"Élève de quatrième… dimension", d'Algernon Blackwood
BLACKWOOD (Algernon), Élève de quatrième… dimension, traduit de l’anglais par Jacques Parsons, avant-propos de Jacques Parsons, Paris, Denoël, coll. Présence du futur, [1964, 1966] 1984, 250 p.
MAIS QUI EST-CE QUI M’A FOUTU CE TITRE À LA CON ?
Non, mais, franchement : Élève de quatrième… dimension. On dirait du Éons, presque. Ça pue la sous-SF « humoristique ». Alors, certes, la nouvelle à laquelle il renvoie (la première) ne manque pas d’humour, mais c’est quand même autrement plus subtil : merde, on parle d’Algernon Blackwood, là ! Et merci pour le spoiler, au passage… Grmf.
Bon, passons. De même qu’on ne juge pas un livre à sa couverture, ici, on fera bien de ne pas le juger à son titre. Parce que dans le genre, c’est quand même sacrément à côté de la plaque. Bon sang, ce recueil comprend notamment « Les Saules » !
Mais j’avais dit que je passais. Je passe.
Adonc. Comme certains d’entre vous ont pu le subodorer à la lecture de mon compte rendu des Dieux de Pegāna de Lord Dunsany, je me suis lancé, parallèlement à mon « Western Summer », dans un autre cycle de lecture, concernant les précurseurs, influences et admirations de Lovecraft. Au programme, les quatre grands auteurs contemporains de « weird » qu’il célébrait, à savoir Lord Dunsany, Arthur Machen, Algernon Blackwood et M.R. James, auxquels j’ai rajouté William Hope Hodgson, Robert W. Chambers, et même Ambrose Bierce (et peut-être quelques gothiques anglais, on verra ; manque à l’appel Poe, bien sûr, mais bon : pas maintenant). Tous n’ont certes pas eu une influence directe sur son œuvre (en dehors de Poe, ce n’est sans doute vrai que de Dunsany et Machen), mais ils ont néanmoins fortement contribué, chacun à sa manière, à l’élaboration du genre. Et pis j’avais des envies de fantastique classe : je vais être servi…
D’Algernon Blackwood, je n’avais lu jusqu’à présent que l’excellent recueil L’Homme que les arbres aimaient, paru assez récemment à L’Arbre vengeur. C’est à vrai dire (et c’est regrettable…) le seul recueil de l’auteur aisément disponible en français, pour autant que je sache ; on parle pourtant d’un des plus grands « fantastiqueurs » du XXe siècle, là ! Mais voilà : malgré tout, pour le reste il faut se tourner vers l’occasion… ou la VO, bien sûr. J’ai fait les deux, mais ma flemme naturelle m’a amené à commencer par le français.
Et donc voilà : Élève de quatrième… dimension. Yog-Sothoth m’en soit témoin, on ne pouvait trouver titre plus inapproprié. Mais j’avais dit que je passais : je passe.
Il s’agit d’un recueil de sept nouvelles, dont deux ont été reprises dans L’Homme que les arbres aimaient : le chef-d’œuvre « Les Saules » (ZE récit « weird » selon Lovecraft), et la très bonne « ghost story » « Le Piège du destin » ; je vous renvoie à mon précédent compte rendu, je vais me focaliser ici sur le reste.
Le recueil s’ouvre donc sur « L’Affaire Pikestaffe » qui, oui, est un récit de science-fiction et, oui, est largement humoristique. Mais d’une manière autrement plus subtile que ce que le titre global laisse entendre, donc. On a là une très jolie comédie de mœurs so British, avec une ancienne gouvernante qui loue un meublé et se montre horriblement curieuse ; et un de ses locataires, mathématicien de son état, ne fait rien pour arranger ce travers… Bien entendu, a fortiori du fait de ce titre abject (JE PASSE !), on comprend bien vite le fin mot de l’histoire (qui a pu me faire vaguement penser, mais dans un registre plus inquiétant que terrifiant à proprement parler, à « La Maison de la sorcière » de Lovecraft), mais peu importe : la satire est délicieuse, et l’ambiance remarquable.
Suivent « Les Saules » et « Le Piège du destin ». On retrouve largement dans ce recueil l’alternance entre nouvelles « urbaines » et nouvelles mettant en avant la nature autant que la surnature. Parmi ces dernières, on passe donc à « La Veille du Premier mai » : un médecin sceptique et matérialiste se rend à pied depuis la gare chez un de ses amis, nettement plus tourné vers le mystique et l’occulte. Le titre laisse assez entendre qu’il a choisi pour ce faire la mauvaise date, et il fera des rencontres étranges dans les collines… C’est un peu bavard, mais superbement écrit et très efficace.
Retour à « l’urbain » avec deux nouvelles plus courtes. Tout d’abord, « Le Vieil Homme des visions », évocation d’un étrange personnage anonyme qui se montre d’un grand réconfort pour le narrateur. Cette rêverie mystique, pour ne pas dire théologique, m’a laissé assez froid, j’avoue. J’y ai préféré « L’Histoire du fantôme de la femme », jolie « ghost story » très correcte malgré sa chute un peu molle.
Et on retourne enfin à la nature avec « La Vallée des Bêtes Sauvages ». Un gros con de chasseur cherche à y dézinguer le plus grand élan du monde ; son guide indien a beau le lâcher à l’orée de la Vallée des Bêtes Sauvages, où la chasse est interdite par le dieu Ishtot, il s’y enfonce malgré tout… et y connaîtra de bien curieuses mésaventures, tenant de l’épiphanie, voire de la rédemption. Très bien.
Et ce recueil l’est, très bien, malgré son titre (JE PAAAAAAAAAAAAAASSE !). Confirmation du grand talent d’Algernon Blackwood, dont on ne peut que souhaiter de nouvelles éditions françaises : ça manque…
Commenter cet article