pas autant l’impression de tomber comme un cheveu sur la soupe, pour un résultat franchement ridicule. On passe.

 

« Le Seigneur de la jungle » emprunte à une multitude de sources, des innombrables Tarzan à L’Enfer vert de James Whale. Hélas, cette quête de la cité perdue d’Ilarnek (que je garderais personnellement plutôt pour les Contrées du Rêve, avec sa voisine maudite Sarnath) est ultra linéaire et bourrine, le MJ se contentant de balancer des événements et de tenir sa compta : on n’a vraiment pas l’impression de jouer à Cthulhu… Noter un grimoire éventuel, Les Inscriptions d’Ilarnek. Sinon, absolument aucun intérêt.

 

Changement radical d’atmosphère, et c’est tant mieux, avec « La Nuit de ma mort », qui s’inspire des productions de Val Lewton dans les années 1940 (on pense bien sûr à ses collaborations avec l’immense Jacques Tourneur). Ce scénario « urbain » repose sur la suggestion et l’ambiguïté, et le surnaturel s’y révèle en fin de compte très naturel, ce qui peut décevoir les joueurs… ou pas, et peut de toute façon s’arranger. Pour ma part, j’ai trouvé cette enquête fine et palpitante. À ce point du recueil, c’est de très loin le meilleur scénario d’Ombres sur Filmland, et ce quand bien même le Mythe en est éventuellement absent (étrange paradoxe !).

 

« L’Homme non-euclidien » est une variation psychopathe sur L’Homme invisible d’H.G. Wells, empruntant à nouveau le décor gothique (mais ça s’adapte). On pourra regretter le côté passablement dirigiste de ce scénario, tout en lui reconnaissant une ambiance efficace et joliment atroce, même si le Mythe est à peu de choses près aux abonnés absents. Faut voir (aha)…

 

« Le Château noir » est un hommage au Chat noir d’Edgar Ulmer avec Bela Lugosi et Boris Karloff que, je le confesse, je n’ai pas vu. C’est en tout cas un scénario particulièrement diabolique, confrontant les joueurs à une « maison hantée » d’un genre pour le moins original, mais qui demande de leur part un investissement de tous les instants : ceux-ci se retrouvent en effet possédés par des « victimes » qui se sont suicidées dans ce château voué à Hastur, et dont l’emprise devient de plus en plus prégnante, ce que les PJ doivent interpréter, sans disposer véritablement d’indications pour cela : à eux d’improviser lors de flashbacks réclamés par le MJ, qui les guide également sur le caractère qu’ils sont supposés adopter au fur et à mesure que la possession s’accroît. Voilà qui peut être très intéressant, mais demande à mon sens des joueurs très motivés et expérimentés (qui plus est, il faut en principe que ces joueurs soient au nombre de quatre). Un regret, toutefois : la fin du scénario me paraît bien capillotractée (tout le monde n’est pas chimiste…). Un scénario original et perturbant, donc, qui peut fournir une expérience de jeu assez unique, mais nécessite des conditions bien particulières pour être correctement interprété, ce qui n’est pas évident à vue de nez. Intrigant…

 

« Pleine Lune », au titre mensonger d’ailleurs, est bien entendu une histoire de loup-garou. L’originalité, c’est que le lycanthrope est, sans le savoir, un des PJ… Si le scénario est assez dirigiste, il offre de jolis cas de conscience, et une sympathique variation sur la lycanthropie – le PJ se révèle être un fils de Yog-Sothoth, rien que ça ! – dans le décor gothique, qui le rendent finalement plutôt correct. Assez intéressant, à condition de trouver un joueur qui soit prêt à laisser manipuler ainsi son personnage (la Motivation « Atavisme » étant alors la bienvenue…).

 

« La Réserve », scénario pulp censément plus « léger » que les autres, a une double inspiration : en effet, sur un canevas emprunté aux Chasses du comte Zaroff, il consiste en un crossover faisant intervenir trois méchant des précédents scénarios, en l’occurrence ceux de « Dr. Grave Dust », « Les Rêves de Dracula » et « L’Homme non-euclidien ». Dès que la chasse commence, c’est évidemment assez bourrin, et donc moyennement convaincant, même s’il y a l’occasion de mitonner quelques séquences assez fun. Bon, pas terrible…

 

Reste « La Dernière Bobine », qui clôt le recueil sur une note toute différente. Ce scénario ne s’inspire en effet pas directement d’un classique du cinéma d’épouvante hollywoodien des années 1920-1930, mais se veut un hommage à ceux qui l’ont fait (les allusions sont flagrantes). Les investigateurs sont en effet engagés pour arrêter la production d’un film intitulé… L’Appel de Cthulhu. Cela cache-t-il une manifestation du Mythe ? Quelles seraient les conséquences d’un tel film sur la santé mentale des spectateurs ? Le FBI a les mains liées, aux investigateurs d’agir, soit en « fouillant les poubelles », soit en établissant un lien entre le culte de Cthulhu et cette production. Ce scénario, assez original, est cette fois tout sauf dirigiste – à vrai dire, il ne consiste presque qu’en une liste de PNJ. Mais, pour le coup, il m’a l’air diablement intéressant.

 

 N’empêche, si l’on excepte deux, trois réussites, Ombres sur Filmland est un supplément très décevant au regard de ses ambitions… Ce n’est pas encore le bon supplément pour Cthulhu « système Gumshoe » que j’attendais. On verra bientôt ce qu’il en sera avec L’Affaire Armitage.

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