"De Profundis"
De Profundis. Lettres des abysses
Allez : chose promise, chose due, une dernière petite chronique de lovecrafterie avant quelque temps. Et une chronique ludique, donc. Mais attention : il ne s’agit pas d’un produit L’Appel de Cthulhu. Et même si cela se rapproche énormément du jeu de rôle, d’aucuns vous diront que ce De profundis n’est pourtant pas un jeu de rôle.
Ah.
En effet, la désignation exacte serait « psychodrame épistolaire ». Qu’est-ce à dire ? Le psychodrame, tout d’abord, est une variante du jeu de rôle sans maître de jeu, et sans règles, laissée entièrement entre les mains des joueurs, qui improvisent au fur et à mesure et surenchérissent les uns par rapport aux autres. Ce qui constitue d’une certaine manière un retour aux sources, mais a de quoi déstabiliser un peu le rôliste lambda, et confère à ce De Profundis de création polonaise une certaine saveur expérimentale.
Mais il ne s’agit pas ici d’un « simple » psychodrame. En effet, l’originalité de ces Lettres des abysses, comme leur nom l’indique, est de reposer sur l’envoi de lettres, lesquelles, en s’agglomérant, construisent le psychodrame. L’ouvrage se présente d’ailleurs sous la forme de lettres – une quarantaine de feuilles volantes –, qui décrivent comment l’auteur a rêvé de De Profundis et s’est trouvé embarqué dans la réalisation de ce jeu, au péril, bien évidemment, de sa santé mentale, et plus puisque affinités.
L’idée en elle-même est très intéressante, et indubitablement lovecraftienne. Difficile, à la lecture de De Profundis, de ne pas penser aux échanges de lettres entre Wilmarth et Akeley dans « Celui qui chuchotait dans les ténèbres ». Au-delà, cependant, le principe même de bon nombre de nouvelles de Lovecraft – celui du « rapport » – s’adapte aisément à la forme du psychodrame épistolaire.
Le problème, à mon sens, est dès lors le suivant : l’idée étant lancée, avait-on besoin d’un « livre » pour la travailler ? Je n’en suis pas tout à fait convaincu, et je doute en tout cas que ce livre-ci soit à cet égard une réponse pertinente. Je ne remettrai pas en cause l’ambiance de ces lettres, qui donne assurément envie de s’y plonger (malgré un côté un peu « sectaire » par moments). Mais il n’en reste pas moins que De Profundis se confine à un stade élevé d’abstraction, là où l’on aurait aimé, au-delà de la seule mise en condition, des données plus « concrètes », des exemples plus frappants, permettant de donner des indications sur la création de personnages, ainsi, ou les écueils à éviter une fois la partie lancée.
Hélas, en lieu et place, nous n’avons droit qu’à quelques généralités. L’univers de Lovecraft n’est pas du tout explicité (or il me semble, à première vue du moins, qu’une connaissance de ses principaux aspects est sans doute plus importante ici que pour un joueur de L’Appel de Cthulhu), les deux cadres proposés – très traditionnellement les années 1920 et, ce qui me paraît plus jouable, l’époque contemporaine (éventuellement en jouant son propre rôle) – sont à peine esquissés, la construction de la partie ne l’est pas davantage. Sur le tard, quand l’auteur en vient à parler des formes avancées de psychodrame, le « psychodrame expérimental » et le jeu en solo (aboutissement ultime de De Profundis ?), on manque vraiment trop d’éléments à mon sens pour pouvoir les mettre en œuvre…
En contrepartie, nous avons droit à quelques conseils pratiques qui, hélas, relèvent soit du sens commun, soit, en ce qui me concerne tout du moins, d’un certain « maniérisme » pas forcément bienvenu : par exemple, pourquoi, si le réalisme est une donnée fondamentale, prohiber les e-mails dans le cadre d’un jeu contemporain au profit de « vraies » lettres ? Je ne suis pas convaincu par le manque d’implication supposé de ce support, qui me paraît au contraire très adapté. Honnêtement, de nos jours, vous en recevez beaucoup, vous, des lettres écrites à la plume (ben oui, pas au Bic !), avec les inévitables taches de café dessus « pour faire vrai » ? Je crois au contraire que cela participe de la multiplicité des supports permettant d’enrichir une partie… à première vue, du moins.
Au final, De Profundis me fait donc l’effet d’une excellente idée, mais le « livre » me paraît plutôt raté. Certes, à un prix de 12,95 €, on ne va pas raler comme pour un jeu de rôle « traditionnel » ; mais le fait est que ces quelques feuilles volantes, en elles-mêmes, ne présentent guère d’intérêt. Cela dit, je me lancerais bien dans un échange de correspondance lovecraftienne, moi…
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