"Enfer ! s'écria la duchesse", de Michael Arlen
ARLEN (Michael), Enfer ! s’écria la duchesse. Un conte à lire le soir, [Hell ! said the Duchess – A Bed-Time Story], traduit de l’anglais par Anne-Sylvie Homassel, [s.l.], La Dernière Goutte, [1934] 2013, 149 p.
Une fois n’est pas coutume, j’ai lu ce livre du fait de la traductrice – car on ne répétera jamais assez combien Anne-Sylvie Homassel est IMMENSE. Ce fut du coup l’occasion pour moi de découvrir la catalogue de La Dernière Goutte, petit éditeur qui me faisait de l’œil depuis quelque temps. Aucune idée de si la chose est représentative de la production dudit éditeur – même si, du fait du caractère très atypique de ce court roman, j’en doute un peu. Mais ne mettons pas la charrue avant les Bretons…
Enfer ! s’écria la duchesse : dès le titre, on se doute que l’on va lire quelque chose qui sort de l’ordinaire. Le sous-titre nous dit qu’il s’agit d’un « conte à lire le soir » ; allons bon ! C’est ce que j’ai fait, mais n’y voyez aucune malice. Pas plus qu’une tendance à me plier aux injonctions de l’auteur, qui est mort de toute façon, hein, alors bon.
Nous sommes dans les années 1930, dans la Perfide Albion. Et le moins que l’on puisse dire est que tout ceci, effectivement, est so british. Ca dégouline, ça sent la menthe et la noblesse frelatée, et c’est délicieux. À vrai dire, il y a même quelque chose dans les dialogues ô combien savoureux qui m’a ramené un demi-siècle plus tôt, du côté de chez Oscar Wilde (je parle de ses comédies), même si je ne doute pas – mais là mes connaissances me font défaut – qu’il peut y avoir aussi du Jeeves là-dedans.
Adonc, Mary, duchesse de Dove, est fort timide et au-dessus de tout soupçon. L’effroi n’en est que plus grand, dans le monde policé des lords et des ladies, quand de vilaines rumeurs se mettent à courir sur son compte. On dit, voyez vous, que la duchesse boit ! Et que cette digne veuve fréquente indignement des hommes ! Choquant, n’est-il pas ? Mais ce n’est pas tout : on en vient bientôt à la soupçonner… d’être la terrible Jane l’Éventreuse, dont les crimes horribles font les gros titres d’une presse avide de sensationnalisme ! On ne peut pas laisser dire des choses pareilles impunément ; aussi le policier Icelin et le cousin de la duchesse, le colonel Wingless, se lancent-ils dans l’enquête, afin de laver de tout soupçon la pure duchesse.
Il faut dire que le royaume de Sa Gracieuse Majesté, en ces années 1930, ne tourne pas vraiment rond. Dans les rues sinon dans les scrutins, fascistes et communistes s’affrontent. Et l’histoire de Jane l’Éventreuse est trop belle pour laisser les politicards en haillons indifférents… Le sordide fait-divers, ainsi, vire à l’affaire politique, au crime d’État – avec les soupçons de protection de la noblesse qui pèsent fort légitimement sur la chose. La simple rumeur conduit bientôt les Londoniens à mettre la capitale à feu et à sang ; l’urgence est d’autant plus grande de mettre un terme à l’affaire, si possible en innocentant la pure duchesse de Dove…
Un roman étrange que cet Enfer ! s’écria la duchesse. Malgré sa brièveté, il en vient à conjuguer plusieurs genres – et en premier lieu la satire sociale et le policier. Disons-le tout net : c’est la dimension humoristique qui à mon sens fait la force de ce bref texte. La satire est juste, très pertinente, et s’exprime surtout dans des dialogues ô combien savoureux, parfois même franchement hilarants, même si c’est le pince-sans-rire qui domine (voyez plus tôt l’allusion à Wilde). Au-delà, le portrait qui est ici dessiné de l’Angleterre des années 1930 est fort pertinent, surtout a posteriori ; la lutte entre fascistes et communistes n’est pas qu’un simple accessoire, elle a quelque chose de prophétique, quand bien même elle est traitée avec un sourire amer.
Mais ce n’est pas là ce qui fait l’étrangeté de ce roman, jusqu’alors somme toute « normal ». La conclusion vient en effet tout chambouler… et à vrai dire je ne sais toujours pas quoi en penser. La rupture de ton est brusque, c’est rien de le dire. Au-delà du changement de genre (à nouveau), l’atmosphère et la tonalité du roman changent du tout au tout ; nous ne sommes plus en présence d’une farce, mais devant quelque chose de bien autrement mélancolique.
Et je dois dire que cela m’a pas mal déstabilisé. Oui, ce court roman est déroutant… En temps normal, j’aime bien me faire malmener par mes lectures, j’adore quand elles m’envoient balader là où je ne m’y attends pas. Cette fois, pourtant, c’est bel et bien la perplexité qui domine… car tout cela est bien brusque. Je vais dire une chose qui ne m’est certes pas coutumière : pour une fois, j’ai trouvé le roman probablement trop court. Le choc produit par la conclusion est brutal – et c’est sans doute tant mieux –, mais peut-être un peu trop ; et surtout, la satire était si délicieuse ! L’histoire policière, du coup, donne un certain sentiment de bâclage, que cette fin si brutale ne fait que renforcer.
Aussi suis-je sorti quelque peu mitigé de ce court roman. J’en admire les qualités certaines, essentiellement drolatiques et satiriques ; mais la dimension policière et la conclusion me laissent autrement perplexe… Une expérience à tenter, sans doute, et qui n’est pas avare de délices, en particulier dans les échanges si piquants entre les divers protagonistes ; mais de là à en faire une lecture franchement recommandable, il y a un pas que je ne saurais franchir… Peut-être suis-je passé un peu à côté, à vrai dire ; mais, pour le coup, cette conclusion m’a vraiment dérouté, sans que je me délecte de ce sentiment comme à l’habitude. Bizarre…
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