"Jeunesse", de Joseph Conrad
CONRAD (Joseph), Jeunesse, [Youth], traduit de l’anglais par G. Jean Aubry, révisé et annoté par Claude Noël Thomas et Sylvère Monod, Paris, Gallimard, coll. Folio 2€, [1925, 1985, 1993, 2002] 2009, 88 p.
Patrick Mallet est quelqu’un de fort sympathique et de bon goût. Ce passionné de récits maritimes (incluant notamment les variantes poulpesques) m’a ainsi fait découvrir William Hope Hodgson (même si je n’en ai lu pour le moment que L’Horreur tropicale), La Montagne morte de la vie de Michel Bernanos, et, si je ne m’abuse, La Peau froide d’Albert Sánchez Piñol. Que du bon. Et, un beau jour, il m’a fait une surprise en glissant à mon insu dans ma pile d’achats bouquinesques un petit cadeau, toujours maritime mais non poulpesque cette fois, le court roman (ou plutôt la longue nouvelle…) Jeunesse de Joseph Conrad. Qu’il en soit mille fois remercié.
De Joseph Conrad, écrivain anglophone d’origine polonaise, je n’avais lu jusqu’à présent (et adoré, comme de juste) que ce qui constitue probablement son œuvre la plus célèbre : Au cœur des ténèbres (évidemment, Apocalypse Now était auparavant passé par là). Je n’avais encore jamais trouvé d’occasion d’approfondir ma découverte de cette auteur, même si Le Duel prend depuis longtemps la poussière dans ma commode de chevet (là encore à la base pour des raisons cinéphiles, dans la mesure où j’ai adoré Les Duellistes de Ridley Scott – son premier film, si je ne m’abuse).
Jeunesse partage certains traits avec Au cœur des ténèbres : on y retrouve un narrateur (mais mérite-t-il vraiment ce titre ?) anonyme, qui n’est en fin de compte qu’un véhicule pour le récit du marin Marlow (celui qui remonte le fleuve vers Kurtz, mais que l’on retrouve aussi semble-t-il dans d’autres œuvres de l’auteur). Conrad fut marin avant que de devenir écrivain, et Jeunesse est imprégné de son expérience.
Marlow y narre donc à une compagnie de buveurs – « Passez-moi la bouteille. » – un voyage maritime important de sa jeunesse : sa première traversée en tant que lieutenant, à l’âge de 20 ans, à bord de la Judée, un infâme vieux rafiot à destination de Bangkok, autant dire d’un Extrême-Orient mythifié. Un voyage qui commence mal, et se poursuit pire encore… Tempêtes, mutinerie, incendie : le périple de la Judée tourne à l’odyssée.
Mais c’est avant tout – le titre est assez explicite – une ode à la jeunesse, arrogante et insouciante. Marlow se tourne avec nostalgie sur ses jeunes années (« Ah ! Jeunesse ! »), et son récit prend des allures, tantôt enthousiastes, tantôt vaguement désabusées, de parabole initiatique sur le passage à l’âge adulte. Et celui-ci ne se fait pas tout seul…
Le texte est si court que je ne peux guère m’étendre à son sujet. Je me contenterai de noter que Conrad, usant d’une fort belle plume (rendue cependant quelque peu hermétique par l’usage abondant de termes nautiques, qui contribuent il est vrai au réalisme de la chose), traite avec passion et intelligence d’un sujet qui lui tient visiblement à cœur. Rien d’étonnant à ce que mon généreux donateur ait apprécié, du coup, ce « grand livre de mer et d’aventures ».
J’avouerai cependant n’avoir pas été aussi enthousiaste. Si je ne regrette pas ma lecture, et multiplie les remerciements pour ce cadeau, je confesse n’en avoir pas forcément retiré grand-chose, et crains de vite oublier le périple de la Judée… Mais il est vrai que les récits « purement » maritimes ne m’ont jamais séduit plus que cela (certes, il y a des exceptions : il y a quelque temps, je vous avais entretenu de Moby Dick, après tout…), même si, de manière générale, les récits d’exploration suscitent plus qu’à leur tour mon intérêt (et s’il y a du poulpe dedans, c’est encore mieux). Or, malgré le talent indéniable de Conrad, sa sincérité, et de manière plus générale l’authenticité du récit de Marlow, Jeunesse m’a laissé relativement froid… d’autant que je n’y ai pas retrouvé la profondeur (si j’ose dire) d’Au cœur des ténèbres.
Cela ne me dissuadera certes pas de lire Conrad à nouveau – en fait, malgré ma relative indifférence à l’égard de cette nouvelle, mon envie de découverte s’en est tout de même retrouvée renforcée. Mais je ne saurais véritablement conseiller Jeunesse qu’aux amateurs chevronnés de récits maritimes ; ce que je ne suis de toute évidence pas…
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