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"Häxan", de Benjamin Christensen

Publié le par Nébal

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Titres alternatifs : La Sorcellerie à travers les âges, Witchcraft Through the Ages.

Réalisateur : Benjamin Christensen.

Année : 1922.

Pays : Danemark – Suède.

Genre : Documentaire / « Docu-fiction » / « Mondo » / « Historique » / « Fantastique » / « Horreur »

Durée : 87 min. / 76 min. / 104 min.

Acteurs principaux : Benjamin Christensen, Maren Pedersen, Clara Pontoppidan, Elith Pio, Oscar Stribolt, Tora Teje, John Andersen…

 

Une fois n’est pas coutume, c’est un véritable bijou que Potemkine (à qui on devait déjà le DVD de l’extraordinaire Requiem pour un massacre) et Agnès B. DVD ont exhumé avec Häxan. Un film muet suédois assez unique en son genre, réalisé par Benjamin Christensen entre 1919 et 1921, pour sortir l’année suivante : oui, certes, un documentaire ; mais sous la forme d’un étrange « docu-fiction d’horreur », plus ou moins lointain précurseur du « mondo », dont les images d’une rare poésie et d’une force non moindre marquent durablement. Le sujet ? La Sorcellerie à travers les âges, nous dit l’autre titre de ce film ; mais surtout, en fait, la sorcellerie médiévale et sa poursuite inlassable par l’Inquisition, au cours de ce que d’aucuns ont qualifié de véritable « sexocide » – il est vrai que la lecture, à titre d’exemple, du tristement célèbre Marteau des sorcières est pour le moins éloquente à cet égard.

 

Le film présente, à sa manière, une thèse, certes non dénuée de préjugés anticléricaux, et plus particulièrement anti-catholiques – rappelons que le « grand flamboiement » d’Allemagne est en fait postérieur à la Réforme. L’idée maîtresse est celle d’un délire obsessionnel – attesté –, relatif en fait, d’une part à des fausses accusations témoignant tant d’une conception « primitive » du monde que de la peur et de la « mauvaise foi » pure et simple, et d’autre part à des pathologies mentales bien réelles, au premier rang desquelles se trouve bien entendu l’hystérie. En sept chapitres édifiants, Benjamin Christensen nous amène ainsi à nous interroger sur la réalité des faits de sorcellerie au Moyen Âge, sur la superstition qui règne toujours quand sort son film, et sur la cruauté aveugle dont ont toujours fait preuve ceux qui ont chassé les sorcières… ou interné les hystériques, au travers d’un parallèle audacieux sur lequel se clôt la projection.

 

Mais c’est en usant d’une forme pour le moins unique, qui rend ce film à la fois difficilement classable et particulièrement savoureux. Le premier chapitre, composé pour l’essentiel de documents d’époque et de saisissants automates, adopte une forme de documentaire « classique ». Mais c’est pour mieux céder la place, dès le chapitre suivant et jusqu’à la fin, à des « reconstitutions » mises en scène avec un brio poétique certain, teinté d’un racolage non moins certain – promettant belles dénudées (de manière très prude, n’exagérons rien), blasphèmes à foison et cruautés multiples, dans une veine très sado-masochiste. L’implication du réalisateur – qui use de la première personne dans les intertitres… et s’attribue rien de moins que le rôle de Satan dans son film ! – participe de cette étrange atmosphère, qui confère au métrage des allures de « mondo » avant l’heure, en nettement plus respectable que la plupart, certes, et l’idéologie nauséabonde d’un, au hasard (eh eh), Suède enfer et paradis en moins. Häxan, « documentaire d’exploitation » ? Tout anachronisme mis à part, il y a en effet un peu de ça dans ce film précieux, très avant-gardiste à sa manière.

 

Häxan alterne ainsi tableaux « historiques » et fantasmagories bien « dans l’esprit d’un Jérôme Bosch et de Goya » ; le résultat est imparable, tour à tour expressionniste – c’est l’époque –, baroque et gothique. La poésie du film éclate lors de scènes particulièrement marquantes, du sulfureux rêve de la vieille saoularde Apolone au sabbat tel que décrit par la pauvre Maria, victime de l’Inquisition (sans oublier, sur un plan plus « réaliste », une remarquable scène d’hystérie au couvent, qui ne manque pas de faire penser au superbe film de Ken Russel Les Diables… voire plus généralement à une « nunsploitation » bien postérieure…). Mais les scènes « historiques » ne manquent pas non plus de force : difficile de rester de marbre devant la présentation des instruments de torture utilisés par les juges pontificaux – qui n’hésitent pas par ailleurs à user de la méthode « gentil flic – méchant flic », entre autres entourloupes… –, et la douleur des « sorcières », celles, plus ou moins authentiques, du Moyen Âge comme les malades mentales du dernier chapitre, est palpable. Mis en scène avec brio, dans des décors fascinants et à l’aide de costumes étonnants – les démons sont de toute beauté, à la fois effroyables et burlesques –, et bénéficiant d’une photographie sublime, Häxan envoûte plus certainement que les « sorcières » qu’il évoque. Tantôt « piquant », tantôt pathétique, toujours fort et beau, le film de Benjamin Christensen est un régal de la première à la dernière image.

 

Il nous est ici proposé dans trois versions différentes. La première, sur un nouveau master restauré (et teinté), dure 87 minutes, et bénéficie d’une très belle bande son composée par Bardi Johannsson, du groupe islandais Bang Gang, et interprétée par le Bulgarian Chamber Orchestra (2006).

 

La deuxième, intitulée La Sorcellerie à travers les âges, est une version de 1968 durant 76 minutes, en noir et blanc « pur » (ce que je préfère pour ma part aux versions teintées, plus sombres), narrée par nul autre que William S. Burroughs – ce qui en dit long sur le caractère du film –, et bénéficiant d’une bande son entre jazz et musique contemporaine, due, non pas à Jean-Luc Ponty, comme le prétend le DVD, mais au percussionniste Daniel Humair – Jean-Luc Ponty est au violon, et bien entouré : Bernard Lubat, Michel Portal, Guy Petersen. C’est de très loin la version la plus « dynamique », et celle qui permet à mon sens le mieux d’apprécier la photographie du film. Mais j’avouerai que la bande son, si elle ne manque objectivement pas de qualités, ne colle pas toujours (souvent ?) très bien aux images, l’anachronisme ne passant pas toujours…

 

Reste enfin une dernière version sur le nouveau master restauré, la plus longue (104 minutes – est-ce dû à une plus longue insistance sur les intertitres ? Je ne saurais autrement expliquer ce décalage d’avec la première version, qui ne vient en tout cas pas d’images supplémentaires) et peut-être ma préférée (malgré la teinte), dans la mesure où elle bénéficie d’une excellente bande son de Matti Bye (2007), lorgnant plus qu’à son tour vers le dark ambient.

 

En bonus, nous avons également droit à une présentation du film par son réalisateur, datant de 1941.

 

 Un bien bel objet, donc, pour un film génial et fou, rare et précieux. Jetez-vous dessus, c’est une merveille.

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