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"Goethe et un de ses admirateurs", d'Arno Schmidt

Publié le par Nébal

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SCHMIDT (Arno), Goethe et un de ses admirateurs, [Goethe und Einer seiner Bewunderer], traduit de l’allemand par Claude Riehl, postface par Jörg Drews, Auch, Tristram, [1958] 2006, 61 p.

 

Après la kolossale baffe que fut Scènes de la vie d’un faune, à n’en pas douter une de mes meilleures lectures de l’année dernière, j’ai tout naturellement eu envie de prolonger l’expérience Arno Schmidt. À la recherche de livres petits par la taille, je me suis donc finalement procuré ce Goethe et un de ses admirateurs (ainsi qu’Alexandre ou Qu’est-ce que la vérité ?). Il faut dire que le postulat de ce très court récit avait de quoi intriguer…

 

En effet, on a trouvé le moyen de ressusciter les morts ! Mais seulement une fois tous les cent ans, et pour quinze heures seulement… Cela dit, ce n’est pas rien. Les défunts ramenés à la vie, cependant, risquent d’être fortement désarçonnés par le monde dans lequel on les plonge sans véritablement leur demander leur avis ; aussi ont-ils besoin d’un guide…

 

Et voilà : c’est à Arno Schmidt lui-même (car c’est bien lui le narrateur de ce court récit) de servir de guide à un illustre écrivain d’antan. Or, consultant la liste, l’homme du métier se rend compte que personne n’a osé ramener le Grand Homme, l’illustre auteur des Souffrances du jeune Werther, du Faust, etc., autant dire l’auteur qui incarne l’Allemagne, l’incontournable, le meilleur d’entre les meilleurs. Arrogant comme c’est pas permis, c’est tout naturellement qu’Arno Schmidt se propose pour guider Goethe.

 

Et c’est parti. Quinze heures de pérégrinations avec deux écrivains rivalisant de prétention. Et l’occasion pour Arno Schmidt – qui se présente à l’Illustre comme un des plus grands écrivains allemands contemporains, ce en quoi il n’avait sans doute pas tort – de dresser un portrait au vitriol de son « collègue », porté sur la bouffe et la boisson, et surtout… de se venger. Et de venger avec lui tous les Allemands qui ont dû bouffer du Goethe à tort et à travers, tout Goethe, le meilleur comme le pire, pour la simple raison que l’on en avait fait une incarnation de l’Allemagne dans ce qu’elle a de plus grand, et, qui plus est, épargnée par le régime nazi qui lui a préféré d’autres figures – ce qui le rendait toujours fréquentable, et même plus, à l’époque du récit.

 

Critique impitoyable, donc, du culte de la personnalité rendu à Goethe, semble-t-il particulièrement exacerbé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ; mais critique littéraire, également, où Goethe, le parfait Goethe, en prend pour son grade… Non qu’Arno Schmidt rejette en bloc toute l’œuvre du Grand Homme ; mais il en stigmatise certaines dérives, distingue le jeune Goethe révolutionnaire et le vieux Goethe engoncé dans le classicisme qu’il a incarné plus que tout autre, sans doute. En parallèle, nous avons les lettres de Schmidt, qui évoquent tout d’abord son admiration pour le collègue, puis son exaspération…

 

Formellement, Goethe et un de ses admirateurs reprend le dispositif intriguant de Scènes de la vie d’un faune. C’est donc là encore parfaitement déstabilisant au premier abord, avant de couler assez bien (même si je n’ai pas autant goûté la plume de l’auteur ici que dans le chef-d’œuvre précité). C’est surtout assez drôle, dans son outrecuidance irrévérencieuse. Les deux personnages sont plus infects et imbus d’eux-mêmes l’un que l’autre, et c’est ce qui les rend irrésistibles.

 

Reste que c’est là un texte pour lequel il me manquait des clefs. Aussi ne puis-je prétendre l’avoir autant apprécié que Scènes de la vie d’un faune. Il me semble en effet que seul un Allemand, et peut-être même pire, seul un Allemand contemporain d’Arno Schmidt, peut parfaitement en saisir la portée. Il faut sans doute, pour en apprécier tout le sel, bien connaître la littérature allemande en général, et bien évidemment Goethe en particulier. Il faut surtout, j’imagine, avoir bouffé du Goethe, donc, l’avoir subi contraint et forcé, avoir été soumis au culte de la personnalité… Or je ne peux prétendre connaître vraiment Goethe, n’ayant lu de lui, sauf erreur, que Les Souffrances du jeune Werther et le Faust (donc) ; qui plus est, on ne m’en a pas imposé la lecture, ce fut un choix parfaitement libre, et un bon choix : j’ai adoré ces lectures (tout particulièrement le premier Faust). Mais je comprends tout de même, en gros, l’exaspération rigolarde d’Arno Schmidt.

 

Goethe et un de ses admirateurs est donc loin d’avoir le caractère indispensable de Scènes de la vie d’un faune. En tant que tel, pour un Français ignorant tel que votre serviteur, cela reste une lecture amusante, mais guère plus ; là, il me manquait clairement le bagage pour vraiment l’apprécier…

CITRIQ

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A
mais quel Umour dans ce texte ! (p. 21) Goethe, sur le trône, lorgnant le carrelage à travers le rouleau de papier vécé - le narrateur lurkant songeant : "Ce mélange de merde et de clair de lune<br /> qui nous caractérise si bien."
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