"Frères lointains", de Clifford D. Simak
SIMAK (Clifford D.), Frères lointains, ouvrage proposé et publié sous la direction de Pierre-Paul Durastanti, traduit de l’américain par Pierre-Paul Durastanti et Lorris Murail, avant-propos de Pierre-Paul Durastanti, postface de Philippe Boulier, Saint Mammès, Le Bélial’, [1943, 1951, 1956-1957, 1963, 1977-1978] 2011, 340 p.
Après Voisins d’ailleurs, Frères lointains est le deuxième recueil de Clifford D. Simak (enfin, cinq, depuis hier) (pardon) concocté par Pierre-Paul Durastanti au Bélial’. Y en aura-t-il un troisième ? J’espère bien ! Parce que ce travail d’exhumation, mêlant inédits et nouvelles traductions, est une merveilleuse occasion de prendre conscience du talent de nouvelliste de l’auteur du fantabuleux Demain les chiens (pour ne citer que son œuvre la plus célèbre de par chez nous). Or, ainsi que le note Philippe Boulier dans sa passionnante postface, savante et pertinente étude de l’ensemble de l’œuvre simakienne, se procurer des nouvelles de Simak, aujourd’hui, n’est guère évident… Et, à vrai dire, même pour ce qui est des romans, si l’on excepte l’omnibus qui lui a été consacré, on ne trouvera pas forcément grand-chose non plus. Ce qui, comme de bien entendu, est fondamentalement injuste. Aussi, rendons grâces, mes frères, aux gens bien derrière ce nouveau recueil : ils le méritent.
Frères lointains, qui s’étend sur pas loin de 40 ans de carrière, est peut-être pour cette raison un peu moins cohérent, à mes yeux en tout cas, que son fort sympathique prédécesseur. Il n’en est pas moins une illustration supplémentaire des thèmes chers à Simak, voire de ses obsessions. Ne pas se fier à la couverture gnangnan (que je trouve pour le coup fort inappropriée) : si l’on retrouve, ici encore, des extraterrestres « gentils », ou du moins avec lesquels une cohabitation pacifique est possible, ce qui est classique chez Simak – et relativement original par rapport aux autres auteurs de, disons, ses première et deuxième périodes –, l’accent me semble cette fois devoir être mis sur l’humain, dans ce qu’il a de plus admirable comme dans ses pires défauts, dont l’arrogance (version coloniale) n’est pas le moindre. Aussi les rapports avec l’autre, en dépit de la bonne volonté d’en face, peuvent-ils être malgré tout conflictuels… Mais il est aussi des textes où l’homme – un vieillard, le plus souvent – se retrouve seul, face à lui-même, ou presque, pour des petits bijoux d’introspection apaisée.
Mais ce qui frappe surtout dans ce recueil, c’est – pardon du lieu commun – l’imagination débridée de Simak, qui l’amène à élaborer des nouvelles d’une densité impressionnante, pour ne pas dire délirante. Encore un beau témoignage d’une SF « à l’ancienne », qui savait multiplier les idées géniales à chaque page, bien loin des « nécessaires » pavetons contemporains (eh, je rends compte de ma lecture d’un Simak, je peux bien faire le réac’, un tout petit peu…).
Essayons de voir dans le détail ce qu’il en est. Passé le bref avant-propos de Pierre-Paul Durastanti, le recueil s’ouvre sur « Le Frère » ; la nouvelle touche d’abord par son charmant portrait d’un vieil écrivain de romans du terroir, dans lequel on reconnaîtra sans trop de peine l’auteur himself. Mais on n’est pas au bout de nos surprises dans ce texte qui annonce la couleur, question densité… C’est bourré d’idées, presque trop, mais en définitive tout à fait savoureux.
« La Planète des Reflets » inaugure le thème central de la colonisation, et de l’arrogance humaine qui va de pair. Difficile, ici, d’établir la communication avec ces « reflets », qui semblent se contenter de suivre les humains de leur choix dans leurs activités quotidiennes sans qu’il soit jamais possible d’entamer le dialogue… La chute est délicieuse, et la nouvelle tout à fait efficace.
Suit « Mondes sans fins », une novella qui tranche sur le reste du recueil. En, effet ce texte de SF paranoïaque, dickien avant l’heure (impossible de ne pas penser à Total Recall, avec ces dormeurs embarqués dans un Rêve artificiel), semble a priori bien loin des thématiques propres à Simak. Il n’en reste pas moins que ce délire complotiste filant à toute allure se lit avec un plaisir constant (malgré quelques bizarreries : ainsi, pour Simak, un monde dénué de la notion de profit est un cauchemar… bon…). Comme quoi, l’auteur avait plus d’une corde à son arc, pour ceux qui en douteraient.
Avec « Tête de pont », on retrouve, si ce n’est l’ambiance, du moins les thématiques de « La Planète des Reflets » : arrogance des colonisateurs humains, une fois de plus, si sûrs d’eux-mêmes, a fortiori devant les « primitifs » d’en face… qui les préviennent, pourtant : « Vous ne repartirez jamais. […] Vous allez mourir ici. » Quelle blague ! Les humains ont tout prévu, non ? Bah non, comme dirait DSK. Très chouette nouvelle, encore une fois.
On passe alors à « L’Ogre », la plus vieille nouvelle de ce recueil. J’ai une tendresse particulière pour ce texte particulièrement farfelu, rempli d’idées jusqu’à la gueule, et d’une surprenante poésie burlesque. Là encore, le colonisateur humain se retrouve confronté à une altérité qu’il ne comprend (largement) pas : il faut dire que, sur cette planète, ce sont les végétaux qui sont les êtres conscients… D’où un véritable festival de créatures étranges, drôles et poétiques. Délicieux.
« À l’écoute », sans être mauvaise, m’a par contre laissé un arrière-goût d’inachevé. Si l’idée de base est excellente – il s’agit ici pour des télépathes de communiquer, et donc d’échanger, avec des extraterrestres à l’autre bout de l’univers –, elle me semble déboucher sur une conclusion un peu mollassonne. Bon, rien de grave, en même temps.
Mais on y préfèrera largement les deux derniers textes, éminemment simakiens. « Nouveau Départ » nous présente un professeur de droit à la retraite, et, pour ainsi dire, en bout de course, qui vient s’offrir une dernière partie de pêche avant de filer à l’hospice. Mais il trouvera dans une étrange maison une séduisante alternative à ce bien triste programme… Très belle nouvelle, qui ne manque pas de faire penser, dans un sens, à Au carrefour des étoiles.
Reste enfin le très court « Dernier Acte », sur lequel je ne saurais guère m’étendre de crainte de tout gâcher (enfin, en même temps, le titre, hein…). On ne saurait rêver plus belle conclusion pour le recueil que cette nouvelle apaisée, aigre-douce, profondément touchante.
Vous l’aurez compris, Frères lointains est un recueil de la plus belle eau, idéal pour découvrir Simak, et qui satisfera à n’en pas douter les amateurs de Voisins d’ailleurs. Une conclusion s’impose : un troisième tome ! et plus vite que ça ! Non mais.
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