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"Fissions", de Romain Verger

Publié le par Nébal

Fissions.jpg

 

 

VERGER (Romain), Fissions, Lyon, Le Vampire Actif, coll. Les Séditions, 2013, 137 p.

 

Bon, c’est toujours pas vraiment la joie pour rédiger des comptes rendus, et je me sens à vrai dire un peu désemparé… Je vais néanmoins tâcher de dire quelques mots de ce chouette court roman qu’est Fissions, mais, à tout hasard, sachez qu’on en trouve sur le ouèbe des critiques autrement plus approfondies (mais peut-être un peu prout-prout ?) que ce à quoi je puis espérer parvenir ici.

 

Fissions est le quatrième roman de Romain Verger (les trois précédents sont parus chez Quidam) et c’est, pour tout un tas de raisons plus ou moins valables, le premier que je lis. Mais j’avais en fait déjà lu du Romain Verger, ainsi que je m’en suis rendu compte un peu plus tard, à la lecture de Forêts noires (sur lequel je reviendrai très bientôt) : trois de ses nouvelles avaient en effet été publiées dans le n° 17 du Visage Vert (et j’ai cru comprendre qu’il figurerait également dans le prochain). Quand je les avais lues, à l’époque, j’avais noté en substance : « jolie plume, mais pas un souvenir impérissable ». Ce qui s’est vérifié, faut croire, dans la mesure où j’avais complètement zappé cette première approche… Mais n’en déduisez rien quant à la qualité de la production littéraire de Romain Verger : en contexte, et peut-être aussi parce que j’ai changé depuis, je l’envisage désormais d’un œil très différent. Mais assez de ces préliminaires : passons à Fissions.

 

Il va être d’autant plus difficile d’en parler que le récit se dévoile au fur et à mesure, et qu’il serait sans doute dommage d’en dire trop, le mieux étant de laisser la découverte au lecteur autant que possible. On peut toutefois avancer ici quelques éléments qui apparaissent tôt dans la trame. Fissions est donc le récit à la première personne, et a posteriori, d’une nuit de noces, un 21 juin ; la nuit la plus courte de l’année, mais qui se révèle bien longue pour les convives – ou certains d’entre eux, du moins.

 

Notre narrateur – dont on comprend bien vite qu’il est interné dans une institution psychiatrique et qu’il s’est crevé les yeux (paye ton Œdipe) – rapporte donc comment il a fait la connaissance de Noëline (que des noms chelous dans sa famille) via un site de rencontres aléatoires ; s’en est suivi, quelques mois à peine plus tard, un mariage précipité… et, donc, une nuit de noces désastreuse, où la fête, qui se tient dans la résidence maternelle de Noëline, grande demeure qui n’a pas manqué à mes yeux (crevés) d’évoquer l’inévitable château des romans gothiques, tourne bientôt au cauchemar, annoncé de manière fracassante par les hurlements incessants de la mariée recluse dans sa chambre. Et tout cela, nécessairement, finira mal.

 

La quatrième de couverture avance les termes de « fantastique » (yep), de « grotesque » (yep) et de « thriller » (beuh…) ; j’ai donc proposé celui de « gothique ». Mais il y a aussi, de toute évidence, pas mal de grec dans tout ça, essentiellement tragique comme de bien entendu (les références abondent, mais sans surcharger le récit pour autant). Quoi qu’il en soit, tout cela est de toute façon très diffus, et l’on ne se trouve que rarement en plein dans un de ces registres, qui fusionnent (…) avec grâce sous la plume inspirée de Romain Verger.

 

Cette plume, parlons-en. Je ne la trouve pas irréprochable, je n’irais pas jusque-là : j’ai le sentiment que Romain Verger, porté peut-être par un goût décadent pour le mot rare, en fait parfois un peu trop (notamment dans les toutes premières pages). Mais, mazette, dans l’ensemble, c’est tout de même vraiment bien écrit. Il est clair que Romain Verger a un style, et qu’il se montre fort adroit dans la composition de vignettes sublimes (dans tous les sens du terme) ; la polésie en prose infuse dans Fissions, sans jamais nuire à la fluidité du récit, la forme s’alliant au fond avec une justesse étonnante et des plus louables. Romain Verger parvient ainsi à instiller un délicieux sentiment de malaise permanent, avec quelques crises subites de glauque réclamant l’échappatoire à l’air libre. Admirable. Et tout aussi admirable est la construction du roman, qui relève cette fois à mon sens du modèle du genre. Présent et passé s’entremêlent avec astuce, réalité et folie de même, et Fissions – tour de force ? – tient à vrai dire du page turner sans jamais négliger pour autant la pure beauté.

 

Roman noir (au sens originel), Fissions dépeint enfin une très belle galerie de monstres ; la famille de Noëline fait froid dans le dos, les squelettes s’entassent dans les placards (et font un ramdam pas croyable), et le narrateur a également son lot de lourds secrets. Le secret est d’ailleurs probablement un des thèmes majeurs de ce court roman très dense, avec la mémoire, l’inconscient, la perversion, la cruauté… et, enfin, comme de juste, tout cela s’inscrit dans une réflexion plus ample sur l’écriture, ce qui la « justifie » et ce qu’elle produit.

 

Belle rencontre, donc, que ce court roman riche et fort, à la croisée des genres, formellement virtuose et qui se montre d’une adresse terrible dans son jeu avec le lecteur, manipulé avec dextérité jusqu’aux confins du malaise et de la folie.

 

Je vais tâcher de vous parler très prochainement de Forêts noires.

 

EDIT : Hippolyte et Gérard Abdaloff en parlent dans la Salle 101, ici. 

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T
Et quelle fin, nom de d'là... Elle m'a collé au fauteuil.
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N
<br /> <br /> Très bien, certes.<br /> <br /> <br /> <br />