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"Kwaïdan", de Masaki Kobayashi

Publié le par Nébal

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Titre original : Kaidan.

Titre alternatif : Ghost Stories.

Réalisateur : Masaki Kobayashi.

Année : 1964-1965.

Pays : Japon.

Genre : Fantastique / « Horreur » / « Historique » / Film à sketches.

Durée : 188 min.

Acteurs principaux : Rentaro Mikuni, Michiyo Aratama, Misako Watanabe, Keiko Kishi, Tatsuya Nakadai, Yukio Mochizuki, Katsuo Nakamura, Tetsuro Tamba, Takashi Shimura, Kan-Emon Nakamura, Osamu Takizawa, Haruko Sugimura, Noboru Nakaya, Seiju Miyaguchi, Ganjiro Nakamura…

 

La lecture de Fantômes du cinéma japonais, puis du n° 21 du Visage Vert, et enfin de Kwaidan de Lafcadio Hearn m’en avaient convaincu, ainsi que divers avis exprimés ici ou là : il fallait à tout prix que je comble une importante lacune cinématographique en regardant enfin le Kwaïdan de Masaki Kobayashi. Je n’avais encore, honte sur moi, jamais rien vu de ce réalisateur à la réputation de grand esthète (mais on m’a depuis fait remarquer qu’il était également l’auteur de Hara-Kiri, sur lequel il faudra bien que je mette la main) ; je peux cependant d’ores et déjà confirmer ce jugement, et, inutile de faire de mystères, proclamer à la face de la Nébalie entière que ce Kwaïdan est un époustouflant chef-d’œuvre, qui n’a certes pas volé ce titre. En fait, c’est peut-être bien le plus beau film fantastique que j’aie jamais vu… Oui, rien de moins.

 

Kwaïdan est un film à sketches, d’une durée d’environ trois heures dans sa version intégrale (bien évidemment indispensable : merci, une fois de plus, à Wild Side et à la splendide collection des « Introuvables »…), regroupant quatre histoires de fantômes (à la différence du recueil éponyme, le film se concentre effectivement sur cette thématique), inspirées, donc, de Lafcadio Hearn (mais seulement deux des quatre histoires, « La Femme des neiges » et « Hoïchi sans oreilles », qui sont aussi à mon avis les plus réussies – ce qui ne revient certes pas à dénigrer le reste ! –, proviennent effectivement du Kwaidan dont je vous avais entretenu il y a peu). Il constitue à vrai dire un moment clé de ce genre à part entière qu’est le kaidan-eiga dans sa forme « classique » (qui ne s’est pas encore mué, loin de là, en J-Horror, même si on y trouve en toute logique des éléments précurseurs – notamment dans ces fantômes féminins aux longs cheveux noirs…), et obtint une reconnaissance internationale, puisque ce « Ghost Stories » fut récompensé en 1965 par le Prix Spécial du Jury au Festival de Cannes. Ce qui n’est que justice : le film de Masaki Kobayashi est d’une beauté rare, riche en images à couper le squeele, et d’une perfection formelle qui n’a d’égales que son intelligence et sa sensibilité.

 

Tour d’horizon : le premier fragment, « Les Cheveux noirs », nous conte l’histoire d’un samouraï ambitieux qui, las de la pauvreté, renie sa femme pour épouser la fille arrogante et dure d’un dignitaire, et ainsi faire carrière. Bien évidemment, il en vient assez vite à regretter cette cruelle décision, et, après avoir fini son service de quelques années, retourne auprès de sa première femme… On voit ici un des caractères essentiels du film de Kobayashi : il ne joue presque jamais sur la surprise, bien loin d’une bête épouvante « presse-bouton ». Dès le début, on sait en gros comment tout cela va se terminer… même si le réalisateur parvient en définitive à rajouter des éléments imprévus : ici, en l’occurrence, on restera bluffé par le maquillage du héros lors de la conclusion inévitable et édifiante, châtiment du destin pour l’ambitieux coupable… Mais entre-temps, on aura également pu se régaler de nombreux plans de toute beauté, d’une composition exemplaire et bénéficiant d’une très belle photographie – autant de traits qui se vérifieront tout au long de ce Kwaïdan.

 

« La Femme des neiges » est à mon sens encore plus réussi, et plonge le film dans une délicieuse atmosphère surréaliste en usant de somptueux décors peints (cet œil dans le ciel !) et d’éclairages improbables pouvant évoquer, avec quelques années d’avance, la manière d’un Dario Argento en forme. Ce sketch bénéficie en outre de l’interprétation impeccable, dans le rôle du héros, de l’immense Tatsuya Nakadai, qui parvient à faire preuve d’un charisme et d’une séduction impressionnants dans son rôle de petit paysan. Deux bûcherons sont pris dans une tempête de neige (d’une beauté telle qu’on aimerait en vivre de semblables…) ; incapables de traverser une rivière dans ces conditions, ils se réfugient dans la cabane du passeur absent. Là, une « femme des neiges » à la beauté spectrale tue le plus âgé de son souffle glacial. Elle épargne le plus jeune, à la condition qu’il ne révèle jamais à qui que ce soit ce à quoi il a assisté. Plus tard, il épouse une jolie jeune femme… et en vient inévitablement à oublier sa promesse. Le destin frappe encore dans ce récit d’une grande beauté – accessoirement (ou pas) une belle et tragique histoire d’amour, de même que le premier – et le spectateur ne peut que tomber sous le charme onirique des images de Kobayashi.

 

Mais le meilleur est à mon sens encore à venir, avec « Hoïchi sans oreilles », qui était déjà un de mes contes préférés dans le recueil de Lafcadio Hearn. Le fragment débute par la reconstitution de la bataille navale de Dan-no-Ura sur laquelle s’achève Le Dit des Heike, grand classique de la littérature japonaise (qu’il faut que je lise enfin ; je sais, je me répète) ; et la bataille est peu ou prou refaite… dans une piscine entourée de décors peints. Mais bien loin d’être ridicule, ce procédé audacieux entraîne des plans absolument sublimes et d’une poésie douloureuse, qui marquent durablement. Bien des siècles plus tard, nous faisons la connaissance du jeune conteur aveugle Hoïchi, qui vit dans le temple construit pour apaiser les morts du clan des Heike. Un soir, un samouraï vient le chercher pour lui demander de conter l’épopée dont il s’est fait l’interprète talentueux devant une cour ô combien auguste… Splendide du début à la fin, ce sketch marque à mon sens le point culminant de ce film génial de bout en bout qu’est Kwaïdan. Pourtant, j’émettrais un (tout petit) bémol : la très légère touche de burlesque apportée par les personnages des deux serviteurs me paraît inappropriée. Mais peu importe : du récit de la bataille au sort cruel d’Hoïchi, Masaki Kobayashi nous offre un festival d’images exceptionnelles, servies par un très beau travail du son. Un chef-d’œuvre dans le chef-d’œuvre.

 

Reste enfin « Dans un bol de thé », la plus courte des quatre histoires, et pour cause : elle est inachevée… Ce qui est un peu frustrant, du coup, mais aussi diablement malin, concluant ainsi le film sur une mise en abyme (si j’ose dire) d’autant plus efficace que ce récit est probablement celui des quatre qui se montre le plus ouvertement angoissant. La fin ouverte a dès lors quelque chose de terrible. Pourtant, on est bien loin de la débauche d’effets spéciaux ou que sais-je : non, Kobayashi parvient à susciter des frissons avec le simple reflet d’un homme dans un bol…

 

Immense film à la plastique phénoménale, monument du cinéma japonais comme du cinéma fantastique faisant à vrai dire fi de ces limitations pour atteindre au statut de chef-d’œuvre universel et intemporel, Kwaïdan est une merveille comme on en voit peu. Au risque de me répéter, c’est peut-être bien le plus beau film fantastique que j’aie jamais vu. Soufflé je suis, et j’encourage chaudement ceux qui n’ont pas encore eu la chance de regarder ce bijou à se précipiter dessus ; vous ne le regretterez pas.

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J
Tu ne peux pas continuer à vivre sans avoir vu Hara-Kiri. Selon moi, le chef-d'œuvre du cinéma japonais. D'une perfection absolue. Et Onibaba de Kaneto Shindo que tu vas nécessairement adorer. Les<br /> années 60 ont été un très grand cru pour le cinéma japonais.
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N
<br /> <br /> Je note tout ça, merci.<br /> <br /> <br /> <br />