"L'Appel de Cthulhu : Les Terres de Lovecraft : Dunwich"
L’Appel de Cthulhu : Les Terres de Lovecraft : Dunwich
Ah, ces bons vieux dégénérés consanguins ! Que ferait-on sans eux ? Ou plutôt : que ne ferait-on pas ? Une palanquée de récits d’horreur, de survivals et de polars glauques, à n’en pas douter… Howard Phillips Lovecraft, en précurseur, leur a fourni un cadre merveilleux : Dunwich et sa région, trou paumé et maudit à l’ouest du Massachusetts, relié à Arkham par l’autoroute d’Aylesbury. Un endroit où, non, définitivement non, il ne fait pas bon vivre. Ce deuxième volume de la série « Les Terres de Lovecraft » en témoigne assurément, mais nous explique en outre pourquoi…
Sans surprise, passés quelques mots d’introduction, il s’ouvre sur l’excellente nouvelle qu’est « L’Abomination de Dunwich ». Une fois de plus, c’était loin d’être une découverte en ce qui me concerne, et je me souvenais très bien de ce texte glauque au possible, du « sorcier » Whateley, de son fils Wilbur à la croissance accélérée, de ce village lépreux et insalubre, et de cette conclusion démesurée, sinistre et grotesque écho de la passion du Christ ! Un régal, peut-être même l’archétype de la nouvelle de Lovecraft « à investigateurs », puisque l’on y suit la première mouture de la « cabale Armitage » (voyez L’Université Miskatonic) à l’œuvre, commençant par des fouilles dans la bibliothèque Orne, avant de se confronter au Mythe dans ce qu’il a de plus indicible…
Puis l’on s’attaque au guide à proprement parler, rédigé pour l’essentiel, de même que celui d’Arkham, par Keith Herber. Quelques mots d’ordre général, pour commencer : parce que le fait est que, ça saute aux yeux, c’est beau. Très beau. En effet, contrairement à ce qui se faisait le plus souvent jusqu’à présent, l’iconographie est cette fois essentiellement fondée sur de superbes photographies d’époque, qui nous plongent directement dans l’ambiance. Ne restent plus de dessins que pour les personnages, les entités du Mythe, et les cartes, celles du livre étant très lisibles bien que foisonnantes (on y reviendra), à la différence de la grande carte de 40 x 60 centimètres, à peu près inutilisable à mon sens.
Car, et c’est la grande particularité de ce guide, celui-ci ne s’intéresse bien évidemment pas uniquement à Dunwich même, minable petit patelin dont on aurait vite fait le tour. Ce sont Dunwich et sa région qui sont envisagés ici, soit environ (si je me souviens bien) 250 km². Tout de même. Ça change tout.
« Bienvenue à Dunwich ». Un chapitre introductif, consacré à quelques généralités indispensables sur Dunwich et sa région : climat, flore et faune, comment trouver Dunwich (ce qui, mine de rien, n’est pas si évident que ça), comment explorer la région (bis), téléphone, logement, fermes typiques, armes à feu. En marge se trouve également une chronologie limitée aux années 1691-1898 (mais il y aurait bien plus à dire… avant comme après) ; le chapitre se conclue enfin sur un « répertoire du village », une sorte d’annuaire, en somme.
Puis, comme ça, cash, « Les secrets de Dunwich » : sur quatre pages, les plus gros secrets du village et de ses environs sont dévoilés. Et ça fait comme un choc pour le plus important d’entre eux, « l’histoire secrète » justifiant « l’atmosphère de décrépitude » (non, je n’en dirai pas plus…). Mais ces précisions d’entrée de jeu sont effectivement indispensables à la compréhension de la suite du volume… et il reste bien des « petits » secrets à dévoiler, et des « détails » de ces « gros » secrets.
« Le village de Dunwich » se voit ensuite décrit prioritairement, et découpé en trois zones, les deux premières (village et ouest) se voyant attribuer des références à deux chiffres et la dernière (zone industrielle, au nord du village) des références en Mx. On constate déjà la très grande richesse de l’environnement créé… et en même temps le très grand nombre de bâtisses abandonnées, permettant le cas échéant au MJ d’implanter ses propres créations.
« Le guide des environs de Dunwich » découpe la grande carte en neuf régions (le village se trouvant au nord de la huitième, celle du sud) : la Crête séparatrice (nord-ouest, 1), les sources de soufre (nord, 2), la vallée de la branche nord (nord-est, 3), les vallées de Prescott et de Dunlock (ouest, 4), Sentinel Hill (centre, 5), les plateaux de l’Est (est, 6), la crête de Wheeler (sud-ouest, 7), la vallée de Dunwich (sud, 8) et Indian Hill (sud-est, 9). On retrouve ici le système de références à trois chiffres de Les Terres de Lovecraft : Arkham, le premier indiquant la région. On constate là encore le grand nombre de fermes abandonnées. Mais l’impression qui domine est quand même celle d’un incroyable foisonnement, tout à fait passionnant, et même fascinant, mais qui s’annonce pas forcément évident à gérer… D’autant que, la consanguinité et l’esprit de clan ayant fait des ravages, on se perd vite dans tous ces Whateley, ces Bishop, ces Dunlock, ces Prescott, ces Potter, etc. Il y a en tout cas amplement de quoi faire, chaque région multipliant les amorces de scénarios ou, tout au moins, de rencontres intéressantes.
Et c’est pas fini : vous avez aimé la surface ? Vous allez adorer « Le monde souterrain » ! Même si ça fait, à mes yeux en tout cas, un peu gros Donj’… Il y a en tout cas deux putains de « dragons », et un sacré nom de Dieu de putain de trésor, même que quand j’ai vu ça j’ai fait : « Wouhou ! » Avis aux amateurs, toutefois : nous sommes bien dans L’Appel de Cthulhu. Ce qui signifie que le moindre faux pas – et les occasions de fauter ne manquent pas – peut se révéler fatal… C’est très, très, très, très, très, très, très, très, très, très, très, très dangereux. Mais alors vraiment. Hou-là, oui.
Suivent deux « Scénarios ». Enfin, ça, c’est la théorie. En pratique, les choses sont un peu différentes. Pour dire les choses clairement, non, il n’y a pas du tout deux scénarios dans Les Terres de Lovecraft : Dunwich. On pourrait même dire qu’il n’y en a pas même un seul. Escroquerie ? Ben, pas vraiment non plus, les choses sont plus compliquées que ça… « Retour à Dunwich », en effet, est plus un prétexte qu’autre chose. Une très mince (mais alors vraiment très mince) trame est donnée, mais elle a pour seul et unique but d’introduire les PJ à Dunwich. Quant à « Ciel, terre et âme », ce n’est qu’une « rencontre », ou, comme les choses sont présentées, un « énorme indice ». Bref : ce sont là deux éléments destinés à l’élaboration d’une campagne prenant Dunwich pour cadre. J’irais même jusqu’à dire que, de la manière dont je vois les choses, cette campagne ne peut être qu’une campagne « ouverte », fondée sur l’improvisation, à la manière de L’Affaire Armitage. Autant dire que ça s’annonce pas facile pour le MJ, tant l’univers décrit est foisonnant (bien plus que celui de L’Affaire Armitage, d’ailleurs, où les documents, en outre, tendaient à cadrer davantage le jeu…). Mais s’il parvient à maîtriser tout ça, et à lier la sauce, je ne doute pas que le résultat s’avère extraordinairement stimulant, et offre des dizaines d’heures de jeu palpitantes.
Quelques mots sur les « Annexes », pour finir : on trouve tout d’abord, dans « L’Abomination de Dunwich », les données « techniques » permettant, le cas échéant, de recréer la nouvelle, ainsi que sa chronologie. Puis, dans « Mystères, légendes et rumeurs », on trouve un condensé des on-dit par région, pouvant être utile justement dans le cadre d’une campagne ouverte.
Les Terres de Lovecraft : Dunwich est donc très différent de Les Terres de Lovecraft : Arkham, bien qu’étant dû au même auteur. Là où ce dernier ouvrage se caractérisait par une grande souplesse qui permettait son utilisation de bien des manières différentes, Dunwich, qui se révèle étrangement encore plus riche, ne prendra vraisemblablement tout son sens que dans le cadre d’une campagne ouverte, qui s’annonce difficile à mettre en place. Mais, si l’on y parvient, je ne doute pas un seul instant que l’excellence de ce supplément, déjà flagrante à la simple lecture, n’en ressortira que davantage.
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