"Culloden", de Peter Watkins
Titre original : Culloden.
Titre alternatif : La Bataille de Culloden.
Réalisateur : Peter Watkins.
Année : 1964.
Pays : Grande-Bretagne.
Genre : Documentaire / Docu-fiction / Drame / Guerre.
Durée : 69 min.
Acteurs principaux : Olivier Espitalier-Noel, George McBean, Robert Oates, Peter Watkins…
J’ai récemment fait l’acquisition d’un coffret comprenant cinq films de Peter Watkins : Culloden, La Bombe, La Commune, Punishment Park et The Gladiators. Je pensais tout d’abord me contenter d’un compte rendu générique de ces cinq titres, mais la richesse du matériau (et la peur qui m’étreint quand je pense au visionnage de La Commune, que je vais sans doute faire durer…) m’a convaincu qu’il était plus opportun d’en traiter séparément.
Cela faisait très longtemps que je voulais voir ces films. J’avais entendu dire le plus grand bien, notamment, de La Bombe et de Punishment Park, et j’avais tenté le visionnage de La Commune (il me semble que c’était lors de sa première diffusion sur Arte ; je me souviens avoir tenu environ trois heures sur les 345 minutes de ce film monstre…), qui m’avait fait une forte impression. Un auteur au service du documentaire (engagé, c’est rien de le dire…) : telle est l’impression que m’avait dès lors fait Peter Watkins. Rien d’étonnant à ce que j’aie voulu en savoir davantage.
J’ai donc décidé de commencer par Culloden, premier film pour la BBC du réalisateur, et pierre fondatrice de son œuvre. On y trouve en effet déjà bien des éléments qui figureront plus tard dans La Commune, pour m’en tenir au seul que j’avais déjà vu. Il s’agit en effet d’un documentaire d’un genre très particulier – un « docu-fiction », pour dire les choses comme elles sont, et sans doute un, voire le film fondateur du genre –, brillante reconstitution historique sous la forme d’un film à thèse, usant des techniques du reportage télévisé (avec caméra libre et interviews des personnages en voix off) et reposant sur l’interprétation de comédiens amateurs « impliqués » : en l’occurrence, ici, d’une part des Anglais et des Écossais des Lowlands, d’autre part des Écossais des Highlands, pour certains descendants des combattants de Culloden.
Culloden est un nom qui n’évoque probablement pas grand-chose au spectateur français, mais ce fut la dernière bataille livrée en Grande-Bretagne, et l’écrasement de la dernière tentative de rébellion contre la couronne britannique. Nous sommes en avril 1746. La rébellion jacobite menée par Charles Édouard Stuart (qui deviendra, par un étrange jeu de l’histoire, le fameux « Bonnie Prince Charlie »…) est acculée dans les Highlands, où a été recruté l’essentiel de ses forces. Face à lui, le duc de Cumberland, 25 ans, troisième fils du roi… qui gagnera suite à la répression ayant frappé les Highlands après sa « glorieuse victoire » le surnom de « Boucher ».
Le film commence sur le champ de bataille même, où l’armée des Highlands, désorganisée, sous-équipée et mal dirigée par une triste brochette d’incompétents, s’apprête à se faire massacrer par les forces loyalistes autrement disciplinées. Peter Watkins se promène parmi les troupes, qu’il interviewe, du chef au clampin, et use volontiers d’un montage éloquent mettant en parallèle les conditions de vie de tout un chacun. Sa démonstration est impitoyable, et Culloden constitue bien – dans un premier temps – un réquisitoire féroce contre la sottise militaire et l’idiotie du « bon droit », de même que la brutalité du système des clans présidant à « l’organisation » de l’armée rebelle. Au soir de la bataille, reconstituée quasiment en temps réel (il faut dire qu’elle a duré à peine plus d’une heure), pour chaque mort de l’armée anglaise, on en comptera 24 dans les rangs jacobites…
Mais Watkins ne s’arrête pas là, et, si son film est déjà une brillante réussite dans sa reconstitution historique originale de la bataille de Culloden, plus vraie que nature, il entend dans un second temps aller plus loin, et dénoncer plus généralement les atrocités impliquées par la guerre et les opérations dites de « pacification ». Le contexte n’y est pas pour rien : nous sommes alors en pleine guerre du Vietnam, et Watkins entend bien dénoncer, par un parallèle sans doute évident pour les spectateurs de l’époque (même s’il n’est pas une seule fois souligné dans le film), les exactions perpétrées par l’armée américaine, les assimilant à celles qui valurent à Cumberland son surnom pour le moins évocateur. Car la bataille marqua le début d’une opération d’éradication de la culture des Highlands, passant d’abord par la brutalité « policière » puis par les lois…
Le résultat est une charge aussi brillante qu’audacieuse, un « docu-fiction » très fort (Watkins ne rechigne certes pas à tirer sur la corde sensible, j’imagine qu’on pourrait le lui reprocher, mais cela fait indéniablement son petit effet…), qui porte en germe l’œuvre future d’un auteur à nul autre pareil. Remarquable.
Suite des opérations bientôt avec La Bombe.
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